Leonardo DiCaprio : grandeur et décadence du meilleur acteur d'Hollywood
A l'affiche de Gatsby le Magnifique qui a ouvert hier le festival de Cannes 2013, Leonardo DiCaprio a récemment déclaré vouloir faire une petite pause. Retour sur les hauts et les bas de la carrière d'un acteur exceptionnel.
L'adolescent que j'ai été lui en a beaucoup voulu. Il fallait le voir, blond à n'en plus pouvoir, nous narguer sur les murs des chambres de toutes les filles. Car, s'il n'a pas commencé par là, c'est bien à l'aube de mes 13 ans - une semaine de janvier 1998 - que Leo est apparu dans ma vie. A la différence de sa partenaire à l'écran qui était sans conteste déjà « une femme », le Jack de Titanic avait un je ne sais quoi d'adolescent qui faisait de lui un rival virtuel. Tout ça n'a bien sûr aucun sens ; en réalité Kate Winslet est même légèrement plus jeune que DiCaprio. Mais le mal était fait, une génération de jeunes filles avaient trouvé leur Roméo car, à l'époque, j'avais également sauté un épisode. Leo avait en effet déjà conquis quelques early adopters un peu plus d'un an auparavant avec son rôle dans le Roméo + Juliette de Baz Lurhmann.
A mes yeux, et pendant au moins deux ans, le blondinet ne fut rien d'autre que l'agaçant idéal masculin de toutes les filles de mon age. La plaie. Le découvrir, avec un peu de retard, emballer Sharon Stone dans le Mort ou vif de Sam Raimi n'arrangeait rien à son cas.
Toujours est-il que, frustré, j'ai commencé à suivre avec attention la carrière du jeune homme. Les deux films qui ont immédiatement suivi Titanic dans la carrière de cette nouvelle star planétaire ont d'ailleurs suscité un engouement inhabituel. Comme un PSG-OM devient « le premier match de Beckham au PSG » un bon vieux navet en costumes et un film relativement mineur de Woody Allen ont pu être vendus comme « les nouveaux films de DiCaprio ».
Une bête de concours ?
Je ne découvrirai La Plage que sur le tard, c'est donc en très bonne compagnie que je retrouvais Leo en 2002 dans deux rôles très différents pour Steven Spielberg et Martin Scorsese. Dès lors, sa carrière prend un réel tournant et l'on se retrouve contraint de commencer à considérer DiCaprio comme un acteur sérieux et adulte, ce qui, à Hollywood est syonyme de chasseur de statuettes. A vrai dire, en regardant d'un peu plus près sa filmo, on réalise que l'acteur était promis à la récompense suprême depuis ses tout premiers films. Gilbert Grape de Lasse Hallström lui avait même offert une première nomination dès 1993 ; il y incarnait le jeune frère handicapé de Johnny Depp. Jusqu'à aujourd'hui pourtant, l'Oscar lui a toujours échappé. Et c'est là que son cas commence à être intéressant.
2002 est d'autant plus une année charnière qu'il entame avec Gangs of New York une collaboration régulière avec Scorsese. Ce faisant, Leo marche dans les pas de De Niro, son acteur préféré. Son statut, aujourd'hui confirmé, de nouvelle muse de Marty constitue l'un des aspects les plus intéressants de son travail. On notera au passage que Scorsese opère avec DiCaprio l'acte inverse de ce qu'il avait fait avec De Niro plusieurs dizaines d'années auparavant. De Robert De Niro, acteur découvert par De Palma, Scorsese avait fait une star (avant que Coppola ne finisse le travail avec Le Parrain 2), mais de DiCaprio révélé au monde entier par Cameron, Scorsese fait un acteur.
S'il y avait encore un doute à ce sujet, Aviator dissipera tout malentendu en 2004. L'artiste séduisant de Titanic est bien loin. DiCaprio se donne à fond dans un rôle dur au mâle. Troubles obsessionnels compulsifs et bouteilles d'urine, l'acteur pulvérise son étiquette de jeune premier façon puzzle. Il est un Howard Hugues éblouissant. Peut-être un peu trop. En se jetant la tête la première dans les rôles à Oscar, Leo s'est collé une autre étiquette, bien plus problématique, celle de l'éternel perdant. La recette finira par tourner au vinaigre en 2011 pour le J. Edgar de Clint Eastwood. Méfie-toi Léo, don't try too hard (that's what she said).
La main ferme
Pourtant, pourtant, la révélation allait venir. Nous sommes en 2006, DiCaprio a passé les trente ans et j'en ai un peu plus de 20. Le film s'appelle Les Infiltrés et c'est le remake sidérant d'un excellent polar hong-kongais qui vaudra à Scorsese son premier Oscar. Une scène de bureau simplissime. Son personnage a rendez-vous avec une psy (l'excellente Vera Farmiga) imposée par son employeur, Leo tend le bras et dit : «That's one thing I figured out about myself in prison. My hand does not shake. Ever.». A ce moment très précis, ça ne fait aucun doute, Leonardo DiCaprio est le meilleur acteur du monde.
Tout ça, pourtant, c'était avant son chef-d'oeuvre. On passera rapidement sur ses rôles, solides mais sans trop d'éclats dans Blood Diamond, Mensonges d'État et Les Noces rebelles, car DiCaprio atteint la grâce en 2010. Deux films majeurs : Inception de Christopher Nolan et Shutter Island de Martin Scorsese, deux films jumeaux dans lesquels il tient deux premiers rôles aux correspondances ahurissantes. Avec ces deux films cette année-là DiCaprio fait oeuvre de cinéaste. Quel meilleur exemple pour prouver la pertinence ponctuelle d'une politique des acteurs ? Il faut d'abord dire pourquoi il était essentiel que le rôle de l'inspecteur Daniels de Shutter Island soit joué par DiCaprio dans un film qui marque sa 4ème collaboration avec Scorsese. Il faut comprendre à quel point le niveau d'adhésion du spectateur que procure cette collaboration récurente est importante. Voir en quoi cette confiance solide sert le dispositif du film. Il faut enfin se rappeler comment les deux histoires s'emmèlent et ce qu'elles s'apportaient mutuellement quand, quelques mois après, Inception est sorti.
Un orage et des rêves étranges, un questionnement permanent et irrésolu de la réalité, un drame familial, un travelling à Dachau chez Scorsese, et des cendres qui s'envolent chez Nolan... tout se brouille et tout ne fait finalement plus qu'un pour tutoyer l'histoire du cinéma et même l'histoire tout court. En définitive, ce diptyque n'a qu'un centre de gravité, ce n'est pas la toupie d'Inception ou la tour de Shutter Island, c'est le regard de DiCaprio qui doute.
Du pareil au mème
Tandis que sa carrière atteignait les sommets au cinéma, Leo est également devenu une star des Internets. On tient d'ailleurs peut-être là l'un des signes de son importance dans l'imaginaire collectif des digital natives.
En quelques mois l'acteur a ainsi été l'objet non pas d'un mais de trois mèmes importants.
Strutting Leo
Le premier est né d'une photo insolite prise sur le tournage d'Inception à Paris. Ce Strutting Leo, pendant parfait du Sad Keanu, a vu sa marche triomphante détournée de glorieuses manières par l'Internet mondial. Pourtant cette image sonne faux. Si elle tranche évidemment avec l'ambiance du film, elle jure aussi avec la personnalité supposée de l'acteur. Par la magie de l'Internet viral, l'acteur ajoute discrètement une gamme à son jeu : on peut dès lors s'imaginer un DiCaprio facétieux.
We need to go deeper
Mais le mythe numérique qui lui est consacré ne pouvait s'arrêter en si bon chemin. Quelques temps après, son regard plissé dans une scène d'Inception devient la chute visuelle d'un autre mème majeur : «We need to go deeper», rien de moins qu'une entrée directe dans le panthéon de la pop culture.
Bad Luck Leo
Toujours est-il que malgré ses succès populaires et critiques, DiCaprio manque à nouveau l'Oscar. Et s'il était tout simplement malchanceux ? L'acteur aura-t-il été la victime à retardement de milliers de poupées vaudoux fabriquées par les ados frustrés de ma génération ? Peut-être, toujours est-il que la tendance est nette : l'acteur, comme les personnages qu'il incarne, a une sacrée poisse. On peut même le surnommer Bad Luck Leo.
Ci-dessous quelques unes des meilleures occurences de ce mème, et beaucoup d'autres par ici (si toutefois vous ne craignez pas les spoilers le concernant).
Ses échecs répétés aux Oscars font d'autant plus mal que ses partenaires ont en général plus de veine. On a par exemple déjà parlé du succès de Scorsese pour Les Infiltrés, Titanic est l'un des films les plus récompensé de l'histoire et Leo n'avait même pas été nommé. Kate Winslet sa partenaire dans le film avait manqué la statuette de peu cette année là avant de recevoir l'Oscar pour The Reader en 2009. Même topo pour Claire Danes, sa Juliette, qui collectionne aujourd'hui les Golden Globes avec Homeland...
La rumeur voudrait que l'acteur soit mal vu par l'Academy en partie à cause de sa vie privée. S'il faut avouer qu'il y a, avec la liste de ses conquêtes, de quoi tourner un reboot international de Classe Mannequin, il est temps de grandir et de cesser de jeter la pierre à cet interprète de génie.
La légende de l'acteur mouillé
Magnifique chez Tarantino, on pouvait l'espérer déchainé dans le nouveau film de Buz Luhrmann ; et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il répond présent. A vrai dire, il porte entièrement le film. N'apparaissant qu'au terme d'une longue exposition de 30 minutes, son personnage bénéficie à la fois de l'aura de la star mais aussi de la superposition des rôles marquants de l'acteur. La puissance d'évocation dont il est aujourd'hui capable culmine dans la scène où il retrouve Daisy chez Nick. Bouleversé par l'émotion, et alors que dehors il pleut à torrent, il s'enfuit dans le jardin avant de se décider à revenir complètement trempé. Le champ-contrechamp qui suit a beau être ultra-classique il s'avère renversant.
Car ce Leo dégoulinant c'est aussi celui qui séduisait Juliette dans la piscine d'une relecture pop de Shakespeare, celui qui sauvait Rose du nauffrage du Titanic, celui qu'on retrouvait, accablé par l'orage, dans Inception et Shutter Island. On ne badine pas avec l'histoire du cinéma. S'étant forgé, rôle après rôle, une carrière éblouissante : Leonardo DiCaprio n'aura peut-être jamais l'Oscar. Ce n'est pas grave, il est déjà une icone.
Pour ce qui est de Leo, il recevra bien un Oscar d'honneur au moins ...