Elle naît dans le quartier du Marais, rue Elzévir, à deux pas de la rue de Thorigny où elle installe bien plus tard son premier théâtre. Ce quartier parisien est celui de sa famille depuis sept générations. Elle perd sa mère très tôt et son père la met en pension. Elle effectue ses études secondaires au lycée Victor-Hugo puis au lycée Victor-Duruy. Elle obtient son baccalauréat à 14 ans et demi, avec une dispense. Son père la destine à faire carrière à la manufacture des Gobelins mais elle préfère le théâtre et suit les cours de
Jean Hervé et Jean Valcourt.
En 1939, à 16 ans, elle rencontre Maurice Clavel qui dirige ensuite le réseau de la Résistance d'Eure-et-Loir. Sous le pseudonyme « Sinclair » (nom d'une colline qui domine Sète le pays natal de Maurice Clavel), elle s'engage à ses côtés et participe à la libération de Nogent-le-Rotrou et de Chartres en 1944. Elle fait partie des personnalités qui accueillent le général de Gaulle sur le parvis de la cathédrale de Chartres. Une fois la guerre terminée, elle se marie avec Maurice Clavel. Elle est décorée de la Croix de guerre par le général de Gaulle et de la Bronze Star Medal par le général Patton.
En 1945, elle se fait remarquer pour son interprétation d'une pièce de Federico Garcia Lorca, La Maison de Bernarda Alba. Son étrange et forte personnalité attire l'attention d'Edwige Feuillère dont elle devient la lectrice dans L'Aigle à deux têtes de
Jean Cocteau. La pièce est d'abord présentée en 1946 au théâtre royal des Galeries de Bruxelles où elle obtient un grand succès. Après un passage à Lyon, la première parisienne a lieu au théâtre Hébertot. Le succès accompagne la pièce jusqu'à une mémorable représentation au théâtre de La Fenice à Venise, contribuant grandement à asseoir la renommée du talent de Silvia.
Interprétant par la suite la pièce de
Tennessee Williams, Été et fumées, elle se lie à Léonor Fini qui débute alors dans la création de décors de théâtre. De leur amitié, demeure un beau portrait,Silvia peinte par Léonor (1954). Par l'intermédiaire de Clavel, elle fait ensuite la connaissance de
Jean Vilar en 1947 et prend part à la grande aventure du théâtre national populaire. Elle participe ainsi au premier festival d'Avignon, avec L'Histoire de Tobie et Sara (1947). Aux côtés de Gérard Philipe, elle campe Chimène dans Le Cid, présenté ensuite à Chaillot puis en tournée à travers l'Europe (1954). Elle joue ensuite avec Vilar dans Cinna et dans Le Mariage de Figaro. Elle devient alors une figure emblématique du TNP et du théâtre français dans le monde.
Le cinéma, par l'intermédiaire de
Robert Bresson, l'avait sollicitée dès 1943 pour jouer dans Les Anges du péché. Bresson l'avait engagée sans savoir qu'elle est comédienne car il recherchait des non-professionnels pour son film... En 1948, elle joue le rôle d'Édith de Berg dans l'adaptation cinématographique de L'Aigle à deux têtes de
Cocteau aux côtés d'Edwige Feuillère et de
Jean Marais.
En 1955, Agnès Varda, alors photographe au TNP, réalise son premier film, un des premiers manifestes de la Nouvelle Vague. Varda se souvient de Silvia Monfort dans
La Pointe Courte : « Curieuse et pionnière de nature, elle se jeta dans le projet avec délice et discipline. Je crois bien qu'elle jubilait de militer pour un cinéma à venir. »
Désormais séparée de Maurice Clavel, Silvia Monfort partage la vie et participe aux films du réalisateur
Jean-Paul Le Chanois. Alors qu'elle a un bras dans le plâtre, il insiste pour qu'elle interprète une prisonnière polonaise aux côtés de François Périer et de
Pierre Fresnay dans un film inspiré d'une histoire vraie, Les Évadés. Ce film connaît un grand succès populaire en 1955. Elle joue ensuite aux côtés de
Jean Gabin et
Nicole Courcel dans
Le Cas du docteur Laurent, film militant pour l'accouchement sans douleur (1957), puis dans un film méconnu de Le Chanois, consacré aux relations parents-enfants, Par-dessus le mur (1961). Dans deux films traitant des conditions sociales, elle est l'inoubliable Éponine des Misérables, auprès de Gabin et de
Bourvil (1958), puis la romanichelle Myrtille dans Mandrin, bandit gentilhomme aux côtés de
Georges Rivière et de
Georges Wilson. Ce film clôture sa carrière cinématographique et sa liaison avec Le Chanois en 1962.
Durant les années soixante, Silvia Monfort se passionne pour la décentralisation culturelle en partant sur les routes avec
Jean Danet et ses Tréteaux de France. Chaque soir, ils jouent sous un chapiteau dans une ville différente. Elle prend une part active à cette expérience, s'appliquant à ce que des pièces nouvelles et contemporaines soient montées en alternance du répertoire classique. Elle approfondit sa connaissance du théâtre populaire et de son public et acquiert ainsi une maîtrise des représentations ambulantes qui lui sera très utile par la suite. Le 23 juin 1965, Silvia écrit à Pierre Gruneberg : « J'ai convaincu Danet de programmer pour septembre une série de représentations de la Putain et de l'Été sous chapiteau autour de Paris (ainsi les directeurs malencontreux de la rentrée pourront venir l'y cueillir s'il se doit). Ouf, j'aurai fait ce que j'aurai pu. »
Sans cesse en tournée théâtrale, elle écrit une à plusieurs fois par jour à son compagnon Pierre Gruneberg. Griffonnés sur le coin d'une nappe, au dos d'un programme de théâtre ou sur du papier à en-tête d'un hôtel, réactions, mots d'amour et anecdotes s'enchaînent.
Dans la publication de ces correspondances Lettres à Pierre, Danielle Netter, assistante à la mise en scène, ajoute : « Les Tréteaux de France, extraordinaire outil de théâtre qui nous a donné l'occasion de présenter Sophocle et autres poètes dramatiques devant les locataires des HLM, et d'entendre un soir une spectatrice, à l'issue d'Électre, déclarer à Silvia : « C'est aussi beau qu'un western ! », ce qui combla de joie notre tragédienne. »
Durant presque un demi-siècle, que ce soit avec les Tréteaux, dans les festivals, dans les théâtres privés et plus tard dans ses Carrés, Monfort explore le répertoire théâtral de l'antique au contemporain. Elle donne pas moins de cinq versions de Phèdre dans différents théâtres ainsi qu'à la télévision. Elle interprète de nombreuses oeuvres de Racine et de Corneille. Elle donne des représentations d'Électre de Sophocle dans les lieux les plus incongrus comme dans le trou des Halles à Paris en 1970.
Elle joue dans des pièces et des adaptations théâtrales de Maurice Clavel comme L'Île aux chèvres et La Terrasse de midi. Elle est mise en scène par
Roger Planchon à Villeurbanne en 1959 dans La Seconde Surprise de l'amour et par
Luchino Visconti à Paris en 1961 dans Dommage qu'elle soit une putain aux côtés d'
Alain Delon et de
Romy Schneider. On la voit dans Été et fumées (1953) et Soudain l'été dernier (1965) de
Tennessee Williams. Elle incarne le Sphinx de La Machine infernale de Cocteau dans des festivals comme à la télévision avec
Claude Giraud en 1963. Elle est aussi bien La Putain respectueuse de
Jean-Paul Sartre (1965) que La Duchesse d'Amalfi aux côtés de
Raf Vallone (1981).
Au Carré Thorigny, elle fait débuter
Bernard Giraudeau dans Pourquoi la robe d'Anna ne veut pas redescendre de Tom Eyen (1974). On la voit aussi dans L'Orestie (1962) et Les Perses d'Eschyle (1984). Elle incarne les redoutables Lucrèce Borgia de Victor Hugo (1975) et Marguerite de Bourgogne de La Tour de Nesle d'Alexandre Dumas (1986). Elle compose une inénarrable Alarica dans Le Mal court (1963) et est la Pucelle de
Jacques Audiberti (1971). Elle est une vibrante Ethel dans une pièce militante commandée à
Alain Decaux, Les Rosenberg ne doivent pas mourir (1968). Elle joue Ionesco avec Jacques ou la soumission (1971). Elle remet Henrik Ibsen au goût du jour en compagnie de Philippe Lemaire dans Irène ou la résurrection (1976) puis avec
Michel Auclair dans La Dame de la mer (1977). Pour fêter le centième anniversaire de la naissance de
Cocteau, elle apparaît pour la dernière fois sur les planches de Vaugirard dans un spectacle poétique et musical, Les Deux Voies en 1989.
En 1972, à l'occasion de la réédition de son roman La Raia (Les Mains pleines de doigts), Silvia Monfort décrit ses rôles préférés :
Silvia Monfort compte parmi les plus importantes interprètes de Phèdre. Elle eut notamment comme partenaire dans le rôle de Thésée
Jean-Claude Drouot ou bien sûr
Alain Cuny au théâtre et dans une version télévisée en 1982.
Une communication du CNRS sur les grandes tragédiennes ayant incarné ce personnage au XXe siècle fut publiée dans la revue Pour la Science. Cette étude analyse les rapports entre les pauses et le texte versifié, ainsi que les fluctuations de débit, et démontre que Silvia Monfort en fait, par rapport aux autres tragédiennes (
Sarah Bernhardt,
Marie Bell ou
Nada Strancar), l'usage le plus important (92 % de pauses et 3,8 syllabes/minute), cette particularité de jeu contribuant à donner à l'interprétation de Silvia Monfort une qualité exceptionnelle de profondeur psychologique et émotive.
Elle disait elle-même de son personnage en 1973 :
En 1946, paraît son premier roman. Plus tard elle explique que ce qui l'a décidée à l'écrire est d'être tombée de sept mètres de haut à travers la verrière du Studio des Champs-Élysées. Elle jouait La Maison de Bernarda Alba de Federico Garcia Lorca et Maurice Clavel, dédaignant ses livres de philosophie, écrivait pour elle sa première pièce Les Incendiaires :
« Le jour où je devais quitter une pièce pour l'autre, mes camarades du Studio m'offrirent le champagne, sur le toit du théâtre des Champs-Élysées. Je n'avais jamais bu ni vin ni champagne. Je passai par un vasistas et me retrouvai à l'hôpital, le rocher fracassé. Trois semaines dans le coma, durant lesquelles la pièce de Maurice se créa sans moi.
Quand je me retrouvai debout, triste et sans rôle à jouer, je me mis à ma table de travail. Sans cet accident, peut-être n'aurais-je jamais pris le temps d'écrire. Car, ensuite, il me fallut, pour écrire, prendre du temps sur le théâtre. »
Lorsqu'un journaliste lui demande pourquoi l'actrice qu'elle n'a pas cessé d'être n'a jamais été tentée d'écrire une pièce, ou un scénario de film, elle répond : « Écrire pour le théâtre est un don tout particulier. Même de grands romanciers ne l'ont pas. L'auteur dramatique insuffle à ses personnages une vie qu'il ne contrôle pas.
Or, ce qui m'intéresse par-dessus tout dans l'écriture, c'est l'analyse. Savoir, expliquer la raison des choses, suivre pas à pas les agissements de mes personnages.
Et puis, je ne pourrais pas supporter de leur voir un autre visage que celui que j'ai dans ma tête ! »
En 1972, avec l'appui de Jacques Duhamel, alors ministre des Affaires Culturelles, elle crée et dirige le Carré Thorigny dans le quartier du Marais à Paris où elle propose des spectacles novateurs pluridisciplinaires. Elle s'intéresse notamment au monde du cirque et organise une exposition intitulée Cirque en couleur qui obtient un énorme succès. Suite à ses contacts avec les gens du cirque et à sa rencontre avec Alexis Gruss, elle organise des représentations de cirque à l'ancienne dans la cour de l'hôtel Salé situé en face du Carré. L'engouement du public conduit Monfort et Gruss à créer (en 1974) la première école de cirque et de mime en France : L'école au Carré qu'ils dirigent ensemble. Ils souhaitent revaloriser la noblesse des origines du cirque et s'engagent dans une pratique réactualisée du cirque à l'ancienne. Le cirque Gruss suit Monfort dans ses déménagements successifs jusqu'à ce qu'il devienne cirque national en 1982.
C'est au Carré Thorigny qu'
Alain Decaux remet à Silvia Monfort la Légion d'honneur en 1973 en rendant hommage à « sa passion pour le théâtre et à la volonté inflexible avec laquelle elle le sert. »
Le Carré est obligé de quitter la rue de Thorigny en 1974 à cause d'une transaction immobilière. Monfort transfère alors son Nouveau Carré dans l'ancien théâtre de la Gaîté-Lyrique qui ouvre le 1er octobre 1974 et installe le cirque Gruss dans le square en face du théâtre. La salle est interdite d'accès pour des raisons de sécurité, le nouveau Carré installe alors sur la scène publics et comédiens, mais en raison de la vétusté du bâtiment et en attendant sa rénovation, elle est contrainte de s'installer sous un chapiteau au Jardin d'acclimatation de Paris de 1978 à 1979. Elle doit ensuite déménager son chapiteau sur l'emplacement des anciens abattoirs de Vaugirard. Elle y implante en fait deux chapiteaux, un pour théâtre et un pour le cirque. Cependant, faute de crédits, le projet de rénovation de la Gaîté-Lyrique est abandonné.
Elle n'a alors de cesse à travailler à l'implantation d'un Nouveau Carré à Vaugirard en lieu et place des chapiteaux. La décision de construire le théâtre tel qu'il est aujourd'hui est prise en 1986. Le 7 mars 1989, elle écrit : « Ce sera mon théâtre. Incroyable quand même ! Je ne connais pas un seul vivant pour qui l'on ait construit son théâtre, à son nom et sur mesure ». Mais elle disparaît quelques mois avant son achèvement. Inauguré en 1992, il porte son nom : théâtre Silvia-Monfort.
Les derniers temps de leur vie commune, Silvia Monfort et Pierre Gruneberg sont sans cesse séparés. L'hiver, en tant que moniteur de ski, il doit rester à Courchevel, tandis qu'elle travaille à Paris, puis pendant la période estivale il travaille au Cap Ferrat comme moniteur de natation, alors que la santé de Silvia Monfort l'oblige à passer l'été à Courchevel, seule.
Elle meurt le 30 mars 1991, d'un cancer du poumon.