Un heureux événement et We need to talk about Kevin : le mal de mère
Hasard du calendrier, deux films sortis aujourd'hui (Un heureux événement et We need to talk about Kevin) vont à l'encontre de la vision idyllique de la maternité habituellement véhiculée par le cinéma. Voyons comment peut être mise en scène la difficulté d'être mère.
Dans l'imaginaire collectif, cela ne fait aucun doute, il est merveilleux d'enfanter. Le cliché a la peau dure puisqu'il hante même les expressions populaires : aujourd'hui encore, avoir un enfant est « Un heureux événement ». Le film du même nom qui sort dans les salles aujourd'hui rappelle pourtant une terrible vérité, si la grossesse et l'accouchement sont loins d'être un bonheur, la suite n'est pas non plus toujours très rose. Tiré du roman du même nom d'Eliette Abécassis, il dépeint une vérité plutôt noire : être mère c'est la fin du bonheur, de l'indépendance et de l'amour. L'amour que l'on se porte et l'amour que l'on donne. Dans We need to talk about Kevin, un autre aspect de la maternité se profile, celui de l'enfant terrible, insensible à l'amour maternel et en position de rejet. Deux films qui illustrent une certaine tendance actuelle : faire un enfant c'est un sacrifice de vie. Alors préparez vos arguments pour annoncer la bonne nouvelle à la famille.
Une mère pas commode extrait de Un Heureux événement
Louise Bourgoin c'est la girl next door, la femme actuelle, insouciante et pleine de bonne volonté. En couple et très amoureuse, la décision d'avoir un enfant s'impose presque comme un geste décomplexé. À la demande « Je veux un enfant de toi » susurrée par Pio Marmaï elle répond « Fais-le moi ! ». Un acte non-réfléchi qui va vite venir se heurter aux fondements philosophiques ressassés par Barbara. Car son personnage est écartelé entre ce que lui apprend la vie et les concepts philosophiques sur lesquels elle travaille et qui ne vont pas l'aider à surmonter les difficultés concrètes de sa maternité. Être heureux dans le couple et avec l'enfant devient une recherche tactile et primitive qui demande de l'abnégation et un certain fatalisme.
Si notre chère Louise s'effarouche souvent de n'être qu'un utérus il faut dire que le cinéma ne lui rend pas service. La femme enceinte finit souvent par se poser une question de taille : où est passée sa féminité ? Elle se trouve de plus dépossédée de sa maternité, comme si chacun, en s'évertuant à vouloir aider, mettait en fait la mère dans la désagréable position de ne pas gérer sa grossesse de manière convenable. Là encore Barbara se confronte à des antagonismes : d'un côté cette question qui revient tout au long du film : « Pourquoi on ne m'a rien dit ? » et cette lutte constante contre le savoir de celles qui ont été mères avant elle. Est-ce finalement le refus du modèle qu'on lui propose qui rend la grossesse de Barbara si pénible ? Ou bien aussi l'impression de n'être qu'un objet de curiosité ?
Only 6 Months! extrait de Away We Go
Mère et maternité
L'enfant c'est un peu le monstre qui grandit dans le corps. Un monstre qui vit presque indépendamment de nous. Dans Rosemary's baby cette grossesse désirée devient un fardeau. La femme n'est plus que le réceptacle d'une progéniture diabolique et passée la naissance le culte de la mère disparaît bien vite au profit de celui de l'enfant. Un rapprochement inévitable avec Un heureux événement où la grossesse pénible physiquement laisse place à la maternité, pénible moralement. En refusant de donner le biberon à son enfant mais en continuant à l'allaiter c'est soudain Barbara qui s'accroche à son enfant, et non le contraire. Ce gros ventre, c'était un peu sa carapace, ce qui la rendait visible aux yeux de tous. Kevin l'enfant terrible s'apparente, lui, à ce monstre que l'on enfante et qui se met à dévorer ses propres parents.
Bercer le "bébé" extrait de Rosemary's Baby
We need to talk about Kevin va encore plus loin. Si l'on conçoit déjà à peine que la maternité n'est pas un bonheur sans faille, il est ici question de l'inimaginable : et si l'enfant n'aimait pas sa mère ? Pire, ici, le jeune garçon ne se contente pas de ne pas l'aimer, il va jusqu'à lui vouer une haine injustifiée. Dans chacun de ses actes malfaisants, Kevin semble s'obstiner à contredire la célèbre formule de Socrate selon laquelle « nul n'est méchant volontairement ». La réalisatrice joue sur la redondance des scènes dans lesquelles Kevin, dès sa naissance, prend un malin plaisir à faire souffrir sa mère. Bébé, il ne cesse de pleurer, à 3 ans il fait semblant de ne pas savoir renvoyer la balle qu'elle lui lance, il force sa mère à lui faire porter des couches bien au-delà de l'age habituel, et plus grand, il continu à se masturber après que sa mère ait ouvert inopinément la porte de la salle de bain. Ces brimades incessantes, même les plus anodines, finissent par rendre Kevin insupportable aux yeux du spectateur. L'empathie pour Eva, la mère, est d'autant plus forte que l'enfant agit explicitement contre elle alors qu'il se montre adorable devant son père.
Il a pas un bouton off ce bébé? extrait de We Need to Talk About Kevin
En s'attaquant au mythe de l'instinct maternel, We Need To Talk About Kevin se rapproche d'Antichrist de Lars Von Trier. Dans les deux cas, les mères sont injustement désignées comme les responsables de tous les maux. Si tout ne se passe pas parfaitement bien entre une mère et son enfant, alors c'est elle la coupable, au sein du couple ou de la société. Il y aurait ainsi de bonnes mères qui s'épanouissent dans la relation avec leur enfants et de mauvaises mères, négligentes et indignes. L'enfant, censé être la consécration de la vie de couple, transcendé dans une vie de famille heureuse, devient au contraire l'objet d'un malaise familial et social. Cette représentation extrêmement rare au cinéma est un tabou. Or, c'est justement parce que ce tabou existe que les mères vivent ces situations d'injustice.
L'appel de l'enfant extrait de Antichrist
Père et enfant
Et le père dans tout ça ? Dans We Need To Talk About Kevin, la tension entre Eva et Kevin est en contraste avec des scènes qui nous montrent une relation amicale entre Kevin et son père. La plus marquante est celle où l'on voit Kevin jouer à l'arc avec lui, pour juste après, viser sa mère avec une flèche en plastique. Mais encore une fois, cette fusion paternelle reste assez ambiguë. Admire-t-il réellement son père ? Ou est-ce une manière d'affirmer davantage la haine qu'il voue à sa mère ? Dès le plus jeune âge Kevin semble être sujet à des « crises d'adolescence », en éternelle contradiction. Contrairement à son père qu'il semble, au moins artificiellement respecter, Kevin considère sa mère comme une étrangère. Ici le lien sacré entre la mère et l'enfant n'existe pas, ce n'est qu'un fantasme. Dans la négation de ce lien, on peut voir le reflet d'un certain mal-être contemporain, de l'incompréhension entre les générations : si les enfants n'aiment pas leur mère, c'est toute la société qui s'effondre.
Dans Un Heureux événement Pio Marmaï, le partenaire de Louise Bourgoin, explique : « Pour la première fois, on décrit la maternité dans ses moindres détails, et par conséquent avec un extrême réalisme. Bien sûr, à aucun moment on ne dit qu'avoir un enfant est dramatique. Seulement, cela comporte des sacrifices. » La remise en question du couple en fait partie, faisant de l'acte naturel d'enfanter un parcours initiatique et philosophique qui ressemble fort à un parcours du combattant pour le couple amoureux. Dans chaque séquence l'intimité du couple s'effrite devant l'enfant qui prend de plus en plus de place, jusqu'à une séparation physique. L'enfant, c'est la plaie du couple.
Dans son livre, Eliette Abécassis conclut par « l'homme est une femme heureuse », une phrase qui sonne comme une sentence adressée à la femme, qui lorsqu'elle devient mère, sacrifie ce qui lui reste de vie à un enfant vampirisant, qui échappe parfois à tout contrôle. L'enfant représente une fatalité, qu'on lui donne tout ou rien. Le personnage de Josianne Balasko nous dit d'ailleurs dans le film : « Quoi que tu fasses à un enfant, il te dira toujours que tu as tout merdé. ». Finalement en désacralisant la maternité, les deux films travaillent, avec leurs défauts certes, à la décomplexer. Et quand, comme Kevin, l'enfant est un monstre, il aura fallu couper le cordon des images pour libérer la génitrice qui, même si cela peut être difficile à admettre, n'y est pour rien.
-
juliendg29 septembre 2011 Voir la discussion...
-
artypop29 septembre 2011 Voir la discussion...
-
IMtheRookie29 septembre 2011 Voir la discussion...