La caméra dort

La Caméra d'Or est-elle une bénédiction ?

Festival / Récompenses | Par Julien Di Giacomo | Le 22 mai 2011 à 11h21

La Caméra d'Or, dont on découvrira le lauréat 2011 dans quelques heures, est tout de même une récompense assez particulière, puisqu'elle opère sa propre sélection de manière transversale, récompensant indistinctement des films de la compétition officielle, de la Semaine de la Critique, de la sélection un certain regard et de la quinzaine des réalisateurs.

Steve McQueen (ci-dessus) a remporté la Caméra d'Or en 2008 pour Hunger.

Tous des bleus ! Ou pas.
La Caméra d'Or a été créée pour mettre en lumière le talent d'un réalisateur « débutant », qui concourt au Festival avec le premier film de sa carrière. Cette règle ignore toutefois les clips, les courts-métrages, les épisodes de séries télévisées et les téléfilms, donc tous les réalisateurs susceptibles d'obtenir la caméra d'or ne sont pas, en fait, des « vrais » débutants. Shirley Barrett, Caméra d'or en 1996 pour Love Serenade, avait déjà réalisé un court-métrage et de nombreux épisodes pour 4 séries télé différentes? Autant dire qu'elle n'en était pas exactement à son coup d'essai.

Tête chercheuse
En élisant le meilleur premier long-métrage du Festival, le jury cannois se donne d'une certaine manière un rôle prescriptif : il pointe du doigt un réalisateur et dit, d'un voix sentencieuse, « Ce petit gars ira loin. » Effectivement, force est de constater que les détenteurs de la Caméra d'Or s'arrêtent rarement là, et pratiquement tous sont revus dans d'autres festivals les années qui suivent.

Jafar Panahi, un petit gars qui est allé (trop) loin...


La quête du ticket de bus extrait de Le Cercle

Cependant, on peut légitimement se demander si le succès de ces réalisateurs vient du fait qu'ils ont réellement du talent, ou tout simplement du fait que leur récompense les a drapé d'un prestige potentiellement usurpé. Ce genre de débat finit systématiquement par une boucle infinie semblable à celle, proverbiale, de l'oeuf et de la poule, mais la question est trop intrigante pour ne pas être posée.

En effet, les festivals de cinéma, et ils sont nombreux, bénéficient pas tous du même prestige. On n'a rien contre Gérardmer, Sitges, Locarno ou Deauville par exemple, mais il faut bien avouer que leur rayonnement est incomparable avec ceux de Berlin, Venise, des Academy Awards ou même des Césars. Les heureux élus ayant taillé leur route jusqu'à ces hauts-lieux du cinéma international restent tout de même relativement nombreux (ils sont une quinzaine) mais demeurent, pour la plupart, inconnus du grand public. Honnêtement, vous savez qui c'est, vous, Nana Dzhordzhadze (Caméra d'Or 1987) ?

Le chouchou
Les noms des récipiendaires de la Caméra d'Or qui évoqueront peut-être vaguement quelque chose au clampin lambda se comptent sur les doigts d'une main : Jaco Van Dormael (dont Le Huitième Jour conserve une certaine notoriété en France), John Turturro (parce qu'il est aussi acteur) et éventuellement Jafar Panahi, qui bénéficie d'une triste notoriété de cinéaste emprisonné.

En réalité, le seul golden boy de la Caméra d'Or, celui qui parvint à se faire un nom reconnaissable tout en conservant de la part de la critique et de ses pairs un respect considérable, c'est Jim Jarmusch (et son bon son) Depuis 1984, année de sa récompense, il a récolté une nomination aux Césars, 5 nominations à Cannes, une Palme d'Or du court-métrage et un Grand Prix? La classe (américaine, de surcroît).

Jim Jarmusch, uniquement acteur dans la scène ci-dessous, est le King.


Smoke extrait de Brooklyn Boogie

Les stats qui font peur?
Le réalisateur de Broken Flowers fait donc partie d'un cercle très restreint de réalisateur qui se sont vus décerner au cours de leur parcours, en plus de la Caméra d'Or, une des trois plus prestigieuses récompenses du Festival. Ils ne sont que trois, en fait. Jim Jarmusch et Naomi Kawase ont remporté un Grand Prix chacun, tandis que le Russe Vitali Kanevski est le seul à s'être vu également récompensé d'un Prix du Jury. Depuis la création de la Caméra d'Or en 1978, aucun de ses lauréats n'a obtenu la Palme d'Or par la suite de sa carrière.

On se trouve alors face à une contradiction pour le moins étrange : avec cette encourageante récompense aux nouveaux talent, le Festival donne un coup de pouce à un réalisateur prometteur, pour ensuite le désavouer presque complètement. Statistiquement parlant, si vous espérez donc obtenir un jour la Palme d'Or au Festival de Cannes, il faut que vous croisiez les doigts pour que le jury ne reconnaisse pas votre talent dès votre premier film, car alors vous n'auriez plus aucune chance de vous voir offrir la récompense suprême?

Ah, et, au fait, Naomi Kawaze a déjà eu la Caméra d'Or et un Grand Prix, donc si elle est votre favorite pour la Palme cette année, vous pouvez commencer votre deuil dès maintenant.


Prière au temple extrait de Hanezu no Tsuki
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