Certains l'aiment cru

Takashi Miike avec un film en 3D à Cannes : double provoc ?

Festival / Récompenses | Par Julien Di Giacomo | Le 6 mai 2011 à 15h57

Le réalisateur japonais Takashi Miike, présentera cette semaine son dernier film, Ichimei, au Festival de Cannes. Si c'est la première fois que Miike présente un film en lisse pour la Palme d'Or, c'est aussi une première pour un film en 3D. Là-Haut avait été projeté dans ce format il y a 2 ans, mais il ne faisait que l'ouverture du festival et n'était pas en compétition. De même pour Pirates des Caraïbes : La Fontaine de Jouvence, dévoilé cette année mais hors-compétition.

Une présence ambigüe
La présence de Takashi Miike dans la prestigieuse sélection a de quoi surprendre quand on connaît un peu la filmographie du trublion japonais. Le réalisateur a en effet une réputation sulfureuse due à son goût prononcé pour le gore et les scènes de torture.

En 2001, lors de la projection au festival de Toronto de son film culte Ichi The Killer, farce burlesque épicée à l'hémoglobine, Miike avait fait distribuer au public des sacs à vomi promotionnels au public? et ils se révélèrent probablement nécessaires.
Deux ans plus tôt, les projections de son désormais classique Audition étaient fréquemment la cause de malaises dans l'audience, et Eli Roth et Rob Zombie eux-mêmes l'ont trouvé aussi flippant que dérangeant.
Malgré de nombreuses coupes, son moyen-métrage Imprint n'a jamais pu être diffusé sur une chaine de télévision américaine, alors qu'il s'agissait pourtant d'une commande.


T'as perdu ta langue ? extrait de Ichi the killer

Non seulement Miike est un cinéaste scandaleux, mais son rythme de production ahurissant (jusqu'à 7 films ou téléfilms par an) rend son oeuvre terriblement inégale, composée à la fois de chefs d'oeuvres et de bouses. Bref, dire que le bonhomme n'a pas le profil du Cannois moyen est un doux euphémisme.

Palme à lunettes ?
Si la présence de Miike au Festival a donc de quoi surprendre les non-initiés, d'autres pourront arguer que tous les films du réalisateur ne donnent pas dans le gore et l'hyper-violence, et ils auraient raison. Miike est aussi et avant tout un cinéaste esthète, audacieux et parfois même avant-gardiste et, en ce sens, le fait qu'il puisse prétendre au couronnement suprême apparaît comme légitime.

Mais qu'en est-il de la 3D ? Ichimei est en effet le tout premier fil en 3D à entrer en compétition officielle pour la Palme d'Or. Cannes s'est très vite « mis » à la 3D, puisque Là-Haut y était projeté dès 2009, et ce quelques mois même avant la révolution Avatar. Contrairement aux idées reçues, le Festival n'est donc pas en retard sur son temps et semble s'adapter aux tendances de l'industrie qu'il représente.

Le teaser trailer d'Ichimei :

A moins que? A moins que tout ne soit qu'apparences. Le Festival a ouvert sa sélection à des films d'animation comme Valse avec Bachir et Persepolis, mais ceux-ci ne sont pas représentatifs du genre dans son ensemble, et constituent, de par leur profond ancrage dans la réalité, une forme de cinéma hybride. En 2004, la comité de sélection frappait un grand coup en présentant des hérauts des deux mastodontes de l'animation : les Etats-Unis et le Japon. Les suites respectives de Shrek et de Ghost in the Shell sont projetés devant un parterre de spectateurs plus habitués à voir des acteurs se mouvoir devant eux.

Car c'est là un des problèmes que pose le format : les films d'animation sont d'emblée amputés des prix d'interprétation, et leurs chances de repartir bredouille du festival sont donc bien plus élevées que pour les autres films en compétition. Reste alors les films comme Sin City ou Enter the Void ; qui, s'ils ne sont pas à proprement parler des films d'animation, ressortent du lot par un traitement de l'image particulier.

Ces sélections à répétition pourraient être perçues comme une main tendue vers la nouvelle création de la part des hautes institutions. Pourtant, à part un « petit » prix du jury pour Persepolis et le prix Vulcain (dont tout le monde se fout) pour Sin City, force est de constater que les films aux visuels atypiques peinent à remporter l'adhésion des jurés. Bref, malgré l'universalité de sa reconnaissance critique et publique, ce n'est pas encore demain qu'on pourra espérer voir Hayao Miyasaki brandir une Palme d'Or.

La question se pose alors de savoir si les films en 3D seront boudés de la même manière par des éminences encore bien accrochées à la chair et au réalisme : ce n'est sûrement pas un hasard si le seul film d'animation sérieusement récompensé à Cannes (Persepolis, si vous avez suivi), est en fait un biopic? Il faudra, en outre, que cette nouvelle technologie perdure dans le temps et se démocratise pour que les sélectionneurs cannois continuent de s'y intéresser. En en effet, on ne compte plus les dizaines des films labellisés 3D mais qui n'en profitent absolument pas (pêle-mêle : Tron l'héritage, Le Dernier maître de l'air, The Green Hornet), tous des films spectaculaires dont les caractéristiques ne correspondent que peu aux critères cannois. Si d'autres cinéastes réputés s'essayent à la 3D, comme Wim Wenders l'a fait pour Pina et Werner Herzog pour Cave of Forgotten Dreams, alors le Festival de Cannes suivra sûrement le mouvement.

Quel sort sera donc réservé à ce cher Takashi Miike ? Le voir récompensé à Cannes serait une surprise de taille, et la prestigieuse aura tutélaire de Kobayashi, dont son film est un remake, pourrait bien se révéler être une distinction à double tranchant (sans mauvais jeu de mots). Une partie de notre rédaction l'a vu et n'a pas été déçu un seul instant : c'est un Takashi Miike sage mais sûr de lui qu'on retrouve, celui d'Audition, d'avantage que celui de Gozu par exemple. Un film habité, intemporel, entre mélodrame familial et conflits d'honneurs dans une société sur le déclin. Encore une fois, la 3D n'est pas à la hauteur de sa réputation, mais la tension dramatique de l'ensemble, la rigueur avec laquelle sont filmés les affrontements au sabre, laisse entendre que Takashi Miike est capable de toutes les irrévérences mais aussi de toute la technique et la virtuosité qui sont l'apanage des grands maîtres. Espérons avant tout que le Festival de Cannes lui offrira une visibilité nouvelle et importante.

Un extrait du Harakiri de Masaki Kobayashi, sorti en 1962.


Faux katana, vrai seppuku extrait de Harakiri

Sources : youtube, New-York Times, Startribune, Wikipedia

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