La mort de la comédie romantique
Avant qu'elle ne se définisse, la comédie romantique incarnait le summum de l'élégance. Aujourd'hui, à l'heure où l'on peut tout se dire, le genre a plongé dans la vulgarité. Sait-on encore seulement dire je t'aime au cinéma ?
Beaucoup croient que c'est un truc de filles, un peu comme les comédies musicales seraient un truc de gays. Que les « fabricants de comédie romantique » n'aient jamais caché viser un public féminin ne doit pourtant pas faire oublier que les jeux de l'amour ne connaissent pas les genres et encore moins que ses auteurs sont la plupart du temps des hommes. Parce qu'il n'y a pas de sujet plus important que celui des sentiments, on peut dire qu'il n'y a pas de plus grand cinéma que la comédie romantique. C'est le lieu de la rencontre idéale, l'espace-temps où l'être rompt avec sa solitude pour enfin voir le monde à deux. En tant que quête métaphysique par excellence, l'amour se devait d'être l'un des sujets favoris du cinéma.
Mais plus encore que l'amour, ses jeux sont un délice suprême qu'Hollywood a vite intégré pour créer la comédie romantique, mélange souvent subtil hérité de Marivaux ou Shakespeare. Il est difficile de dépouiller tout ce que l'Histoire a laissé, peut-être n'avons nous retenu que les meilleurs et que dans la masse reste nombre de navets. Mais il y a de la marge entre Rendez-vous de Lubitsch et Valentine's Day de Garry Marshall. Encore plus entre Elle et lui de McCarey et L'abominable vérité de Robert Luketic. De la marge sinon un monde, un écart fou qui pourrait se résumer par de la suprême élégance à la vulgarité absolue.
Quand Harry rencontra Sally
Les années trente de Lubitsch et McCarey furent une époque de raffinement et de débauche que le cinéma préférait traduire par les mots. Ceux qui ont fait vivre ces petits désordres amoureux sur grand écran étaient tous des érudits ou des hommes talentueux. Quelque soit leur style, ils conservaient une même pudeur et un goût pour l'esprit, seule manière aussi de déballer des déboires sentimentaux en contournant la censure. Si la comédie romantique disparut quasiment des écrans après Diamants sur canapé pour ressusciter dans les années 80 (première période rétro de l'Histoire), c'est au prix d'une mutation. Puisant dans son passé pour s'emparer des classiques et palier à des seventies où le libertinage avait échoué, la comédie romantique sert alors à se souvenir d'une époque où l'amour courtois semblait la norme. Les patrons d'antan sont ainsi décalqués ou réadaptés (parfois pour le meilleur : John Hughes, L.A Story, Un monde pour nous...) quand il ne s'agit pas de remake installant le bref règne de Norah Ephron.
Les projets de vie de Lloyd Dobler, extrait de Un monde pour nous
Mais si les films de Norah Ephron (Nuit blanche à Seattle, Vous avez un message) transforment McCarey et Lubitsch en guimauve neuneu servant d'écrin à la molle Meg Ryan, son scénario de Quand Harry rencontre Sally prépare le futur. Il va faire croire aux sentiments sans fausse pudeur, à une idée du couple sans tabous, dans la transparence, plus que jamais dans l'égalité des sexes. La presse féminine pose alors ses valises dans le genre. Quelques années plus tard HBO en fera son lit avec Sex and the City, poussant la romcom dans un monde où les filles disent tout de leur vie sexuelle, amoureuse ou quotidienne. Le gap n'est pas anodin et brise la perspective mystique des sentiments que renfermait encore des racines religieuses. Puisque la pudeur d'autrefois n'est plus, le cul devient un sujet idéal de l'être là (ici se retrouve le véritable héritage des 70's). On perd alors en universalisme ce qu'on gagne en égoïsme. En quelques années parler bite et vagin est devenu un signe de liberté
Can buy me love
Si la galaxie Apatow a emprunté avec bonheur la comédie romantique (elle aussi travaillant ce langage du parler vrai comme un gage d'honnêteté dans l'être ensemble), depuis une décennie seuls Le Comeback (le couple comme paroles et musique), Comment savoir (géniale variation rohmerienne) et La ville fantôme (l'amour aidant au deuil) auront été les derniers représentants raffinés d'un genre qui décline. A commencer du côté des films de Katherine Heigl. Associée à Robert Luketic, grand fossoyeur du genre, l'actrice s'est faite la cheville ouvrière d'une vulgarité ambiante qui a trouvé dans L'abominable vérité son étendard d'un cinéma beauf et fier de l'être. Les leçons d'Harry rencontre Sally que le film suit (et radicalise) ont servi sur un plateau des concepts pour Cosmo qui ont fait le bonheur de PS I Love You, La proposition, Hanté par ses ex, 27 robes, Meilleures ennemies, Sex friends ou Sexe entre amis. Si le dernier, plus recommandable, sauve par les sentiments sa vision ironique et sécuritaire de l'amour, les autres tombent dans de multiples nouvelles tendances, à la fois réactionnaires, matérialistes, graveleuses, régressives, sexistes ou le plus généralement conformistes.
De la nouvelle mode du mariage au coaching en passant par un libertinage de magazine qui ne s'assume pas, la comédie romantique vend aujourd'hui l'amour comme un objet. Même les productions indépendantes tentant d'offrir une autre voie, tel que (500) jours ensemble, finissent par étouffer leurs personnages sous un concept publicitaire.
Summer's world, extrait de (500) jours ensemble
Amour market
Mais le pire peut-être de cet amour en toc vient des films de Gary Marshal qui, inspiré par le patron choral de Love Actually (prototype redoutable d'un cinéma sapin de Noël), s'est fait le maraîcher de l'amour. Avec Valentine's Day et Happy New Year, le réalisateur de Pretty Woman a enfoncé le clou avec deux films obèses aux allures de pudding où les sentiments ne servent qu'à suturer une obligation festive. Si la rencontre et ses malentendus menant au couple demeurent l'objectif de tous ces films, l'amour n'incarne plus que rarement une authentique relation avec l'autre. Il devient moins une révélation (bien qu'il serve toujours à éclairer les erreurs) qu'un moyen de s'assurer que tout va bien, ou de répéter en boucle, sans réfléchir et à moindre frais, l'idée de l'âme soeur.
La comédie romantique américaine a toujours été au-dessus des contraintes matérielles - seul Trop loin pour toi et sa fine description du vécu amoureux à distance en temps de crise renverse intelligemment ce principe. Sans quitter cette idée, depuis une dizaine d'années c'est l'amour qu'on a voulu matérialiser comme d'une chose rationnelle suivant les taxinomies de la presse féminine. La vulgarité dans laquelle la comédie romantique est tombée tient à sa conception grossière, machiste, bourgeoise et non plus métaphysique des sentiments. Le plus souvent idiote, lourde, moche, suivant des héros sans classe ni allure, elle a perdu son idéal aristocratique du coeur pour ne plébisciter que des trajectoires appauvries où la vie est devenu un projet. Rarement tomber amoureux n'a été aussi triste au cinéma qu'à notre époque.
De plus, on parle de Rom Com, mais pourquoi une histoire d'amour devrait etre une comédie ? Like Crazy est parfaite par exemple tout et est l'antithése de Trop Loin POur Toi