Qui veut la peau du dessin-animé ?
Cendrillon, La Belle et la bête, Dumbo, Alice, Le Livre de la jungle, La Petite Sirène : Disney produit actuellement des remakes en prises de vue réelles de la plupart de ses classiques de l’animation. Si le profit reste la principale motivation - Alice au pays des merveilles par Tim Burton a rapporté plus d’1 milliard de recettes et a totalement relancé une pratique ancienne que Disney avait initiée avec Les 101 Dalmatiens -, cette démarche témoigne d'une reconfiguration des forces en présence dans le monde du “cinéma pour enfants” entraînant le dessin-animé traditionnel dans une lente agonie.
L’animation traditionnelle a du plomb dans l’aile depuis l'avénement des ordinateurs et la sortie de Toy Story en 1995, un triomphe. Ce fut le début d’une période de transition chez le mastodonte dans ce domaine, Disney, qui a représenté à lui seul, pendant des décennies, le dessin-animé aux yeux du grand public. Après son association avec Pixar, le géant californien a éprouvé quelques scrupules avant d’annoncer que La Ferme se rebelle serait son dernier film en animation traditionnelle et de ne faire après lui que de l'animation 3D, avec des films discutables, Chicken Little ou Bienvenue chez les Robinson, rien de bien marquant. Suite à la fusion Disney-Pixar, John Lasseter a sauvé le dessin-animé en tant que pratique mais il n’empêche que celle-ci est devenue bien marginale.
C’est qu’entretemps, il est devenu plus facile, et donc moins cher, d’animer par ordinateur et de créer des mondes en 3 dimensions que de donner vie aux dessins image par image. Mais cette technique pose un problème clair : il est de plus en plus difficile de reconnaître la patte du créateur derrière ces films tandis que personnages et décors s’uniformisent. Si l'on s'en tient à Disney, il est difficile de trouver dans la production actuelle une opposition de style comme celle existant entre La Belle au bois dormant, tout en foisonnement des décors et en collision des lignes verticales et horizontales, et Pinocchio dont le travail sur la profondeur permet de réellement perdre le pantin dans les décors.
Tourner sur fond vert plutôt que de dessiner, est-ce très différent ?
Et comme dans le même temps, il est plus facile d’animer des séquences d’action spectaculaires, on en retrouve un peu partout sans qu’elles laissent forcément un souvenir inoubliable. N'en déplaise aux Oscars qui l'ont récompensé : qui se souviendra par exemple de la dernière partie des Nouveaux Héros, à l'identité visuelle bien faible malgré son univers placé sous la double influence de l'occident et du Japon ? En comparaison, même le charme désuet du tout petit budget Robin des bois, avec ses scènes reprises à droite et à gauche, viendrait presque à nous manquer.
Les remakes live s'imposent comme l’aboutissement de cette mutation profonde du film jeunesse, délaissant le dessin-animé traditionnel pour privilégier une forme de réalisme avec l’animation 3D. Dans un même temps, le cinéma conventionnel, notamment le cinéma d'action, utilise de plus en plus d’effets spéciaux, tant et si bien qu'il n'est plus rare de voir des séquences où seuls les acteurs sont réels, tout le reste étant recréé numériquement en post-production. La frontière entre les deux types de cinémas n'a donc jamais été aussi ténue. Logiquement, il devient alors très tentant de ne se consacrer qu'à la prise de vue réelle qui permet d’associer de vrais acteurs, apportant avec eux leur popularité, à la liberté de mise en scène que permet la technologie et qui n'est plus l'apanage du film d'animation. Bien sûr, il existait déjà des films mélangeant prises de vues réelles et animation. Mary Poppins propulsait des personnages en chair et en os dans des mondes animés tandis que Space Jam ou Qui veut la peau de Roger Rabbit ? faisaient effectuer le trajet inverse à des personnages cartoonesques. Mais ces œuvres s'aventuraient sur un terrain bien à elles : ni films d'animation, ni "vrais" films mais créations originales qui jouent sur ce mélange improbable pour créer leur univers propre. Aujourd'hui, on assiste à une explosion du nombre de productions en prise de vue réelle qui se contentent d'être des transpositions de dessins-animés cultes, sans que le transfert du dessiné au live ne chamboule le scénario.
Si après avoir attiré les enfants, on attirait surtout leurs parents ?
Ces films peinent à créer un univers spécifique, cohérent et marquant, mais les résultats au box-office prouvent que les studios ne se trompent pas : avec un film live, Disney fait venir toute la famille au cinéma et pas uniquement les enfants. Bien souvent quelque peu ennuyés à l’idée d’aller voir des dessins animés, les parents se disent qu’un film, un vrai (alors qu'en réalité toutes ses images sont composites au point de tenir davantage de l'animation que de la prise de vue réelle), sera plus mature et les intéressera d’avantage. Pourtant, on doute que ce soit toujours vrai, notamment concernant Cendrillon de Branagh, film de princesse très conventionnel : si Il était une fois - qui a relancé le genre chez Disney - faisait preuve d’assez de second degré pour faire sourire petits et grands, c'est bien le premier degré, voire le prosaïsme, qui caractérise les derniers remakes en date, les rendant d'autant moins intéressants.
La pertinence de ces productions pose déjà problème, par nature : ces stars en costume dans des histoires de contes de fées semblent souvent peu à leur place ; sentiment qu'on ne ressent pas devant leurs homologues animés. Conséquence d’une sensibilité forgée par des décennies de contes animés ou vrai incompatibilité ? L’avenir nous le dira mais, en attendant, on ne peut s’empêcher de tiquer face à certaines situations, surtout quand le mélange entre créatures animées et acteurs crée un grand capharnaüm visuel. La nature très artificielle des décors, souvent bien loin d’un film comme La Belle et la Bête de Cocteau, rend ainsi l’immersion bien difficile. Quoi qu'il en soit, la limite est aujourd'hui si vague que lorsqu'on a appris que La Grande Aventure Lego n'était pas nommée aux Oscars, la rumeur s'est répandue que cela était dû à la présence de séquences en prise de vue réelle à la fin du film. Finalement, il n'en est rien puisque l'Académie fixe la limite pour entrer dans la catégorie à au moins 75 % de séquences animées, une proportion que dépasse aisément le film... On appréciera tout de même le flou artistique du reste de la définition : « le film doit avoir un nombre significatif de personnages principaux animés ».
Ne partez pas si vite, il reste un peu d'espoir !
Pourtant, tout n’est pas pourri au royaume du film jeunesse. On peut d’abord espérer trouver un peu d’originalité dans ces différents remakes. Il était une fois constituait une entrée en matière prometteuse. Alice par Burton, malgré tous ses défauts, essayait d'entraîner le conte dans une direction qui n’est pas celle du dessin-animé sorti soixante ans auparavant. Du côté de l’animation par ordinateur, la technique a déjà montré qu’elle pouvait donner naissance à de grandes oeuvres à l’univers affirmé. Depuis Toy Story, certains films font régulièrement preuve d’une belle audace visuelle et multiplient les scènes marquantes : les détails de la maison de Là-Haut qui a eux seuls résument une existence, le monde désolé de WALL-E ou de Dragons 2, voire certains paysages du plus modeste Chasseurs de dragons, sont autant d’images fortes capables de laisser des souvenirs indélébiles.
Et même le dessin-animé traditionnel, s’il est en danger, n’est pas mort et nous a offert ces dernières années quelques exemples forts en matière de création originale. Chez Disney, l'ancienne technique n’est pas encore totalement abandonnée et John Lasseter ne cesse de répéter combien il la considère comme précieuse. La Princesse et la grenouille, volontairement très classique, lui a permis de montrer sa bonne foi. Zootopia, en développement, a l’air de faire preuve d’une ambition formelle plus importante. En se servant avec pertinence de l’informatique, les studios allient originalité et virtuosité, comme en témoignent certains courts-métrages très soignés graphiquement. Paperman - qui tranchait avec le long métrage qu’il précédait, Les Mondes de Ralph, peu inspiré graphiquement alors que son sujet aurait pu donner lieu à de belles envolées - est ainsi un bel exemple de récit au style soigné qui, par le trait, installe une atmosphère forte.
L’utilisation la plus radicale du dessin au service du récit semble devenir une spécificité japonaise. L’an passé, Le Conte de la princesse Kaguya nous a rappelé combien le trait peut être un vecteur fort d’émotions lorsqu’on ose se saisir des possibilités infinies qu’offre le dessin, comme il le faisait avec la douceur de Ponyo, le tranchant d’Amer Béton ou encore l’inquiétante étrangeté de Paprika.
Et il existe encore un monde où la singularité graphique semble rester un impératif : celui de l’animation en stop-motion. Avec Fantastic Mister Fox, par exemple, on ne peut que se réjouir de voir cette technique entre les mains d’un perfectionniste comme Wes Anderson qui, grâce à elle, peut s’amuser de ses effets de mise en scène plus librement encore qu’à l’accoutumée. L'histoire du film bénéficie également de cette audace : comique décalé, préciosité tournée en dérision, reprise des codes du conte. Même avec la sortie de Shaun le mouton et la belle production Aardman en général, le stop-motion n’est pas appelé à devenir la norme mais il montre qu’il est encore possible de faire du "film pour enfant" réjouissant, inventif et intelligent. A l’heure d’une certaine uniformisation de la production, il est toujours bon de rappeler que le plus important est d’oser l’originalité.
C'est beau !