Hippie kaï, Mother Nature

“Midsommar” : la Folk Horror est-elle le nouvel eldorado du cinéma indé ?

Actualité | Par Joseph Boinay | Le 2 août 2019 à 17h30

Midsommar d’Ari Aster, sorti mercredi dernier, s’annonce déjà comme un petit hit du cinéma d’horreur (voire du cinéma tout court) et signe sans doute le renouveau de la Folk Horror. Mais au fait c’est quoi, la Folk Horror ? Et surtout : comment un genre aussi marginal a-t-il pu devenir le nouveau joujou des hipsters du 7e art ?

Le cinéma indépendant débarque toujours là où ne l’attend pas. En 2013, il accostait au large de Cancún après quelques épaulés-jetés du côté des Gold's Gym, troquant ses tourne-disques indie contre des tongs et bikinis fluos. C’était l’ère du douchebag (Magic Mike, Spring Breakers, No Pain No Gain) laissant ses couleurs acidulées et Skrillex en héritage au cinéma contemporain. Depuis quelques années, les hipsters se tournent vers une autre chapelle, plus marché de niche tu meurs : la Folk Horror. On y boit l’eau à même la cruche ; les femmes cachent leur cheveux sous des fichus blancs ; les hommes leurs bedaine sous des ceintures de force : on entre en Folk Horror comme dans La Petite Maison dans la prairie. A ceci près que très vite, cercles en pierre, tambourins, boucs en rut s'agitent au son de Dead Can Dance, et on finit par découper les gens plutôt que du bois. En fait, c’est à peu près l’inverse du douchebag : la vieille Europe luthérienne plutôt que la Floride, l’agriculture biosourcée (essentiellement des patates) plutôt que les Big Kahuna Burgers, beaucoup de pommes (mais pas d’iPhone), le dénuement préféré au bling-bling, etc. Car la Folk Horror, c'est ça : des films d’horreur qui évoquent… un folklore, soit les coutumes et les traditions d’une communauté ; idéalement ses rituels païens (qu’on oppose au traditionalisme ambiant), inspirés d’une période assez large et floue, courant du Moyen-âge à la fin du 18e. 

Sans surprise, le genre naît à la fin des années 1960, en plein boum hippie. Du cinéma bis, voire Z, principalement produit par la Hammer dans la perfide Albion. Le Grand Inquisiteur de Michael Reeves, fait office de précurseur en 1968, même s'il s'agit plutôt d'un film historique. Mais c'est lorsque point le crépuscule du Flower Power qu'on commence à sérieusement s’interroger sur le bien-fondé des utopies en vogue. Le cinéma se charge de faire passer le message. La communauté, refuge à une société jugée liberticide, se mue en monstre broyant l’individu : Le Dieu d'osier (1973) de Robin Hardy, film-étendard du genre, s’en fait l’écho féroce. Avec La Nuit des maléfices (1971), la charge contre la sexualité débridée et le paganisme hippies, incarnés par de pauvres paysans du 17e siècle, est à peine voilée : le mythe de l’homme en harmonie avec dame nature en prend un sacré coup.  Reste que le genre meurt comme il est apparu : aussi vite qu’un feu de sorcière. Quelques belles scories continueront d’en ponctuer l’histoire, plus ou moins clairement inféodées à la Folk Horror (Pique-nique à Hanging Rock, la saga Blair Witch, Le Village, The Wicker Tree...), sans jamais s’inscrire dans un mouvement d’ampleur. 

D’ampleur, il n’est peut-être pas question aujourd’hui, mais d’école, certainement. Depuis trois ans environ, ça se presse au portillon, la gigue est en trending topic. The VVitch, petit succès d’estime en 2016, a ouvert le portail des ténèbres à venir. Son pitch est assez rudimentaire :  en 1630, quelques bannis, pourtant sacrément dévots, s’établissent en marge de la civilisation, avant que de mystérieuses disparitions rendent tout ce petit monde suffisamment hystérique pour voir Satan partout. Si le film de Robert Eggers (dont on attend impatiemment le prochain film, The Lighthouse) peut se concevoir comme une critique du puritanisme doublé d’une ode féministe, autant le dire tout de suite : ça n’est pas vraiment l’éclate en Nouvelle-Angleterre. La chose a pourtant suffisamment impressionné pour que beaucoup s’engouffrent dans la brèche permise par le nouvel eldorado du cinéma indépendant : la SVOD. Netflix et d’autres, à la recherche d’un catalogue bien fourni et d’une légitimité artistique, conséquemment moins frileux que les majors, accueillent ce néo-genre avec empressement.

Suivent alors très rapidement trois film en 2017 : Le Rituel de David Bruckner, survival plongeant dans le pur film d’horreur teinté de mythologie nordique ; Hagazussa de Lukas Feigelfeld, conte horrifique féministe du XVe siècle, baigné de légendes païennes autrichiennes ; November de Rainer Sarnet (en pay-per-view), où une jeune amoureuse éplorée erre dans le corps d’un loup garou, dans un beau noir et blanc laiteux. 2018 garde le même rythme, avec Hérédité, pas fondamentalement folk, mais dont le finale révèle l’existence d’un Paimon, démon issu de la goétie, puis Le Bon Apôtre de Gareth Evans et enfin Errementari dont la singularité est de piocher dans le folklore basque. Arrivés à la mythologie navarraise, on pouvait croire le filon tari : que nenni ! Ari Aster, petit prodige aux luxes de préciosités stylistiques, vient sans doute d’achever la domination du genre avec Midsommar, sorti ce mercredi. C’est qu’avec ce film, et après un mini-déluge du cru, le New Yorkais a pris tout le monde de court : aux paysages boueux écrasés par la mornitude du ciel, Ari Aster oppose le printemps suédois, luxuriant, coloré, fleuri, lumineux, dont les intérieurs bordés de petites frises sont si mignonnes qu’elles risquent fort de pulluler sur Instagram.

On y valse avec des couronne de fleurs, on y cuisine des tourtes aux poils, attifé de tabliers immaculé, avant de se fracasser la cervelle sur des autel de bric et de roc, en sacrifiant au passage ceux qui ne voudraient pas rentrer dans la danse. On ne sait pas trop si l’action Ikéa va en profiter, mais le film risque fort de faire des petits. On peut sans doute voir dans l’emballement industriel et le dérèglement climatique, ainsi que dans l’explosion des politiques identitaires, une foule d’interrogations ayant permis la résurgence de ce genre dont les thèmes (le repli communautaire, le retour à la nature, la méfiance envers le progrès) risque fort de toucher un public de plus en plus large. Avant qu’on ne décide que de toute façon, on va tous mourir et que finalement, Cancún, c’était pas si mal ? 

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41 commentaires
  • Cladthom
    commentaire modéré La scène du dîner dans hérédité pour moi cristallise tout, ça me tue à chaque fois. J'aime bien sa façon de traiter la souffrance que ce soit dans hérédité ou dans midsommar. On sent qu'ari a souffert et il retranscrit bien ça.
    3 août 2019 Voir la discussion...
  • CYHSY
    commentaire modéré La scène du dîner est chouette, mais c'est quand même à mon sens uniquement du zoom-dézoom sur une scène de théâtre. Toni Colette fait tout dans cette scène, et c'est déjà bien.
    3 août 2019 Voir la discussion...
  • CYHSY
    commentaire modéré Toi aussi Cladthom tu as l'air d'avoir souffert, dis-nous tout, Vodkaster veut savoir.
    3 août 2019 Voir la discussion...
  • Cladthom
    commentaire modéré J'ai eu une torsion testiculaire à l'adolescence, après ça me je suis laissé pousser les cheveux et j'ai commencé à écouter du black metal.
    3 août 2019 Voir la discussion...
  • CYHSY
    commentaire modéré @Cladthom Trajet classique.
    4 août 2019 Voir la discussion...
  • Lolograhame
    commentaire modéré Je croyais que tu ne parlais jamais de ça cladpomme...
    5 août 2019 Voir la discussion...
  • Cladthom
    commentaire modéré Fallait que ça sorte pour passer à autre chose !
    5 août 2019 Voir la discussion...
  • Metaju
    commentaire modéré Tiens le coup. Si j'avais su je ne me serais pas moqué de Dead Can Dance. J'ai honte, maintenant.
    5 août 2019 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré Je me demande d'ailleurs s'il y a pas une torture éthiopienne à base de torsion testiculaire dans Midsommar
    5 août 2019 Voir la discussion...
  • CYHSY
    commentaire modéré La ronde est bouclée alors, c'est dans le thème.
    5 août 2019 Voir la discussion...
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