The Lady : comment Luc Besson a loupé son film historique ?
Le cinéaste Luc Besson est fasciné par les femmes fortes. De Nikita à Leeloo dans Le Cinquième Élément, en passant par Jeanne d'Arc, elles émaillent sa filmographie. Avec The Lady il met en scène l'incroyable destin d'Aung San Suu Kyi, figure de la résistance non-violente en Birmanie, personnage incontournable de l'histoire récente. Voyons comment s'en sort ce spécialiste du cinéma d'action...
Le film historique doit parfois jouer des coudes pour trouver sa place dans les salles de cinéma. Aridité des faits commentés, intrication de grands événements politiques, nécessité d'un point de vue mais toujours en vue l'écueil du donneur de leçons ; faire un film historique peut aujourd'hui relever autant de la fainéantise que de la prouesse. Matériel narratif prémâché ne veut pas dire facile à digérer. Revenons sur les grandes caractéristiques des films historiques passés, leurs tentatives pédagogiques et leurs destins brisés, tant d'armes aussi efficaces qu'elles s'avèrent à double-tranchant. Dans les mains de Luc Besson, avec The Lady, ces armes deviennent de véritables instruments de torture.
Les sacrifiés de l'histoire
Aung San Suu Kyi, la lady de Luc Besson (jouée par Michelle Yeoh), figure politique birmane et prix Nobel de la paix, est une sacrifiée de l'histoire. Dans une posture de protestation non violente, elle accepta durant près de vingt ans son assignation à résidence alors qu'elle avait remporté les élections générales birmanes. Un monstre de courage et d'abnégation, qui fit de sa vie un combat contre le temps et l'horreur politique. Le sujet parfait de cinéma, car figure d'une histoire trop belle pour être de la fiction, presque trop belle pour être vraie. Luc Besson réduit ce combat à une immense patience, quelques banderoles peinturlurées et une conviction qu'il n'explique malheureusement jamais. Toute petite dévotion d'une femme pour un peuple entier, Besson ne sait pas sur quoi faire reposer le courage de son personnage, le délestant de toute profondeur psychologique. Pour lui, l'explication de son engagement est simple : face à la barbarie de son pays, on ne peut que se battre, et être prêt à se sacrifier. Si seulement.
D'autres ont pourtant su avant lui filmer des guerres qui n'avaient plus lieu sur le front, mais dans un pays en ruines, asphyxié par les demandes économiques ou les bombardements. Dans Allemagne année zéro, de Rossellini, l'Allemagne est redécouverte ravagée au lendemain de la guerre. Une famille berlinoise essaie de survivre dans les décombres, malgré le manque d'argent et de nourriture. Une position fataliste, où l'espoir n'est que très peu permis. Autre pays, autre perspective. Dans Le Tombeau des lucioles, d'Isao Takahata du fameux Studio Ghibli, deux enfants, frère et soeur, tentent de survivre seuls à l'été 1945. Sans le sou, sans logis, ils vont devoir voler pour se nourrir, et vont se créer un petit paradis à l'abri des regards. Peu importe le dénouement, la douceur de l'enfance ne sera pas écornée. Malgré la maladie, le rejet, toutes les peines du monde, Seita et Setsuko trouvent du réconfort dans les plus petites choses.
Les lucioles extrait de Le Tombeau des lucioles
De grandes figures politiques
Rendre plus humaines ces figures de l'histoire que nous connaissons plus pour leurs combats que pour leurs personnalités, voilà le pari de taille relevé par une tripotée de biopics. The Queen, de Stephen Frears, raconte les rapports entre la reine Elizabeth II et Tony Blair. Ou comment les rapports de force influent sur la direction que peut prendre un pays. Le personnage d'Harvey Milk, d'un dimension plus modeste, a été incarné par Sean Penn dans le film du même nom, selon la vision de Gus Van Sant. Homme politique américain, militant pour les droits des homosexuels, c'est par ses choix de vie que s'expliquent, selon le film, les positions de l'homme politique. Cela peut paraître d'une logique implacable certes, mais l'image de l'homme politique est alors incarnée par le ciselage du dialogue, ses excès, ses prétentions, son intimité. Une cohorte de choses qu'on a volé à The Lady, devenu figure de proue d'un pays en pleine révolte silencieuse et qui semble vivre son engagement comme on attend son tour chez le coiffeur. De sa solitude, on gardera un quotidien banal, presque une abdication, une façon de vivre recluse tout en étant le centre de l'attention médiatique ; une ambiguïté qui aurait mérité d'être d'avantage creusée par le film.
Plus tôt cette année, Le Discours d'un roi de Tom Hooper s'intéressait également à l'intimité d'une figure politique connue : celle du roi George VI. Colin Firth y incarne un homme aux responsabilités politiques nouvelles et en proie au doute. En effet, son bégaiement l'empêche de prendre la parole en public, ce qui pourrait s'avérer très handicapant pour sa carrière politique. En analysant cette spécificité du chef d'état, le cinéaste propose une relecture des grands événements de l'histoire anglaise, au moment où le pays entre de plain-pied dans la Seconde Guerre mondiale.
Exercices d'élocution extrait de Le Discours d'un roi
L'amour comme moteur de l'histoire
Pour éviter l'écueil de la reconstitution glaçante, les films précédemment cités tentent de jouer la carte de l'identification et justifient les décisions et les prises de position par la raison universelle par excellence : l'amour de son prochain. Voilà qui est tout à fait à la portée de Luc Besson, c'est d'ailleurs dans cette perspective que son film réussit le mieux. The Lady expose les allers-retours de plus en plus épuisants entre la Birmanie et l'Angleterre, ceux de Suu Kyi mais également de son mari et de ses enfants, qui font tout pour la supporter dans sa démarche. Embrassades à répétitions, retrouvailles sitôt célébrées qu'elle se muent en adieux supposés, les années passent, le vieillissement fait son oeuvre, à tel point que nous n'arrivons plus très bien à nous situer chronologiquement, observant cette famille coincée dans un espace-temps qui semble suspendu.
Massacre à l'hôpital extrait de The Lady
D'un simplisme confondant, d'une naïveté mi-candide mi-obstinée, nous nous retrouvons à observer un agrégat de situations qui semblent déconnectées les unes des autres, juxtaposées, ponctuées de discours humanistes sans fondement et de retrouvailles familiales émouvantes jusqu'à l'excès. Ce qui manque à cet hommage bien confectionné c'est avant tout une articulation entre ses différents éléments, son combat, sa rage politique, son histoire d'amour qui semble être le vecteur principal de la vie de Suu Kyi. Jamais nous n'approchons l'ampleur du drame birman, sa véracité historique, nous l'effleurons par quelques moments criards, où on montre les dictateurs en place comme des gens vraiment très méchants et leurs sous fifres comme des hommes ravagés et muselés, tellement déshumanisés qu'ils ne savent même plus ce qu'est la musique. D'un acte de bravoure extraordinaire, Besson ne retire qu'une grossière lutte entre le bien et le mal, comme s'il voulait livrer son grand film témoin sur la dictature et ses méfaits. Il laisse alors de côté le spectateur tout comme son sujet.
Image : © EuropaCorp
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Neurch30 novembre 2011 Voir la discussion...
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bonnemort30 novembre 2011 Voir la discussion...