“Mulan” directement sur Disney+ : La PVoD va-t-elle tuer le cinéma ?
En entérinant de façon fracassante la PVoD (Premium Video on Demand), Disney provoque un tremblement de terre dans le monde bien réglé du septième art. Mais c’est quoi, la PVoD ? Et quelles conséquences pour l’industrie du cinéma ?
Coup de tonnerre dans le velours des salles de cinéma : Disney, qui en avait plusieurs fois reporté la sortie, distribuera directement son dernier blockbuster, Mulan, sur sa plateforme de streaming, sans passer par la case ciné. Le mouvement, totalement inédit pour un film de cette importance produit par un studio “en dur”, a pris tout le monde de court. Si Netflix avait déjà le don d'agacer les professionnels en snobant une chronologie des médias trop coûteuse à son goût, la pilule ne passe plus du tout en ce qui concerne la firme aux grandes oreilles. A tel point que de nombreux exploitants, qui espéraient se refaire après des mois de disette, enragent, à l’image de Gérard Lemoine, patron de CinéPal’, une salle indépendante en région parisienne :
C’est que la manne annuelle des grands films familiaux aurait bien aidé les patrons de salles exsangues à – si ce n’est sortir du tunnel – au moins discerner une petite lueur d’espoir. Mais pourquoi Disney se coupe-t-elle des revenus que pourraient lui octroyer une sortie en salles, alors que le géant américain dispose de sa propre société de distribution (aux Etats-unis, comme à l‘international) ?
Mickey est sans doute simplement en train de tester la PVoD (Premium Video on Demand) dans un contexte “favorable” de pandémie, tout en tablant sur le recrutement massif de nouveaux abonnés à sa plateforme, Disney+ : pour bénéficier de l’exclusivité du film, il faudra en effet s'acquitter d’une souscription mensuelle, en sus d’un achat unique aux alentours de 30$. En cas de succès, Disney enverrait par ailleurs un message écrasant aux chaînes d’exploitation, difficilement en mesure de s’opposer à la PVoD.
Mais qu’est-ce que c’est, la PVoD ?
Aux Etats-Unis, si la chronologie des médias n’est pas gravée dans le marbre de la loi, une règle tacite impose peu ou prou un délai minimum d’exploitation en salle compris entre trois et six mois avant de s’inviter dans les foyers américains. L’essor considérable des plateformes de streaming, au premier rang desquelles Netflix, ainsi que le coût relativement élevé des tickets a singulièrement entamé cette convention dans l’esprit des grands studios. C’est là qu’intervient la vidéo à la demande “premium” : pour une somme plus rondelette qu’à l’accoutumée, on peut louer le film en VoD alors qu’il est à peine sorti en salles.
L’observation qui a conduit à favoriser cette “révolution” est la suivante : généralement, l’essentiel des revenus de la fréquentation en salle s’établit dans les trois premières semaines d’exploitation, avant de mourir péniblement les jours suivants. La vertu du système est alors toute trouvée : en raccourcissant considérablement la fenêtre des projections, on améliore le turn-over des films (de plus en plus nombreux) et on offre une meilleure visibilité à ceux qui en manquent, sans perte réelle pour les différents acteurs du marché ; on permet en outre aux familles de profiter des plus grosses sorties, rapidement, pour un coût bien plus intéressant. Ainsi, pour un couple avec trois enfants par exemple, le prix d’un fauteuil avoisinant les 10$ en salle, la note serait presque deux fois moins salée, le déplacement et l’inévitable popcorn en moins... De quoi réfléchir et patienter à la maison.
Du reste, peu avant le coup de poker de Disney, Universal avait déjà plus ou moins imposé le concept à AMC, grande franchise de salles américaines, en concluant un deal de cette nature : en contrepartie de la location “physique” de son catalogue, Universal peut maintenant diffuser sur sa plateforme les films un peu moins d’un mois après leur sortie en salles. La grande chaîne de cinéma n’avait de toute façon plus vraiment de quoi négocier : ses différents échecs pour imposer une carte illimitée (sur le modèle d’UGC ou Pathé en France) l’avaient considérablement affaiblie.
Alors, gagnant-gagnant ? Pas si sûr. Un possible appel d’air pourrait se révéler catastrophique pour les exploitants et in fine, le cinéma lui-même : si trois semaines d’attente suffisent à profiter d’un film pour un montant certes conséquent, mais parfois plus avantageux qu’en salle, la probabilité que de nombreux cinéphiles évitent tout simplement le theatre est sérieusement à envisager, avec une perte dramatique pour les exploitants et la vie des films.
Quid de la France ?
La chronologie des médias protège encore les exploitants français : aujourd'hui, respecter un délai de quatre mois (trois avec dérogation) avant toute diffusion VoD est toujours une obligation légale. On le voit ici toutefois avec l’exemple de Mulan, un court-circuitage total des salles reste à craindre, avec des effets délétères pour l’économie déjà fragile des petites salles françaises : le rapport de force s’accentue, et n’est pas à l’avantage des indépendants. Peut-être faudra-t-il alors taxer davantage les plateformes de streaming pour en redistribuer une part à toutes ces entreprises qui font vivre le cinéma, envers et contre tout. A moins qu'à terme, une refondation en profondeur du modèle de production française nous rende un peu moins américano-dépendants (52,6 % des entrées en 2016)...
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Sleeper5 décembre 2020 Voir la discussion...
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Metaju6 décembre 2020 Voir la discussion...
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zephsk6 décembre 2020 Voir la discussion...
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jenanaipa6 décembre 2020 Voir la discussion...