Fast-remakes américains : à quoi bon ?
Cette semaine sort le Millenium de David Fincher et, si son film est officiellement une adaptation de la trilogie littéraire du même nom, on peut tout aussi bien considérer qu'il s'agit d'un remake du film de Niels Arden Oplev, sorti en 2009 à peine. Voilà une bonne occasion pour nous d'aborder ce cancer du cinéma hollywoodien qui consiste à refaire des films étrangers de moins de 5 ans : le fast-remake.
Transformer l'or en or
Thomas Alfredson, le réalisateur norvégien du film Morse, a déclaré « On ne devrait refaire que les mauvais films, pour avoir l'occasion de corriger ce qui n'allait pas », une remarque qui lui a été inspirée par le remake de son film de vampires, américanisé par Matt Reeves pour devenir Let Me In. Loin d'être une exception, cet exemple de fast-remake est au contraire un cas d'école : on fait rarement les remakes de vieilles purges ou de nanars aux réputations affreuses ; si on refait un film, c'est que l'original était bon, et qu'il a été adoubé par la critique et/ou par le public. L'idéal alfredsonien du réalisateur artiste-alchimiste-altruiste qui tenterait de se servir de son talent pour transformer le plomb en or est donc un mythe. Au mieux, un réalisateur ne fera que se hisser sur les épaules des son prédécesseur, qui aura déjà fait pour lui le plus gros du boulot. Si, par hasard, son remake se révèle meilleur que l'original, la question de savoir s'il a ou non usurpé ses lauriers demeurera éternellement : aurait-il fait aussi bien si sa création n'avait pas eu pour base un solide matériau d'origine ? Les fans de David Fincher vous diront que oui, évidemment, et que de toute manière Fincher n'a pas vu l'original (j'ajouterais même que mon cul c'est du poulet), les autres resteront un poil plus sceptiques, et préfèreront considérer son Millenium comme une version au mieux améliorée de l'original, tout en déplorant que Fincher n'ait pas accouché d'une oeuvre réellement originale tout seul comme un grand. Contrairement aux idées reçues, il est donc possible de cracher sur le principe même du fast-remake sans pour autant nier la qualité individuelle de quelques uns des produits de ce système.
Gardons le sens de la mesure : chier sur les fast-remakes, ce n'est pas nier l'importance de la mise en scène au cinéma, c'est juste demander qu'elle ne fasse pas oublier que le cinéma est l'art de raconter des histoires, et que la seule chose qui soit plus agréable que de voir un bon réalisateur raconter une bonne histoire, c'est de voir un bon réalisateur raconter une bonne histoire originale. Qu'on ne vienne pas me dire que les bonnes histoires planquées n'existent pas, car les tiroirs d'Hollywood en regorgent, et on peut en avoir un aperçu tous les ans via la fameuse Black List dans laquelle David Fincher piochait en 2009 un excellent scénario intitulé The Social Network?
Pourquoi, alors, s'emmerder à refaire des films récents, et à raconter à nouveau une histoire qui vient d'être racontée par un autre ? Les raisons sont multiples, mais elles se révèlent évidemment bien souvent être financières et témoignent plus que jamais de la tiédeur des studios face à l'innovation, l'originalité et la prise de risques en général. Il y a dans la démarche générale l'idée de transformer une réussite en réussite encore plus énorme - car aux USA tout est toujours plus énorme - soit en aseptisant le matériau d'origine (comme lorsque Spielberg puis Spike Lee déclarent vouloir débarrasser Old Boy de tout ce qui le rend trop choquant) soit en remplaçant les asiatiques, les norvégiens ou les français par de belles gueules reconnaissables par le grand public.
L'enquêtrice sans nom ! extrait de Millenium : Les hommes qui n'aimaient pas les femmes
Opportunisme international, condescendance locale
Potentiellement, le fast-remake est également l'occasion pour les réalisateurs étrangers de se faire connaître aux Etats-Unis, à condition de ne pas être rebuté à l'idée de faire 2 fois le même film. Pour les studios, il s'agit même d'une opération plutôt avantageuse : le réalisateur original est au moins une valeur sûre, et, même si son nom peut être difficile à prononcer pour les Américains, il suffira de le noyer au milieu d'un casting bien WASP comme il faut pour le faire oublier tout en bénéficiant de son savoir-faire. Ainsi, avant même que le projet n'atterrisse entre les pattes de Matt Reeves, Let Me In avait été proposé à Thomas Alfredson (toujours lui), déjà réalisateur de Morse. Celui-ci, artiste jusqu'à la moelle et d'une intégrité à en faire pâlir plus d'un, avait gentiment rembarré les producteurs en déclarant qu'il n'avait pas de temps à perdre à se répéter. A l'inverse, Julien Duvivier avait très tôt instauré cette tendance en réalisant lui-même le remake de son Un Carnet de Bal, retitré Lydia, entre 1937 et 1941 ; pour la petite histoire, il était d'ailleurs des premiers grands amateurs de remakes en tous genre, puisque son Pepe le Moko (1936) devenait le film américain Casbah en 1938, et qu'il avait coutume de retourner ses films muets pour en faire des parlants. L'opération, payante, marquerait le début de sa carrière. Francis Veber tentera lui aussi, bien plus tard, de suivre la même voie avec ses faux jumeaux Les Fugitifs / Les 3 fugitifs, et aura ainsi l'occasion de faire ses preuves sur un projet US Original, Sur la corde raide, ave Matthew Broderick. Plus récemment, c'est Gela Babluani (13 Tzameti/13) et Lisa Azuelos (LOL/LOL made in USA) qui tentent de troquer leur originalité contre un passeport pour la Mecque du 7e art.
Il y a probablement derrière cette tendance du fast-remake une forme d'orgueil nationaliste, comme si aucun succès véritable ne pouvait avoir lieu en dehors du sol américain. Pourquoi, sinon, Martin Scorsese aurait-il ressenti le besoin de refaire Infernal Affairs, Christopher Nolan Insomnia, Cameron Crowe Abre los Ojos ou David Fincher Millenium ? Seule la condescendance peut justifier de tels actes, qu'elle soit dirigée vers leurs pairs, ou bien, et c'est peut-être pire encore, vers leur public, comme si l'Américain moyen était incapable d'apprécier la beauté du cinéma hongkongais, norvégien ou espagnol... Ce mépris, à moins que ce soit du racisme, pointa ouvertement son nez lorsqu'en 2006, pendant la cérémonie des Oscars, la voix-off annonçait que le prix du meilleur scénario adapté revenait aux Infiltrés, « adapté d'un film japonais » (sic).
Ne pas parler dans son portable extrait de Les Infiltrés
Là où la muse les habite
Permettons nous d'aller plus loin : à quoi bon refaire un film ? Un coup d'oeil jeté à la liste des plus gros succès du box-office mondial révèle bien vite une absence quasi-totale de remakes (à l'exception des 10 Commandements, refait par Cecil B. Demille lui-même, alors qu'il était déjà réalisateur de la première mouture). Mieux encore : le record absolu - et avec une bonne marge - est, c'est bien connu, Avatar. Une trame narrative certes vu et revu des milliers de fois, mais néanmoins un film au scénario original qui ne peut pas être qualifié de remake. On peut constater qu'une part considérable des films de cette liste sont des adaptations de romans, et en profiter pour fustiger cette éternelle crise de l'inspiration hollywoodienne, certes, mais la transposition d'un média à un autre sera toujours plus enrichissante que la transformation d'une pellicule d'une nationalité A en pellicule d'une nationalité B.
Et pourtant, Dieu sait que j'aime les réalisateurs sur lesquels je suis ainsi obligé de taper. Mon agacement vient surtout d'un certain sentiment d'incompréhension face à la fainéantise dont ils peuvent faire preuve en préférant s'engager dans la voie du remake. S'attaquer à la reprise d'une oeuvre déjà existante peut en plus s'avérer particulièrement contraignant : le réalisateur de remake ne doit pas s'éloigner de ce qui faisait le succès de l'original, que ces éléments lui aient plu ou non. Il s'enferme ainsi dans un carcan peu propice à la créativité. Quitte à refaire ce qui existe déjà, autant ne pas se priver et « emprunter » à tour de bras comme Tarantino pour enrichir des projets originaux et libérés de toute contrainte. Cette scène, qui a sans nul doute inspiré un combat légèrement similaire dans Kill Bill, devrait ainsi vous rappeler quelque chose :
Bain de Sang extrait de Sex & Fury
Passés la rage, la colère et le désarroi face à l'injustice des réalités arbitraires de cette même détestable logique qui, sur les bancs de l'école, font que les copieurs ont souvent de meilleurs notes que les bûcheurs, que reste-t-il ? Peut-être de la peine, tout simplement. De la tristesse pour ces pauvres hommes et femmes, ces wannabes artistes qui ne peuvent espérer atteindre le succès qu'en montant sur les épaules de ceux qui sont plus grands qu'eux. Lorsque Stephen King a déclaré « Laisse-moi entrer est le meilleur film d'horreur américain de ces 20 dernières années », qu'a bien pu penser Matt Reeves, qu'a-t-il pu ressentir face à son reflet ? Se voyait-il comme un imposteur, un usurpateur, a-t-il ressenti de la gêne vis-à-vis de Thomas Alfredson, ou au contraire s'est-il vautré aveuglément dans une fierté qu'on aurait du mal à ne pas considérer - au moins un peu - déplacée ? Dans tous les cas, il ne suscite que pitié, et c'est plus alors vers James Wong, James Wan, Lucky McKee ou même Jonathan Levine (pour Mandy Lane) qu'il faut tourner nos pensées : ces réalisateurs qui s'échinent à renouveler l'horreur, à la remodeler depuis ses fondations, sans jamais tomber dans une recopiage facile, comme s'ils tentaient de redorer le blason de la créativité américaine, terni sans cesse par des fast-remakes qui semblent de plus en plus fréquents depuis les début des années 2000?
Et si vous manquez d'exemples pour poursuivre le débat :