C'est quoi un bon biopic ? Les scénaristes de Big Eyes et Ed Wood nous répondent
Vingt ans après Ed Wood, Tim Burton revient au biopic avec Big Eyes, l'histoire de Margaret Keane, artiste-peintre spoliée de sa gloire légitime par son mari. Les deux films ont la particularité d’avoir été écrit par les mêmes personnes : Scott Alexander et Larry Karaszewski. Entretemps, ce duo de scénaristes est passé maître dans l'art du biopic, mais avec une manière bien à lui, comme l’ont prouvé brillamment Larry Flynt en 1996 et Man on the Moon en 1999. Quelle est la méthode d'Alexander et Karaszewski pour faire un bon biopic ? Ce sont les intéressés eux-mêmes qui nous l'expliquent.
« Ce film est inspiré de faits réels ». Voilà la phrase capable de faire fuir plus d'un spectateur, tant cet avertissement s'avère souvent synonyme de film trop long, hagiographique et académique. Il est pourtant possible de dynamiter de l'intérieur ce genre extrêmement normé, en s'intéressant à des personnalités anti-hollywoodiennes, aux parias, aux inadaptés. Et ça, c'est la spécialité de Scott Alexander et Larry Karaszewski, qui ont entamé leur grande œuvre en 1994.
L'amour des marginaux
Considéré comme le plus mauvais réalisateur de l'histoire du cinéma (jugement un peu hâtif, mais pas si éloigné que ça de la vérité), ayant œuvré principalement dans l'univers de la science-fiction (Plan 9 From Outer Space étant son plus fameux), Ed Wood avait tout pour plaire à Tim Burton, lui dont le cinéma est quasi exclusivement peuplé d'inadaptés sociaux, et qui est fan de science-fiction des années 50, de sous-culture et de bizarrerie kitsch (car il ne faut pas non plus oublier la passion d'Ed Wood pour les pulls angora). D'autant plus quand Alexander et Karaszewski apposent sur cette histoire la patte qui sera la caractéristique principale de tous leurs scénarios suivants : une approche à la fois respectueuse et pleine d'amour pour une figure d'exclu.
« On adooooore les marginaux ! » revendique Larry Karaszewski. « Ce qui nous attire, ce sont les personnages dans la marge, mal vus par la société. Notre approche consiste à dire : « Non, non, non ! Leur vie doit être réétudiée de près ! ». Pour nous scénaristes, c'est là que se trouve la dramaturgie : dans le fait que ces personnes soient à contre-courant. » Est-ce à dire que ce n'est pas ce que font les biopics, d'habitude ? « Le problème avec la plupart des biopics, c'est qu'ils s'intéressent à de grands hommes » poursuit Karaszewski. « Il n'est question que de succès : « Ils ont fait cette grande chose, et puis ils ont fait cette grande chose aussi… ». Au final, le film ne s'intéresse pas réellement à ce qu'est le personnage».
Quand le pire et le meilleur réalisateur de tous les temps boivent un coup ensemble
Alexander et Karaszewski se démarquent également pour leur capacité à inventer des scènes totalement imaginaires tout en restant extrêmement respectueux des personnes réelles, dans une volonté d'enrichir toujours plus leur personnalité. L'exemple le plus parlant se trouve dans Ed Wood. « Avec Ed Wood, il fallait s'intéresser au plus mauvais réalisateur de tous les temps, tout en dépeignant un personnage auquel le public pouvait s'identifier. Il s’agissait avant tout de montrer les difficultés que doit surmonter tout cinéaste. Beaucoup d'entre eux nous ont d'ailleurs dit que film décrivait de manière hyper réaliste ce qui se passe réellement sur un plateau de cinéma, alors qu’il s’agit d’une comédie ! » raconte Larry Karaszewski. « C'est pour ça que nous avons inventé la scène de la rencontre entre Ed et Orson Welles. Nous avons voulu montrer ce que pouvait avoir en commun le plus mauvais réalisateur de tous les temps et le plus grand réalisateur de tous les temps, s'ils buvaient un verre ensemble ».
Un peu de journalisme et beaucoup d'imagination
Ne pas craindre d'inventer des séquences entières afin de renforcer leurs personnages, se libérer des contraintes avec respect et inventivité : c'est tout l'art du duo. D'autant plus qu'en s'attaquant à des sujets jamais abordés par Hollywood, ou peu traités par le cinéma, la presse ou la littérature, ils sont amenés à entreprendre de véritables recherches journalistiques pour alimenter leurs scénarios. « Sur Larry Flynt, nous avons eu le temps et les ressources nécessaires pour jouer les journalistes. Et concernant Man on the Moon, nous avons interviewé des dizaines et des dizaines de personnes ayant connu Andy Kaufman » détaille Scott Alexander. « Ni Larry Flynt ni Andy Kaufman n'avaient eu droit à des livres ou des articles conséquents consacrés à eux, mais énormément de monde avait été en contact avec eux à un moment donné, et tous se faisaient une joie de nous parler d'eux. Pendant six mois, nous les avons écoutés, et nous avons fait ça pour chacun des deux films ».
Et quand l'enquête ne mène à rien faute d'informations viables, il faut créer les choses par soi-même. Ce que Scott Alexander confirme : « Nous avions très peu de matière au sujet d'Ed Wood : quelques articles de presse et un témoignage oral d'un de ses compagnons de beuverie, qui nous avait raconté plein d'histoires; rien de plus. Ce qui est drôle, c'est que malgré nos quelques recherches, il nous était impossible de savoir comment Ed avait rencontré qui que ce soit durant sa vie ! Alors nous avons tout inventé : et s'il tombait par hasard sur Bela Lugosi alors que ce dernier est allongé dans un cercueil ? Et s'il rencontrait par hasard le voyant Criswell pendant qu'il prédit l'avenir à quelqu'un ? Et s'il rencontrait le catcheur Tor Johnson pendant un de ses combats ? En revoyant ces scènes avec du recul, on se rend compte qu'elles sont parfaitement ridicules ! Le film a un aspect proche du rêve : il ressemble à la réalité, alors que nous en sommes en fait très manipulateurs ».
Leurs films n'auront jamais l'Oscar de la meilleur prothèse
Un autre écueil que le duo sait éviter avec talent concerne la gestion du temps qui passe. Combien de biopics actuels débutent avec l'enfance du personnage (durant laquelle il y a forcément un trauma qui explique bien des choses par la suite), continuent sur les grands événements de sa vie, et se terminent sur le personnage vieilli, avec bien souvent un festival de prothèses approximatives (grosses pensées à celles de J. Edgar) ? Voilà typiquement le genre de construction scénaristique qu'Alexander et Karaszewski cherchent à éviter : « Rendre compte du passage du temps oblige à maquiller les comédiens, ce qui ne marche jamais très bien. Nous avons une règle : montrer les événements dans le plus court laps de temps possible, afin d'éviter cette contrainte ». Scott Alexander en dit davantage à ce sujet : « A chaque fois qu'on montre le temps qui passe, c'est comme si on mettait un mur entre le film et les spectateurs. Or nous voulons que ces derniers soient totalement plongés dans l'histoire et ses personnages, qu'ils n'en sortent pas en se demandant en quelle année nous sommes ». Dans Big Eyes, ils ont justement souhaité planter le personnage principal, Margaret Keane (interprétée par Amy Adams), uniquement grâce aux dialogues, à travers quelques courtes séquences significatives.
« En tant que scénaristes, on sait que l'on peut utiliser certaines méthodes pour présenter de façon succincte nos personnages. Par exemple, il y a cette scène où Margaret se rend à un entretien d'embauche et où l'employé lui demande de parler d'elle. C'est une manière très fluide et naturelle de transmettre les informations aux spectateurs, sans paraître trop évidente ». Le duo ne se prive pas pour autant d'intégrer de temps en temps de petits flashbacks, sans lourdeur ni pathos, peu explicatifs, mais principalement là pour montrer l'enfance des personnages, en quelques courtes séquences cocasses. Comme ils ont pu l'expérimenter sur Larry Flynt et Man on the Moon : « Dans ces deux films, nous avons écrit des séquences où on peut constater que, dès l'âge de 9 ans, nos protagonistes correspondent déjà à qui ils seront plus tard, ça nous fait beaucoup rire. C'est drôle de voir Larry Flynt à 9 ans qui montre ses fesses aux gens, fabrique son propre alcool illégalement et en fait un business. Même chose avec Andy Kaufman, jeune garçon solitaire, sans aucun ami, et qui passait son temps dans sa chambre à faire semblant d'apparaître dans des émissions de télé ».
Fruits de la passion
Le point commun aux biopics d'Alexander et Karaszewski, sur lequel tout leur travail repose, c'est la passion. Il est primordial que les actions menées par leurs personnages soient motivées par la passion. Qu'il s'agisse du pire réalisateur de tous les temps, d'un comique dont l'ambition est de ne pas faire rire son public, ou d'un pornographe qui souhaite vendre le magazine le plus trash du monde, la clé de leurs scénarios repose essentiellement sur cet impératif. Scott Alexander le confirme : « Je ne nous imagine pas écrire un personnage qui ne serait pas passionné. Il faut que son activité soit la chose la plus importante au monde pour lui ou elle, un idéal à atteindre dans l'art ou ailleurs. Tant pis si cela leur coûte leurs familles et leurs amis, parce qu'ils veulent atteindre ce but à tout prix. Et c'est ce que nous adorons». Maintenant que la page Big Eyes est tournée, après avoir travaillé dessus pendant plus de 10 ans (ils devaient à l'origine le réaliser eux-mêmes, mais faute de financements, Burton avait dû reprendre le projet en mains), quelle personnalité aura droit à son biopic façon Alexander/Karaszewski ? Si jamais ils devaient manquer d'inspiration, nous sommes prêts à leur conseiller de jeter un oeil à cette liste de biopics qui ne demandent qu'à être faits.
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MaxiPatate21 mars 2015 Voir la discussion...
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Rchrt21 mars 2015 Voir la discussion...
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Flol21 mars 2015 Voir la discussion...
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