Panem et cesares

Nominations aux César 2018 : rien à déclarer ?

Festival / Récompenses | Par Joseph Boinay | Le 6 février 2018 à 18h50

La 43e édition des César, c’est dans moins d’un mois et les nominations ont été annoncées par l’Académie, le 31 janvier dernier. L’occasion de débriefer sur des choix pas forcément heureux et quelques motifs de réjouissance.

Comme chaque année, les César apportent leur lot d'évidences et de bonheurs, de platitudes et d'aberrations ; 2018 ne fera donc pas entorse à la règle : c'est d'abord la remise d'un prix du public dont personne ne perçoit vraiment l'intérêt, Dany Boon excepté ; des films populaires et/ou salués par la critique mystérieusement ghostés par l'Académie et enfin, des sélections pour le moins curieuses du côté des comédiens... Qu'à cela ne tienne, il reste quelques belles attentes et quelques beaux matchs, qu'on vous demandera d'arbitrer dans un prochain article...

Le prix du public

Vous n’en avez peut-être pas entendu parler. La chose a été susurrée et évacuée comme une note de bas de page en introduction de l’annonce de la sélection : l’Académie a créé un nouveau prix, celui du public (officiellement “César des Entrées” ). “Une compression qui récompense le talent, l’amour que lui portent les spectateurs” ? Que nenni. Le prix du public gratifiera l’œuvre cinématographique qui aura enregistré la plus grande fréquentation pendant l’année de référence, c’est-à-dire la précédente. Tout compte fait, c’est RAID Dingue de Dany Boon qui en sera l’heureux récipiendaire, au bénéfice de l’exercice 2017. Ce même Dany Boon qui intriguait pour la création d’un “prix de la comédie” en 2009… : voilà donc une pochade estampillée “populaire” que même la communauté d’Allociné, pas vraiment soupçonnable de snobisme intellectuel (et plutôt indulgente dans le genre), note à peine mieux que la moyenne (2.9/5 - 1.75/5 sur Vodkaster). On ne peut pas vraiment appeler ça un plébiscite... Du reste, dans ce domaine, Le Sens de la fête et ses 10 nominations se posent déjà là, avec 3 millions d’entrées et 14 millions de budget. “Ce ne sont que des chiffres” nous direz-vous, mais c’est bien là toute l’essence de l’entreprise : des comptes d’apothicaire. Ou un raid, c'est selon.

L'issue malheureuse de ce lobbying, c'est de déposséder un peu plus les “petites comédies” d'une visibilité nécessaire, alors qu'elles ont déjà bien du mal à sortir la tête de l'eau. Ôtez-moi d’un doute, par exemple, comédie tendre avec François Damiens, bien mieux notée par “le peuple” (4/5 sur Allociné, 3/5 sur Vodkaster), mais dotée d’un budget famélique en comparaison (6 millions, contre 30 pour RAID dingue), n’aura ni les faveurs d’une sélection classique, ni celles d’être auréolé du très hypocrite “prix du public”. En fait de prix, c’est bien du “Produit de l’année” qu’il s’agit, celui dont la pub aura le mieux fonctionné. Et peu importe si la récompense existe déjà ailleurs (les trophées du Film Français), après tout, pour paraphraser Nicolas Sarkozy en le détournant (si peu) : “Le cinéma est une marchandise comme les autres.”

Meilleur espoir feminin

Les catégories “meilleure actrice” et “meilleur espoir féminin” sont aussi pleines de surprises. Ainsi, on trouve l’ancienne miss météo Doria Tillier (pétillante au demeurant) propulsée impétrante meilleure actrice pour… un premier rôle (elle a été sacrée révélation au festival du film de Cabourg), quand des comédiennes confirmées (Laetitia Dosch pour la plus fameuse) en sont à briguer le titre de… meilleur espoir féminin. Il est bien évident que ni Canal +, ni les élans du cœur de Nicolas Bedos n'ont aucune espèce de rapport avec ce cadeau tombé du ciel (Dany Boon en sait quelque chose) :

A vrai dire et sauf notre respect pour Nicolas Bedos, on n’est pas bouleversé outre mesure : Laetitia Dosch est effectivement un espoir pour le cinéma français.

Womanhood in Nothingwood

C’est déjà plus habituel (mais pas moins énervant) : les femmes sont encore une fois largement écartées des récompenses liées à la mise en scène. De fait, elles sont mieux représentées en France qu’aux Etats-Unis (une quinzaine de nomination et cinq prix dans l’histoire de la compétition), mais il faut dire qu’elles tournent beaucoup plus en proportion. Cette année, aucune n’est représentée dans la catégorie meilleur film, une seule en réalisation et pour le reste on touche du doigt quelque chose comme le désert des citations. On aurait pu espérer que les affaires Weinstein ou celles liées à la Cinémathèque Française entraînent quelque prise de conscience, quelque retentissement, mais manifestement l’amour du long fleuve tranquille a tout emporté dans son sillage : dans la catégorie maîtresse, rien pour Hélène Cattet, ni Julia Ducournau, ni Carine Tardieu, ni aucune des cent autres réalisatrices ayant officié en France en 2017, quand cinq films réalisés par des hommes (à l’intérêt tout relatif par ailleurs) sont nommés à la fois dans les catégories meilleur film et meilleur réalisateur.

En documentaire, rien pour Mariana Otero (L'Assemblée) ou Sonia Kronlund (incroyable Nothingwood)… La liste serait bien trop longue à égrener ici, mais pour ceux qui douterait du problème, l’exemple le plus éloquent reste celui d’Hubert Charuel (dont personne ne remet le talent en cause), nommé à la fois dans la catégorie meilleur réalisateur, meilleur film et meilleur premier film ! Peut-être y aurait-il moyen de disperser les nominations avec plus de de bonheur et d’intelligence, de promouvoir un cinéma plus riche et varié que ce que la cérémonie voudrait montrer. Non, tout ce que démontre cette sélection, c’est que nos professionnels de cinéma sont toujours plus attachés aux valeurs de la France éternelle (ses vaches, ses réceptions mondaines, ses Goncourt, ses vieilles icônes de la chanson) qu’à la vibration colorée d’un monde en proie à quelques soubresauts. 

Du côté des autres oubliés notables, on peut citer encore l'une des meilleures comédies françaises de l’année (Problemos d’Éric Judor), écrite au scalpel par Noé Debré et Blanche Gardin (tiens, tiens), l’ahurissant Jeannette de Bruno Dumont, les ors majestueux de L’Opéra de Jean-Stéphane Bron et encore, en vrac : Les Fantômes d'Ismaël d'Arnaud Desplechin ou La Villa de Robert Guédiguian et Ava de Léa Mysius (tout deux pourvus d'une maigre nomination dans un meilleur second rôle).

Oh hé, c'est pas fini oui ?

Ne soyons pas bégueules, il y a quand même quelques motifs de satisfaction cette année : on se réjouit d’espérer un prix pour Le Redoutable, merveille de mise en scène tragi-comique repartie bredouille un peu partout l’année dernière ou Faute d’amour, chef-d’œuvre injustement récompensé d’un piteux prix du jury à Cannes. Du côté des comédiens, du beau monde, aussi : Marina Foïs dans L’Atelier, toujours incroyablement juste ; Swann Arlaud et son corps frêle tout en incandescence contenue ; l’essentiel du casting de 120 Battements par minutes enfin (avec une préférence pour Antoine Reinartz, bluffant en réplique de Didier Lestrade). A cela s’ajoute une très bonne sélection documentaire (excepté l'absence de Sans Adieu, sur le crépuscule du vieux monde, doublement posthume : son réalisateur est mort avant la sortie). Enfin, Guillaume Gallienne et son théâtre de boulevard filmé, qui avait partagé la rédaction de Télérama, n'aura plus l'heur de truster cinq César majeurs de la compétition (au nez et à la moustache de L'Inconnu du lac). 

Voilà, nous reste à vous remettre en tête l'ensemble des nominations, avant de vous demander très prochainement, de voter pour vos favoris... 

[Edit : Nous avions écrit initialement que Les Tuches 3 pouvait remporter le "César des entrées", ce qui est impossible, puisque seuls les films sortis entre le 1er janvier et le 31 décembre de l'année précédente sont admis à concourir.]

La 43e édition des César se déroulera le 2 mars 2018 à la salle Pleyel à Paris, en l'honneur de Jeanne Moreau. C'est l'humoriste et comédien Manu Payet qui en sera le maître de cérémonie. 

 

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18 commentaires
  • Findugame
    commentaire modéré @zephsk La première photo qui donne envie de cliquer, c'était bien trouver !
    8 février 2018 Voir la discussion...
  • Findugame
    commentaire modéré Trouvé oh.
    8 février 2018 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré C'est une compression de César...
    8 février 2018 Voir la discussion...
  • Findugame
    commentaire modéré @zephsk J'avais bien compris, mais c'est pas le trophée qu'on attribue normalement c'était "rigolo". Voilà tout.
    8 février 2018 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré @Findugame Je suis un mec éminemment rigolo
    9 février 2018 Voir la discussion...
  • Findugame
    commentaire modéré @zephsk Votre éminence.
    11 février 2018 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré Edit : Nous avions écrit initialement que Les Tuches 3 pouvait remporter le "César des entrées", ce qui est en fait impossible, puisque seuls les films sortis entre le 1er janvier et le 31 décembre de l'année précédente sont admis à concourir.
    13 février 2018 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré C'est donc bien Dany Boon qui l'emportera
    13 février 2018 Voir la discussion...
  • Cataclysme
    commentaire modéré @zephsk J'avais raison :)
    13 février 2018 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré @Cataclysme Oui, il y avait un petit imbroglio, des films qui font encore des entrées jusqu'à huit semaines en 2018 sont admis à concourir, mais uniquement dans la mesure où ils sont sortis au plus tard le 31 décembre 2017. C'est qui est plutôt logique par ailleurs
    13 février 2018 Voir la discussion...
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