Tout savoir sur... Pina, de Wim Wenders
Chaque semaine, on se penche pour vous sur le film qui fait l'événement. Comment est monté le buzz ? Pourquoi le film est incontournable ? Que faut-il savoir pour briller dans la file d'attente ? On vous dit tout sans trop en dévoiler dans notre rubrique « Garanti sans spoiler ! ».
Ce qu'il faut savoir
Le cinéaste Wim Wenders et la chorégraphe Pina Bausch furent des amis de vingt ans. Depuis tout ce temps, le réalisateur rêvait de capter la grâce des créations de son amie, de les transposer dans un film. Il ne trouvait néanmoins pas la bonne manière d'aborder la danse, la technique la plus adéquate pour la fixer sur l'image. En 2008, le procédé de la 3D fait fureur au cinéma et Wim Wenders est captivé par ce nouvel outil. Avec la collaboration de Pina Bausch, il décide de mettre en images ses danses, mais aussi sa vie. Il veut faire un portrait de l'ancienne danseuse, lui rendre hommage. Seulement une tragédie survient alors que le tournage n'a pas encore débuté : Pina s'éteint. D'abord saccagé, Wenders annule le tournage du film. Il finit, quelques temps plus tard, par décider de reprendre le projet, de faire son deuil à sa manière : plutôt qu'un film sur Pina Bausch ce sera un film pour Pina Bausch. Sa troupe accepte de réinterpréter pour le cinéaste, en intérieur ou en extérieur, les créations de l'une des plus estimées chorégraphes de notre temps.
Danse sous la pluie extrait de Pina
La scène dont tout le monde parle
Outre les longues séquences de ballets filmées par Wenders, la troupe de danseurs de la chorégraphe disparue a tenu à lui présenter ses hommages sous la forme de créations originales, tournées en extérieur. Des duos, couples d'hommes et de femmes, se cherchent et se caressent sur une musique maussade. Fil rouge du film, motif récurrent de la vie qui prend le pas sur l'abysse, la procession de danseurs qui traverse le film. Ils sont tous là, souriants, face à la caméra, interprétant les quatre saisons qui se succèdent indéfiniment. Comme une victoire sur la mort et l'oubli, le cycle des saisons que rien ne peut altérer.
La procession de danseurs extrait de Pina
L'analyse qui fait des ronds de jambe
Depuis l'invention du cinématographe, les réalisateurs et techniciens de cinéma se sont interrogés sur comment filmer la danse, la sonder avec respect, lui rendre hommage avec humilité. Nous nous posions la même question dans un dossier consacré à la question. Force est de constater qu'après des chefs d'oeuvre tels Les Chaussons rouges ou l'acclamé Black Swan, la question reste entière. Comment comprendre le mouvement du danseur, en dessiner les contours à l'image, sans pour autant le galvauder par une mise en scène intrusive ? Comme pour les films de boxe, la danse est avant tout énergie, mouvement, un corps sur un fil tendu entre finesse et saturation. Dans l'hommage qui lui était rendu, intitulé Les rêves dansants, la troupe de danseurs de Pina Bausch était observée à l'entraînement, durant ces moments d'accalmie ou d'exercice qui forge la délicatesse des danseurs.
L'essentiel du jeu de la mise en scène se trouvera donc dans le placement de la caméra. Dans Pina la caméra réussit aisément à trouver sa juste place. Cinéma et mise en scène sont totalement au service des chorégraphies figuratives, parfois bouleversantes du film. En effet le spectateur est plongé non pas du côté du public mais du côté des danseurs. La caméra, en reptation, suit les mouvements des corps des danseurs, épouse leurs regards avec attention. Les images de Pina Bausch elle-même sont rares, vieillies par le temps, des images d'archives appelant à la remémoration d'un ami pour une disparue. Les danses en extérieur, émouvantes et légères, se jouent très bien de leur environnement. Mais là où Pina fascine, c'est par le temps et le respect qu'il offre au Tanztheater Wuppertal, la compagnie de Pina Bausch.
La 3D fait preuve d'une belle utilité, accentue les effets de profondeur, les corps qui se rencontrent, qui s'interceptent. Mais la réussite plastique du film tient avant tout du regard de Wenders et de son engagement. Il y a une certaine prise de risque esthétique à vouloir filmer la danse comme jamais auparavant, en faisant tout pour éviter le plan-plan, en laissant aux danseurs le temps de s'imposer. En essayant de couper aux moments les plus justes. Trente ans de création, de 1975 à 2006, illustrent le film. Le Sacre du Printemps et sa guerre des sexes fascine : le sol y est recouvert de terre et les traces des danseurs ne disparaissent pas. Kontakthof met aussi en images la rencontre entre les sexes opposés, une rencontre tendre, fragile, une envie de laisser-aller toujours perturbée par les événements extérieurs. Café Müller est d'un dispositif ingénieux et minimaliste. Six danseurs / comédiens essaient de trouver leur chemin les uns vers les autres, aveugles, sur une scène jonchée de chaises. Seul un homme voit et met tout en oeuvre pour qu'ils puissent se rencontrer. Vollmond, enfin, l'une des dernières créations de Pina Bausch, culmination de son art, est son ballet le plus libre, le plus métaphorique. Un énorme rocher trône sur la scène, la pluie s'abat sur les danseurs, qui s'expriment jusqu'à l'épuisement. Un oeuvre jusqu'auboutiste et indémodable, belle représentation de l'apport énergique et sans concession de Pina Bausch à l'art scénique, danse ou théâtre, et aujourd'hui cinéma.
Ils leur mettent le grappin dessus extrait de Pina
Les 3 bonnes raisons d'y aller
- La caméra qui prend place au plus près des danseurs pour capter leur moindre mouvement. Une vraie alliance entre danse et cinéma, juxtaposant chorégraphie et mise en scène.
- Les chorégraphies inventées pour prendre place en extérieur, dans la ville, se jouant de l'architecture et des paysages. Une belle idée.
- Les quelques images de Pina Bausch, les mots qui lui sont adressés par ses danseurs. Un profond respect, de tendres pensées.
Revue de web
- L'un des rares entretiens accordés par la chorégraphe.
- Le making-of du film.
- Le Sacre du Printemps, mis en scène par Pina Bausch.
- L'intégralité de Barbe Bleue, une création datant de 1977.
- L'interview de Wim Wenders qui évoque avec émotion ses souvenirs de Pina Bausch.
La danseuse aux gros biceps extrait de Pina
L'anecdote qui tue pour briller en société
Le déclic décisif qui amena à la naissance du projet survint durant le Festival de Cannes, édition 2007. Le groupe U2 y présentait alors son concert filmé en 3D numérique : U2-3D. Soufflé par les possibilités qu'offre cette nouvelle dimension spatiale, Wim Wenders se décide enfin à réaliser le projet de ses rêves : un film sur la danse, en collaboration avec Pina Bausch. Comme on dit, the rest is history.