Pourquoi “Parasite” de Bong Joon-ho ressort en version française ?
D’abord programmé en VOSTF, Parasite (2019) de Bong Joon-ho va finalement ressortir en version française, à la faveur d’un succès inattendu. The Jokers, la société qui distribue le film, s’explique sur cette stratégie inédite, qui en dit beaucoup sur le paysage cinématographique français.
L’éternelle querelle entre défenseur du cinéma en version originale et amoureux de la langue de Molière n’a pas fini de faire jaser. Parasite, première Palme d’or attribuée à un film coréen, va en effet bénéficier d’une ressortie, cette fois en VF, après une exploitation strictement en VO. Sur les réseaux sociaux, l’agacement est pourtant palpable :
parasite en VF???????? pire idee 😔
— dz cowboy🤠☠(@khtsnoe) July 22, 2019
C'est tout de même dommage qu'un film comme Parasite ait besoin d'être doublé en VF pour tenter d'attirer un plus large public français dans le sens où, ce n'est que mon opinion bien sûr, on va forcément perdre en qualité du jeu des acteurs etc. Je m'explique :
— flo💫 (@jhspacino) July 23, 2019
Les uns regrettent qu’on dénature le film avec un doublage pour en assurer la popularité. Les autres reprochent au distributeur de ne pas avoir sorti le film directement dans les deux formats, snobant ainsi la France des petites et moyennes communes, la France périurbaine et la France rurale, soit la grande majorité des spectateurs. Nous ne ferons pas ici l’arbitrage entre deux formes imparfaites (les sous-titres parasitent l’expérience visuelle et sont parfois utilisés pour des motifs plutôt inavouables, le doublage quant à lui change la nature du film, sa musicalité, parfois ses codes culturels.)
Mais de fait, il faut reconnaître que la VO ne concerne presque exclusivement que les grandes métropoles et reste très peu usitée dans le reste de la France, (la faute, essentiellement, à une consommation plus opportuniste et familiale, peu encline aux “difficultés” du sous-titre) privant ainsi d’une Palme d’or l’essentiel de la population.
The Jokers s’en explique sur son site. D’abord le doublage coûte beaucoup plus cher : en sus de la traduction, il faut en effet ajouter les frais liés à l’enregistrements des voix (location d’un studio, comédiens) et au remixage du son. Or The Jokers est un petit distributeur indépendant, à l’équilibre financier précaire, dont les marges de manoeuvres sont faibles. Ensuite, le cinéma coréen reste en France un marché de niche. Pour les plus gros “cartons” coréens, comme Dernier Train pour Busan (2016), Old Boy (2003) ou Mademoiselle (2016), la fréquentation en salle oscille entre 200000 et 300000 entrées (si on excepte Snowpiercer, qui a cumule 678 049 entrées en 2013, mais de langue anglaise).
La faute aux exploitants, aux distributeurs, aux spectateurs ? L’oeuf ou la poule ? Impossible de répondre, mais en comparaison, c’est dix fois moins que Toy Story 4 (2019), vingt fois moins que Qu’est-ce qu’on a encore fait au bon Dieu ? (2019). Et la Palme d’or n’est pas plus un gage de réussite. On l’a vu notamment avec Oncle Boonmee (2010), dont les charmes thaï ont péniblement attiré 127197 spectateurs. On comprend alors assez facilement la prudence du distributeur, qui veut avant tout éviter de disparaître.
Sauf que voilà, genre plus en phase avec les attentes, bande-annonce percutante, bouche-à-oreille, quelles qu'en soient les raisons : Parasite a cartonné. 1 202 510 entrées en six semaines d’exploitation, du jamais vu pour un film coréen dans l’hexagone. Des rentrées d’argent bienvenues qui permettent à leur tour de financer une nouvelle exploitation, cette fois-ci avec doublage, tout en bénéficiant en amont d’une forme de projection-test géante ainsi qu’une publicité idoine.
Un modèle à suivre ? Pas sûr : tout porte à croire que la chose restera exceptionnelle, mais en tout cas, peut-être permettra-t-elle de faire mieux connaître le cinéma coréen, et pourquoi pas d’attirer davantage de spectateurs vers des horizons plus lointains. Qui s’en plaindrait ?
En attendant, la bande-annonce en VF est là :
https://youtu.be/NT860dpQyF4