Poulet aux prunes : délires et mélanges des genres
Poulet aux prunes est une belle histoire d'amour, et aussi de mort, portée par les accents graves du violon. C'est surtout un film hybride et graphique qui joue avec les genres et les références.
Dessinateurs de BD à l'origine, Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud s'amusent, dans Poulet aux Prunes, à concocter un mélange gourmand de genres autour de l'histoire du violoniste Nasser Ali Khan (Mathieu Amalric). Certaines scènes créent même la surprise totale : c'est la fameuse scène qui nous fait nous dire « what the fuck? » et qui nous fait soudain basculer dans le grand n'importe quoi. Poulet aux Prunes regorge de ces incartades, alors qu'est ce qui plaît tant dans ce mélange débridé des genres ?
Du coup de crayon dédramatisant...
Prendre le crayon plutôt que la caméra autorise de belles inventions dont les buts varient de films en films. Dans Poulet aux Prunes, une séquence animée se dévoile à la faveur d'une anecdote que raconte la Mort (Edouard Baer) à Nasser Ali. Évidemment c'est le décalage entre le dessin, qui donne une allure cartoonesque aux protagonistes, et le sérieux de l'affaire évoquée (la Mort raconte la fin d'un homme) qui rend drôle cette histoire. Le passage au dessin est ainsi une respiration dans un film, qui peut aussi rendre divertissant un moment somme toute assez ennuyeux. Ainsi dans Be Bad, le périple du héros (Michael Cera), flanqué de sa mère et de son affreux beau-père est raconté en animation volume. Évacuer le corps en le remplaçant par des marionnettes inspire ainsi plus de représentations qu'il serait possible de faire, comme dans Team America police du monde où une scène très explicite est rendue moins crûe grâce aux poupées :
Attention ! Scène torride ! extrait de Team America police du monde
Le dessin, en permettant de raconter de façon détournée les choses, est ainsi aussi utilisé comme satire, à l'image du récit fait de l'arrivée des Blancs aux Etats-Unis dans Bowling for Columbine de Michael Moore, qui rend drôle une histoire plutôt dramatique grâce à la caricature. Marjane Satrapi avait également eu recours au dessin satirique dans Persepolis où l'histoire du Shah d'Iran change de style graphique pour évoquer un théâtre de guignols où transparaissent les manipulations politiques à l'origine de la dictature du pays. Le dessin raconte mais se moque aussi.
Petite histoire de l'Iran extrait de Persepolis
Le recours au dessin répond ainsi souvent à un processus de dédramatisation qui permet d'atténuer le drame où de l'exprimer moins durement. Dans Kill Bill de Quentin Tarantino, la terrible enfance d'O-Ren-Ishii (Lucy Liu) est racontée en animation japonaise, et même si cela n'enlève rien à la violence des images, ce type de représentation évacue l'inévitable organicité du corps pour transformer le prosaïque en romantisme. Dans cette séquence ce n'est pas du sang qui jaillit du corps du meurtrier mais un torrent d'hémoglobine.
...à la scène WTF
La scène « what the fuck » c'est celle qui fonctionne comme un électrochoc, vous sortant brutalement de la tranquille torpeur dans laquelle vous étiez plongé. Elle réveille les neurones et relance en général l'intérêt pour la suite des événements. Cependant la scène complètement incongrue c'est aussi celle qui fait rire et qui détend un peu l'atmosphère comme celle ultra tendue de Shining de Stanley Kubrick :
Ours cauchemardo-flippant extrait de Shining
Poulet aux prunes ne manque pas de ces petits moments complètements farfelus qui répondent à une envie de soubresaut comique. Et pour faire rire, rien de mieux qu'une scène wtf qui coupe la solennité d'un personnage. Ici c'est la mort qui apparaît à Nasser Ali sous la forme d'un personnage tout de noir vêtu qui inspire une forte inquiétude. Jusqu'à ce que l'on découvre le sourire béat d'Edouard Baer qui s'assied au bord du lit pour commencer à discuter tranquillement. Le personnage étrange peut ainsi faire sourire en s'adonnant à de banales activités humaines comme dans Donnie Darko où Frank le lapin est tranquillement installé au cinéma :
Qui est Frank? extrait de Donnie Darko
Le rêve est le lieu privilégié de la scène wtf, par toutes les possibilités que le délire peut offrir. Dans Poulet aux Prunes, Nasser rêve d'une femme aux gros seins qui s'approche de lui, pour découvrir qu'il s'agit d'une géante. Cette séquence fonctionne comme un clin d'oeil à Parle avec elle où l'infirmier s'imagine rapetisser jusqu'à entrer dans l'intimité de la femme. Le rêve c'est l'incarnation d'un fantasme. Le cinéma se charge ainsi de faire de chaque scène fantasmagorique un délire créatif : comme cela était le cas avec le trip de The Dude (Jeff Bridges) dans The Big Lebowski :
Dans Poulet aux prunes, les Usa deviennent, à la faveur d'une de ses scènes de patchwork, la cible d'un joli pastiche de sitcom. En effet, l'avenir du fils de Nasser Ali nous est dévoilé. Ce dernier va immigrer aux États-Unis et fonder une famille là-bas. Toute la séquence reprend les codes de la sitcom : décor unique et simpliste, couleurs pastels, rires préenregistrés. Une séquence complètement déconnectée du film qui s'apparente au bad trip de Jean Dujardin dans 99 F, qui lui aussi se retrouve catapulté dans un décor de publicité américaine :
Groobad extrait de 99 francs
Poulet aux prunes réussit ainsi savamment à faire oublier à ceux qui n'aiment pas les histoires d'amour que le rire n'y est pas pour autant absent. Noter tout de même que le pourcentage de scène incongrues est en général inversement proportionnel à la qualité du film, gare aux trop plein de n'importe quoi donc !
Pour aller plus loin, n'hésitez pas à aller faire un tour sur la liste WTF ?