Et si on arrêtait l'escalade du papier le plus con sur “Game of Thrones” et “Avengers” ?
Après avoir trusté les écrans et les audiences une décennie durant, les deux gros géants de l’entertainment, Game of Thrones et Avengers, mettent un point (virgule) à leur saga. Portées par une stratégie transmédia agressive, elles inondent les réseaux de contenus dont la presse fait ses choux gras. Jusqu’à l’absurde.
The Gold Rush
Nous vous en parlions peu avant la sortie d’Avengers : Endgame : saturer le paysage médiatique de sujets en lien avec des oeuvres populaires bénéficie à la fois aux industriels du divertissement et aux médias, les premiers profitant d’une publicité gratuite et les seconds s’assurant un clickbait facile pour briller sur Google Analytics. Il n'y a aucun mal à tirer tout le lait des deux plus grosses mamelles de la pop culture mondiale, comme nous le faisons ici nous-mêmes, particulièrement lorsqu'on en extrait des réflexions politiques, culturelles ou esthétique. De leur côté, les sites d’infotainment auraient tort de se priver de sujets allant des sextoys Avengers à la permaculture façon Westwood : après tout, c’est un peu leur fond de commerce. Sur Biiinge, le volet série de Konbini, on ratisse large, depuis longtemps : aujourd’hui, sur huit contenus random, sept concernent Game of Thrones, tout ceci en seulement vingt-quatre heures :
Autre exemple pris au hasard de la toile : sur la home du site The Ringer, excellent webzine au demeurant, un onglet spécialement dédié à la série médiévale-fantastique compte quelque chose comme 410 articles, soit un tous les trois jours depuis quatre ans. On ne cherche même plus à mesurer la couverture qui en est faite sur les sites plus “institutionnels”, elle est tout aussi dantesque. Mais le filon se tarit : plus que deux épisodes pour Daenerys Targaryen (on lui souhaite) et une exploitation de quelques semaines pour le dernier opus du premier grand arc du MCU, avant que l’irrévocable ne se produise. Alors on creuse. Et ça devient n’importe quoi.
Du grain à moudre
Le climax, c’est sans doute ce latte Starbucks innocemment oublié dans le champ d'une scène de GoT. Genre d’anecdote qui finit habituellement dans quelque vidéo répertoriant des faux raccords et faisant rire à peu près trois personnes en France. Eh bien cette fois, tous les médias, en France comme partout ailleurs dans le monde, s'en sont fait l'écho. La chose est-elle intentionnelle ? Faut-il y voir un oracle ? Mystère… L’exécutif de HBO a pris la chose à la rigolade, a effacé l'objet du délit, mais les fact-checkers de Libé ont veillé au grain : oui ou non, s’agit-il d’un plan média, un placement produit ? Place Beauvau, ça s’agite. Christophe Barbier entortille fiévreusement son écharpe en lisant ses notes : oui, ce simple gobelet vert olive marque immanquablement la fin des Gilets jaunes. Résultat bien réél de toute cette agitation médiatique : une immense pub estimée à deux milliards de dollars offerte gracieusement à Starbucks.
Sur Allociné, on ne dit plus que Benedict Cumberbatch jouera dans The Power of the Dog de Jane Campion, mais qu’il y aura “ 'du Avengers' dans son prochain film” : exit Hamlet et Cheval de guerre (2011), l’acteur londonien n’est plus qu’un émissaire du Marvel Cinematographic Universe. C’est tout juste s’il a eu la chance de ne pas finir dans “du Top of the Lake”. On l’a échappé belle : la série de la réalisatrice australienne n’est plus en trending topic. Nos confrères de Première quant à eux signalaient mardi en une de leur dossier Robert Redford qu' “Avenger : Endgame est bien le dernier film de l’acteur”. Fait le plus notable de sa carrière et de sa retraite. Quelques heures plus tard, la une était de toute façon remplacée par “Avengers Endgame : Le super-héros que les scénaristes n'ont pas pu utiliser”, entre autres dizaines d'articles en ce sens.
Honi soit qui mal y pense
On a cru pouvoir respirer un peu d'air frais quand, après un troisième article sur la typologie des furoncles dans le Westeros, IndieWire ("le choix de l'indépendance créative") a partagé, enfin, la bande annonce inédite du prochain Dumont : Jeanne, sélectionné au Festival de Cannes, à Un Certain Regard. Que nenni bande de pelotes de réjection de corbeau messager ! On nous a vite rassurés sur le vrai sujet de l’article : "la saga médiévale de Bruno Dumont n'a rien à voir avec Game of Thrones". Sérieusement ? Quel spectateur ayant vu deux plans de L’Humanité (1999) ou P'tit Quinquin (2014) soupçonnerait que la Pucelle d’Orléans façon Dumont va ressembler aux intrigues du soap opera de HBO ? On en vient à se demander si le fameux canard "indé" ne cherche pas (en sus de cajoler son taux de pénétration) à prévenir en loucedé l'intrépide festivalier amoureux de GoT qu'il risque de bien se faire chier devant les oratorios électro de Christophe.
Le prévenir et parfois le prendre, quand même, pour un demi demeuré. Ainsi, après que la twittosphère s'est émue que l'épisode 3 de GoT était beaucoup trop sombre, les articles ont abondé pour expliquer... comment modifier les réglages de son téléviseur. En substance : en augmentant la luminosité de son écran, en éteignant les loupiotes de son appartement et éventuellement en mettant la main au portefeuille pour un Oled à 3000$...
Il est évidemment impossible de répertorier toutes les âneries jaillissant de cette course à l'échalote et il ne nous appartient pas de faire le procès de la presse, qui doit bien vivre. Peut-être toutefois aurions-nous pu profiter d’analyses et de recommandations un peu plus variées, plutôt que de finir par ne plus vouloir entendre parler de ces deux oeuvres immenses et pétries de qualités. Pourquoi ne pas avoir laissé un peu plus de place, par exemple, à ces dix séries nées en 2019 qui constituent le top annuel de Vodkaster ? Ou encore à Chernobyl, qui s'annonce monstrueux ? Sans oublier par exemple, la fascinante Villanelle ? Pour ceux qui en redemandent quand même, rassurez-vous, on nous annonce quelques spin-off autour de l’univers de GoT et bien sûr, le second arc du MCU. Sans oublier Star Wars IX les quatres suites d’Avatar (2009), jusqu’en 2027. Youpi, on va baigner dans les godes Shang-Chi, Wookie et Na’vi pendant encore dix ans. Bienvenue dans les 2020’s.
Je crois que c'est surtout pour suivre des tendances, en ce moment elle vise à démonter la dîte série par tous les moyens possibles, comme il en a été de même pour Star Wars 8, et maintenant pour la synthèse du film mcguffin de super-héros, d'habitude tous tant adulés.
Ne serait ce pas plutôt un constat amer de la part de ces suiveurs quelque soit le support que de cracher dans la soupe, une fois qu'elle a refroidi ? C'est bien ce qui singularise la population française, après tout, et encore plus sur ce qui relève de la pop culture, dont la relation vire vraiment au "je t'aime, moi non plus".