Tout savoir sur Vénus Noire, le nouveau film d'Abdellatif Kechiche
Pour son quatrième long-métrage en tant que réalisateur, Vénus Noire, Abdellatif Kechiche s'empare d'un sujet historique jamais traité au cinéma : l'histoire de Saartjie Baartman surnommée la « Vénus Hottentote », femme sud-africaine exhibée en Europe de 1810 à 1815.
Le corps féminin et son exhibition
Déjà dans La graine et le mulet, Abdellatif Kechiche s'attardait sur les performances physiques d'Hafsia Herzi. Après avoir insisté sur l'utilisation de son corps par la jeune femme, qui pratiques des danses en public à bord d'une péniche sètoise...
La danse du ventre extrait de La Graine et le mulet
... Kechiche filme à nouveau le corps d'une actrice inconnue (Yahima Torrès, rencontrée par hasard à Belleville il y a 5 ans) lors de scènes de transe endiablées devant un parterre de bourgeois curieux et indécents.
La Vénus Hottentote extrait de Vénus noire
Cette fascination pour les corps atypiques qu'on avait pu également repérer dans Tournée, le dernier film de Mathieu Amalric avec ses showgirls aux formes généreuses, prend toute son ampleur dans Vénus Noire.
Pas un film historique, un film "direct"
Saartjie Baartman synthétise dans le film tous les motifs d'oppression, et perd son humanité au profit de motivations scientifiques douteuses.
L'examen scientifique extrait de Vénus noire
Au-delà de cette vision dénonciatrice de l'exhibition d'un corps « nouveau » dans les salons bourgeois du XIXème siècle, c'est la question du racisme, et donc du colonialisme liée à cette époque qu'aborde Abdel Kechiche « C'était la course dans les milieux scientifiques à celui qui apporterait la justification de l'exploitation de l'Afrique qui avait lieu en même temps. » dit-il dans le dossier de presse du film. Afin d'aborder pleinement ces questions cruciales, Kechiche s'est délesté d'une reconstitution historique fidèle.
Spectacle scandaleux extrait de Vénus noire
Ainsi, à l'inverse d'Esther Kahn d'Arnaud Desplechin (un des rares films français récents à avoir investi cette période de l'histoire), Kechiche ne cherche pas vraiment à reproduire l'ambiance de l'époque. Au contraire, ses choix esthétiques ont tendance à l'actualiser. Il préfère notamment le support numérique, comme pour le tournage de L'Esquive, à la pellicule.
Zoos humains au cinéma
Mettre en scène des personnes humaines en tant qu'attractions publiques ne date pas d'aujourd'hui. Libération titrait ce matin à propos du film : "La Freak du sud". Un jeu de mots parlant pour un film qui aborde de nombreux thèmes, à travers la figure d'un personnage exhibé comme un objet de foire. On retrouve d'autres exemples de sujets similaires dans l'histoire du cinéma :
D'abord Freaks, bien sur, réalisé par Tod Browning, qui raconte l'histoire d'une troupe de cirque composée d'humains très particuliers :
One of us! One of us! extrait de Freaks, la monstrueuse parade
L'Enfant Sauvage de François Truffaut en 1969 raconte comment le docteur Itard tente de révéler les capacités intellectuelles du jeune Victor, que le monde scientifique considère comme attardé :
L'enfant découvre la magie du miroir extrait de L'Enfant sauvage
Suivra Elephant Man de David Lynch en 1980, itinéraire de Joseph Merrick surnommé "l'homme éléphant" montré de foire en foire et qui partage de nombreuses similitudes avec la Vénus Hottentote. Seul mais soutenu par un homme qui voudra lutter contre l'avidité des montreurs de cirque voulant à tout prix exploiter un corps pour de l'argent.
Les acteurs de Kéchiche
Pour le rôle principal, il a repéré Yahima Torrès dans la rue à la base pour sa ressemblance physique avec Saatije. Puis sa légèreté et son insouciance ont fini de déterminer le choix. Le rôle qui implique une véritable combativité face aux nombreuses scènes d'humiliation qui n'on pas toujours fait baigner l'ambiance du tournage dans un climat agréable, a été tenu avec ferveur par cette jeune cubaine qui joue pour la première fois devant la caméra. D'autre part, les comédiens professionnels, Olivier Gourmet, Elina Lowhenson et François Marthouret ont été bienveillants et aidant formant ainsi une troupe soudée.
Accueil critique du film
L'accueil reçu par le film lors de sa présentation à la dernière Mostra de Venise, a été qualifié de timide, voire même de glaciale ou d'hostile.
On peut lire sur Wikipédia que : « Les détracteurs du film ont relevé ses longueurs, son académisme ainsi que sa complaisance. Les défenseurs du film, eux, ont vanté une oeuvre forte, utile et dérangeante. De nombreux critiques (comme Jacques Morice, Eugenio Renzi ou Jean-Baptiste Morain) évoquent un échec artistique intéressant par les questions que le film pose et auxquelles il répond parfois avec maladresse. »
Et qu'en pensent les blogueurs ?
Sur le blog de Coffe&Cigarettes, on apprécie que « Loin des clichés sur l'esclavage et le colonialisme, Abdellatif Kechiche parvienne à signer encore une fois une oeuvre forte et sans complaisance. Avec Vénus Noire, Kechiche parvient encore une fois à marquer. Le film est une transe qu'il faut laisser vagabonder dans nos esprits. » En revanche, à l'exact opposé, Thomas de Rob Gordon a toujours raison considère que « le réalisateur de La faute à Voltaire livre ici un long-métrage copieusement raté, qui non seulement passe à côté de son sujet mais le fait avec une trivialité teintée de complaisance. » Il surenchérit, évoquant un « film racoleur comme pas deux, où le propos féministe et anti-raciste passe à l'as, éclipsé par la fascination malsaine du metteur en scène pour son personnage et pour son propre nombril. Vénus noire est clairement l'oeuvre d'un type s'étant imaginé un peu trop tôt pouvoir figurer au côté des auteurs les plus incontournables du cinéma classique français, et cela fait peine à voir. »
Sans aucun doute le film semble pouvoir se prêter au débat, tant sur le fond que sur la forme. Bonne séance, et à très vite dans les commentaires !