L'art délicat des traductions de titres de films
Il est courant que les titres de films étrangers soient modifiés pour leur exploitation française. Pas de règle en la matière, les distributeurs (ce sont eux qui décident ou non d'un retitrage) fonctionnent au cas par cas. Penchons-nous sur 4 exemples dont celui récent du prochain film de Terrence Malick...
To the wonder / A la merveille
En matière de retitrage, il y a un objectif : séduire et convaincre en neuf syllabes maximum. Le titre doit être accrocheur, compréhensible et ciblé. Le reste, c'est de la dentelle. Bien souvent, l'exercice a mauvaise presse et les distributeurs sont accusés de remettre en cause l'intégrité de l'oeuvre en aseptisant les titres (Sex Crimes, Sex Friends...). Toutefois, le titre d'un film révèle aussi une lecture particulière, une intention de l'auteur qu'il faut savoir mettre en valeur : le retitrage s'avère parfois plus subtil qu'on pourrait le croire... Au delà des apparences, c'est probablement le cas de To the Wonder de Terrence Malick, dont le titre français sera « A la merveille »...
To the wonder / A la merveille
Tôlé sur Internet. Le titre original de To the Wonder de Terrence Malick (que nous avons découvert à Venise) sera remplacé en France par A la merveille... Les cinéphiles sont dubitatifs. Pourtant, même si ce retitrage sonne un peu comme un plat en sauce, il n'en reste pas moins que la traduction apporte un sens au titre original qui est quasiment imperceptible en anglais...
Une partie du film se déroule au Mont-Saint-Michel (surnommé « the wonder of the west » par les anglo-saxons). La Merveille est l'une des pièces qui compose l'abbaye du Mont, la salle où vivaient les moines. Dans les guides touristiques anglophones du Mont-Saint-Michel, la pièce en question est identifiée par « The Wonder ». Ainsi la traduction littérale prend tout son sens : il devient compréhensible qu'il aurait presque été déplacé de ne pas retraduire un mot, qui n'est autre qu'une traduction anglaise d'un nom propre en français...
« To the Wonder » (avec un « W » majuscule) voudrait ainsi dire : « En route pour l'ascension du Mont-Saint-Michel pour atteindre la salle que l'on appelle la Merveille ». Bien-sûr, il s'agit également d'une métaphore : merveille et wonder par définition veulent dire : « ce qui suscite l'admiration ». La préposition « à la » peut également être perçue comme une dédicace... Le titre peut ainsi être compris comme tel : une dédicace à la contemplation, à la beauté, incarnée à travers l'allusion au Mont-Saint-Michel.
Thunderball / Opération Tonnerre
Ainsi, le secret d'un bon retitrage réside souvent dans un tour de passe-passe qui consiste à s'approcher au plus près du sens initial. C'est le cas d'Opération Tonnerre, dont le titre original est Thunderball.
Avec « Opération tonnerre » : la messe est dite. C'est rond et musclé à la fois, ça sonne comme une grosse claque. Mais en l'occurrence, entre le titre original et son avatar français, la perte de sens semble monumentale : En effet, Thunderball se traduit littéralement par « Boule de tonnerre ». Ce mot fait référence au surnom qu'avaient donné les soldats américains au champignon atomique lors des bombardements de Hiroshima et Nagasaki. La référence est évidente car dans le film, James Bond doit démanteler une organisation qui a dérobé deux bombes nucléaires à l'Otan. Les nations ont deux jours pour payer la rançon sinon les bombes exploseront sur une grande ville américaine ou britannique. Le titre évoque donc la peur d'un « thunderball » sur New-York ou Londres... Un titre incompréhensible en l'état et intraduisible pour les spectateurs français car il n'y a aucune expression équivalente... Un casse-tête pour les distributeurs.
Six mois avant la sortie du film, en décembre 1965, les États-Unis partent déclare la guerre contre le Vietnam. Le nom de l'attaque : opération rolling thunder, que l'on appelait en France Opération Tonnerre roulant. L'emprunt est peut-être hasardeux... Mais de fait, en 1965, le titre français du film s'approche de très près du titre original, en trouvant une adaptation équivalente et une allusion compréhensible pour les non-anglophones.
Merry christmas Mr Lawrence / Senjo no meri kurisumasu / Furyo
Le cas de Furyo est plus complexe. Le film réalisé par le Japonais Nagisa Oshima en 1983 est une coproduction nippo-anglaise, qui évoque les relations entre les soldats de la reine et ceux de l'empereur, dans un camp de prisonniers au japon.
david bowie embrasse Ruyki Sakamoto, extrait de Furyo
Deux titres originaux par conséquent, qui n'ont pas la même signification : Merry Christmas Mr Lawrence (Joyeux noël Mr Lawrence) et en japonais Senjo no meri kurisumasu (Joyeux Noël du champ de bataille). Le titre anglais met en avant une anecdote de la fin du film, qui fait référence à l'amitié entre le colonel Lawrence et le soldat japonais Hara (Takeshi Kitano). Le titre japonais est plus explicite. « meri kurisumasu » est une simple traduction phonétique de « Merry Christmas », et évoque à lui-seul la rencontre entre la culture anglo-saxonne et la société nippone. La difficulté de donner un titre français au film réside dans le fait que les deux titres originaux évoquent un face à face entre les deux pays, à travers un même point-de-vue subjectif : les deux titres évoquent un japonais qui parle anglais. L'un fait référence à un dialogue du film, l'autre à un anglicisme.
Nommer le film Furyo dans sa version française est plutôt bien vu, puisque le traducteur s'émancipe complètement de cette interaction entre les deux titres originaux. « Furyo » signifie en japonais « prisonnier de guerre ». Il adopte le point-de-vue des spectateurs français, (comme le titre anglais adopte le point-de-vue des spectateurs anglais et le titre japonais le point-de-vue des japonais), à qui on raconte une histoire de prisonniers de guerre au Japon.
Gone with the wind / Autant en emporte le vent
Parfois, les distributeurs privilégient la musicalité du titre à la bonne traduction, et chercherons donc un équivalent en français. Par exemple, The Horse whisperer donne une formule bien plus longue dans sa version française : L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux... Un procédé qui peut amener à des contre-sens. C'est le cas entre Gone with the wind et Autant en emporte le vent. Les similitudes entre les deux titres semblent évidentes, pourtant la traduction française s'avère être un faux ami (comme « to support » en anglais qui ne veut pas dire « supporter », ou « actually » qui ne veut pas dire « actuellement »...).
Rupture qui fait mal..., extrait de Autant en emporte le vent
Certes l'ambiance poétique et romantique du titre original est intacte après traduction. Gone with the wind est le titre du livre de Margaret Mitchell dont est adapté le film, paru en 1936. Il évoque selon le dictionary of idioms de Christine Hammer, « la disparition d'un mode de vie qui est regretté » (celui des états du Sud lors de la guerre de Sécession). Le ton se veut nostalgique, mélancolique. Par contre, « Autant en emporte le vent » est une expression qui existe dès le XIIIe siècle en France. Elle est tirée d'une phrase de l'Ancien Testament : « Et le vent les emporta sans qu'aucune trace n'en fut trouvée. » Selon le dictionnaire de l'académie française, elle désigne « les promesses auxquelles on s'engage ou qu'on se fait à soi-même et qu'on n'accomplit jamais » : arrêter de fumer, arrêter de boire... Le titre français offre alors une toute autre dimension au film. Il semble plus faire écho aux turpitudes des sentiments changeants de Scarlett O'Hara, qu'à des élans nostalgiques.
Ce retitrage est toutefois particulièrement remarquable, car les évocations réciproques des titres mettent côte à côte les deux thèmes du film : la nostalgie d'un monde qui tend à disparaître et la difficulté universelle d'aimer. Du bel ouvrage, malgré tout...
Mais ne nous méprenons pas. La plupart du temps, le retitrage relève bel et bien du sacrilège. Particulièrement lorsque le titre français dévoile la fin (The Shawshank Redemption qui a donné Les Evadés), lorsque la traduction qui semble littérale ne l'est en fait pas vraiment (Star Wars, La guerre des étoiles), ou lorsqu'il se fourvoie dans de remarquables non-sens (No country for old men, qui se retrouve avec un sous-titre étrange : « Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme »)...
Image © Sony pictures, SOPROFILM, MGM, Metropolitan
Mais à côté de ça, je suis quand même d'accord sur le sous-titre qui aurait pu être tourné de manière moins alambiquée.
"Carlito's Way" est effectivement compliqué à traduire: La Voie de Carlito, A la manière de Carlito, La méthode Carlito, Le Code D'honneur de Carlito etc etc.
Mais puisque le film ouvre directement avec la mort du héros, puis devient un flashback entre la sortie de prison de Carlito, jusqu'à la scène du début -sa mort- on comprend que le chemin de Carlito est une impasse.
Brillante traduction.
Mais bon il faut dire que le terme "the help" a ici un sens spécifique et est assez difficile à traduire.
À l'inverse, j'aimerais bien comprendre pourquoi le roman Laisse-moi entrer (traduction assez proche du titre suédois) a donné le film "Morse" (titre français bien sûr, en suédois c'est le même que pour le roman).