N'est-ce pas une erreur de tenir Netflix à distance de la Palme d'Or ?
"Dorénavant, tout film qui souhaitera concourir en compétition à Cannes devra préalablement s'engager à être distribué dans les salles françaises. Cette disposition nouvelle s'appliquera dès l'édition 2018 du Festival International du Film de Cannes". C'est la conclusion du communiqué officiel diffusé par les instances du plus grand festival du monde, en réponse à la polémique conséquente à la sélection en Compétition de deux productions Netflix : The Meyerowtiz Stories (notre photo) et Okja. Deux films promis à une diffusion via Netflix, sans passer par les salles françaises auparavant, ce qui perturbe la sacro-sainte chronologie des médias, mais surtout irrite au plus haut point la FNCF, la fédération des cinémas. Un passage éclair en salles, au moins pour le principe, grâce à un visa temporaire, fut un temps envisagé. Il n'en sera rien finalement, Netflix ayant refusé. Pour calmer le jeu, le Festival s'invente donc une nouvelle règle : pas de distributeur en France, pas de Palme d'Or. Mais en écartant ainsi Netflix de ses éditions à venir, le Festival ne jette-t-il pas bébé avec l'eau du bain ?
Pas de distributeur en France, pas de place en Compétition. Si la règle avait été appliquée l'année dernière, Toni Erdmann n'aurait pas été en lice pour la Palme. Si elle avait été appliquée en 2010, ni Tender Son, ni Soleil Trompeur 2, ni Chongqing Blues n'auraient concurru. Si elle avait été appliquée en 2006, jamais Southland Tales n'aurait été là. Cerise sur le gâteau : Oncle Boonmee n'aurait pas reçu sa Palme, puisqu'acheté le dernier jour du Festival par Pyramide. On ne peut pas multiplier à l'infini les exemples parce qu'ils sont finalement peu nombreux (moins d'une dizaine au total). Que voulez-vous, la Palme a bon goût, elle ne sélectionne que des oeuvres achetées par un distributeur français... à moins que les distributeurs français achètent des oeuvres parce qu'elles sont en lice pour la Palme. L'un ou l'autre cas, le Festival ne juge pas un film en fonction de sa sortie éventuelle dans les salles d'un territoire donné, mais de son intérêt artistique, thématique, etc. Et souvent très en amont, alors que l'exploitation dans les cinémas n'est qu'un point de mire plus que lointain. Gardons un souvenir ému des récits de Thierry Frémaux, délégué général du Festival, au sujet de films découverts à peine finis, pas ou peu montés, gardés pour ce qu'ils promettent. Souvent, très souvent même, c'est pour le meilleur, mais parfois le pire, comme ce fut le cas avec The Last Face, abominable nanard de l'année dernière, retenu par le sélectionneur dans l'espoir d'améliorations jamais venues, comme il le confesse à la page 377, à la date du 15 février de son journal de Cannes, Sélection officielle, puis aux pages 386-387 ("J'ai confirmé à Sean que son film était pris en compétition. Je n'ai rien revu mais je fais confiance au réalisateur de The Indian Runner et Into the Wild").
Des séries TV ? Non, les dernières nouvelles de grands cinéastes
A cette volonté d'aller chercher le film à la source - même si la source est de plus en plus facile à trouver, vu qu'elle s'appelle toujours plus ou moins Haneke, Dardenne, Loach - s'ajoutait cette année une volonté d'ouverture toute nouvelle : bienvenue à la réalité virtuelle avec une création d'Alejandro Gonzalez Inarritu, bienvenue à la série TV avec Twin Peaks et Top of the Lake - China Girl. Hors-compétition, certes, mais tout de même. Et puis le rétropédalage est venu. D'abord au sujet des séries, Thierry Frémaux déclarant en substance au Parisien que Twin Peaks et China Girl n'étaient pas considérés comme des séries TV, mais comme les dernières oeuvres à ce jour de deux cinéastes palmés, David Lynch et Jane Campion. Ouf, nous étions rassurés : le Festival de Cannes n'était pas le lieu des séries, on se trompait ; ce qui, aprés tout, est rassurant, vu que la France va se retrouver l'année prochaine avec une tripotée de festivals de séries (dont un à Cannes). Ca fait un concurrent de moins... sauf si la série est de prestige, sauf si c'est une série d'auteur, chose rare, nous sommes d'accord, car on n'est pas près de voir Alfred Hitchcock (Alfred Hitchcock présente), Michael Mann (Luck), Lisa Cholodenko (Olive Kitteridge, sélectionnée à Venise), Todd Haynes (Mildred Pierce - photo suivante - en Compétition cette année avec Wonderstruck) concevoir une série ou une mini-série. Ah ben si. Oups.
Cette étrange politique dite de ménagement de la chèvre et du chou - que les cinémas se rassurent, le film garde le monopole de Cannes ; que les télés se rassurent, une bonne production aura toujours sa place à Cannes - a atteint son point maximum d'ambiguité avec ce que l'on peut d'ores et déjà baptiser le décret anti-Netflix (qui fait en plus passer cette multinationale pour la rebelle en puissance qu'elle n'est plus). On rendrait service au Festival à l'appeler ainsi, parce qu'en bloquant le passage à cette unique entreprise au prix d'une annonce faussement globale, il a ouvert une boîte de Pandore qu'il serait urgent de refermer, dès l'édition 2017 terminée.
Divines est-il un moins bon film aux USA qu'en France ?
L'année prochaine, ne pourront pas prétendre à la Palme des films qui ne s'engagent pas à être distribués dans les salles françaises. "S'engager", ça veut dire quoi ? Ne pas être Netflix, tout simplement ? Dans ce cas, pourquoi ne pas l'écrire noir sur blanc ou mieux choisir ses mots (ne pas parler d'engagement, par exemple, mais de possibilité ou d'absence d'empêchement à la distribution) ? Signer une charte de bonne conduite et déclarer sur l'honneur faire tout ce qui est en son pouvoir pour passer dans les cinémas français ? Ce serait un moindre mal, mais dans ce cas, qu'est-ce que ça voudrait dire "faire tout ce qui est en son pouvoir" ? Un vendeur doit-il brader son film pour s'assurer qu'un distributeur en voudra, par exemple ? Tender Son et Soleil Trompeur 2 ne réclamaient sûrement rien d'autre qu'une sortie en salles, mais ce n'est pas arrivé : qui est le fautif ? Et une présence dans les salles, d'accord, mais à quel prix ? Deux semaines d'exploitation et puis s'en va ? Est-ce alors vraiment préférable à une disponibilié en VoD ? Et que se passe-t-il si un film choisi pour la Compétition est finalement acheté par Netflix ? Divines, sélectionné l'année dernière à la Quinzaine, est-il un moins bon film aux USA, où il est disponible sur Netflix, qu'en France, où il est sorti en salles ? Le Festival se vante de visionner plus de 2 000 longs-métrages chaque année pour n'en retenir qu'une vingtaine : sera-t-il vraiment capable de s'assurer que chacun de ces prétendants est en lice pour une distribution française, en plus d'être en lice pour la Palme ? N'est-ce pas la fusion de la Compétition et du Marché du Film cher au Festival ?
Sanctionner la Mostra et faire revenir les Sept d'Or
Cela fait bien longtemps que la Compétition ne joue plus un rôle de défricheur, laissant celui-ci au Certain Regard, et surtout à la Quinzaine des Réalisateurs, à la Semaine de la Critique et à l'ACID. La Compétition est devenue une belle vitrine, d'accord, mais il faut désormais s'assurer que tous les objets dans cette vitrine sont bien disponibles à la vente. A la vente en France. C'est aussi ça qui est triste avec cette décision : le fait de voir ce Festival de Cannes que l'on aimait apatride, revendiquer soudain son appartenance à un pays, la France, avec sa chronologie des médias dont on peut supposer que les personnes venues des quatre coins du monde se moquent royalement. On peut d'ailleurs s'interroger sur le bien fondé d'une règle qui prive tous les festivaliers, au nom des intérêts des exploitants d'un seul pays... Cette soudaine considération pose doublement problème : parce qu'elle est de toute évidence davantage subie que voulue par la direction du Festival, et parce qu'elle va à l'encontre d'une saine politique d'ouverture, non pas aux autres supports, mais à la pluralité des expressions cinématographiques. A l'heure où l'exploitation en salles correspond à la portion congrue de la vie d'un film, où la VoD, la vente en blu-ray et DVD, les droits de diffusion télé et la disponibilité par les canaux SVOD font apparaître la sortie au cinéma comme un simple baptême, un rituel pour derniers croyants, Cannes se mettait tout simplement à la page. Etait-ce une erreur de retenir deux films Netflix pour la Palme ? Non, si l'on suit les autres festivals, comme la Mostra qui ne s'était pas faite prier pour sélectionner Beasts of No Nation en 2015, jamais sorti dans les cinémas italiens. Oui, si l'on suit la FNCF qui n'a pas tort de considérer ces deux productions comme des téléfilms et non comme des films de cinéma ; l'étiquette n'ayant ici rien de péjoratif. Si vous faites un programme télé, il y a des festivals pour ça (Monte-Carlo, pas si loin que ça de Cannes). Après tout, si on veut récompenser la télé, il n'y a qu'à rétablir les Sept d'Or...
Il est vrai que la 3e voie qui s'est créée, entre cinéma et télévision, et qui ne peut plus se définir par son mode de diffusion, hurle un besoin de reconnaissance en France, mais est-ce à Cannes d'y répondre ? En 2016, c'est Amazon et son studio qui faisaient tiquer, eux qui produisaient notamment Paterson de Jim Jarmusch. Le Festival avait pris un risque, mesuré, en ouvrant ses portes au commerçant américain. Comme l'affirme aujourd'hui Thierry Frémaux lorsqu'il dit ne pas sélectionner des épisodes de séries en prenant Twin Peaks et China Girl, mais les dernières oeuvres de grands artistes, il avait sélectionné la dernière oeuvre d'un grand artiste. Il aurait sans doute été heureux de s'en tenir à cet argument concernant les dernières créations de Noah Baumbach et Bong Joon-ho, afin d'affirmer Cannes comme le carrefour priviégié, non pas des films, mais des cinéastes, qu'ils travaillent pour le petit ou le grand écran.
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zephsk21 juin 2017 Voir la discussion...
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