Habemus Papam de Nanni Moretti : pourquoi la comédie est-elle sacrée ?
Dans son nouveau film, Habemus Papam, Moretti porte la comédie à bout de bras. Devant sa caméra, l'art comique est le plus sacré de tous. Son dévouement est tel qu'on ne peut en douter : la comédie est son sacerdoce.
« Mais elle est immense [?] la prétention de faire rire ! » s'écriait Desproges dans l'une de ses chroniques radiophoniques à l'adresse d'un vil critique ayant dit quelque part d'un film de Claude Zidi qu'il « n'avait pas d'autre ambition que celle de nous faire rire. ». Échauffé, Desproges avait poursuivi : « Chaplin a sué. Guitry s'est défoncé. Woody Allen et Mel Brooks se sont fatigués, souvent, pour avoir eu vingt heures par jour la prétention de nous faire rire. » Et Moretti hein ? Moretti lui aussi s'est arraché, film après film, pour servir au mieux les couleurs qui sont les siennes depuis toujours : celles de la comédie.
La prime aux larmes
Moretti est d'ailleurs bien placé pour connaître le manque de considération dont souffre le genre. Lui qui est pourtant si doué pour susciter les rires, c'est dans les larmes qu'il avait triomphé à Cannes en recevant la Palme d'or pour La Chambre du fils ; un drame des plus poignants qui ne laissait que très peu de place à la joie.
Dans son film suivant, Le Caïman, une scène jumelle verbalisait l'une des convictions les plus marquées de son cinéma, qu'importe les sujets, le contexte et les enjeux : « c'est toujours le moment de faire une comédie, toujours ! ».
Choisir, c'est renoncer
Habemus Papam est un film qui, comme son personnage principal, se refuse à un destin gigantesque. Rendez-vous compte : voilà Moretti ce franc-tireur de gauche, malin et athée, qui, après avoir dressé un portrait au vitriol de Silvio Berlusconi, s'offre l'Église en plat de résistance ! On croit d'ailleurs voir se profiler la charge jubilatoire attendue dans les formidables premières minutes du film mettant en scène un conclave au burlesque sans pareil. Déjà on se réjouit, invités dans le saint des saints, d'observer par les yeux moqueurs de Nanni ce grand cirque qu'est la désignation du Pape. Mais Moretti n'en a cure. S'il se satisfait, non sans tendresse, de ce sympathique cirque, il vit si loin de la religion qu'il ne ressent pas (ou plus ?) le besoin de consacrer un film à la tourner en ridicule.
Ecartée aussi la question de la foi qui n'intéresse guère Moretti. De son côté le cardinal Melville (Michel Piccoli) croit, c'est certain. S'il renonce à la papauté et se dérobe ainsi à l'appel de Dieu, ce n'est certainement pas parce qu'il doute. L'athéisme de Moretti est quant à lui tout aussi avéré. Il ne s'agit jamais d'interroger le rapport à Dieu.
Voyant entrer le cinéaste dans le champ (comme dans La Chambre du fils, il joue un psychanalyste) on croit alors enfin deviner le véritable sujet du film, mais une fois de plus, c'est une fausse piste. Habemus Papam n'a pas vocation à faire la psychanalyse du Pape. Le temps seulement de quelques brillantes scènes comiques et le sujet est également balayé d'un revers de main.
Par ses renoncements successifs, le film fait bien sûr écho à son sujet : l'histoire d'un cardinal désigné pour être Pape qui, devant les attentes de tous, refuse d'endosser son rôle. Mais après cette série de fausses pistes, le film s'ouvre enfin de manière explicite à son sous-texte. Melville qui a fuit le Vatican croise la route d'une troupe de théâtre. Il ne sera dès lors plus question que d'une chose : le rapport à la comédie.
Jouer pour exister
La notion de jeu est au coeur du film au point d'arborer les reflets d'un existentialisme sartrien. Chacun ici joue pour exister : « leur condition est toute de cérémonie, le public réclame d'eux qu'ils la réalisent comme une cérémonie ». Quoi de plus cérémonieux que le théâtre ou le cinéma ? Ah oui, peut-être, l'Église Catholique ! Comme le garçon de café de L'Être et le néant, chaque personnage « joue avec sa condition pour la réaliser ». Dans ce dévouement au jeu, c'est à dire à la comédie, on retrouve les conditions de la survie. Si un acteur cesse de jouer, il cesse d'exister et abandonne le public, si un homme d'Église se dérobe à sa fonction, il la perd et trahit les fidèles.
C'est dans ce contexte que se réalisent les plus beaux moments du film. C'est l'aveu gêné de l'expert à la télévision qui confesse qu'il improvise et qu'il ne sait pas vraiment ce qu'il dit, c'est aussi Melville désabusé qui sillonne les rues de Rome parmi les hommes tandis qu'au Vatican, pour rassurer les cardinaux inquiets, un garde Suisse promène une silhouette papale aux fenêtres de ses appartements.
S'il ne boude jamais vraiment son plaisir, Moretti place sa comédie sous le signe de la frustration. Les gags déçoivent, pas parce qu'ils sont désamorcés comme les premières pistes du récit, mais parce que, à chaque fois à contre-coeur, il doit y mettre fin.
La fin de la récréation
Sur tous les personnages, une menace pèse : un coup de sifflet qui marquerait la fin de la récréation. Cette déception, Moretti, l'acteur, l'incarne lui-même quand il voit, dépité, les cardinaux déserter le tournoi de volley qu'il avait organisé.
En composant ainsi une comédie déceptive, Moretti met en scène l'un de ses états d'âme. Conscient que tout est comédie, convaincu aussi qu'il n'y a rien de plus beau, il se sent contraint, par le sérieux du monde, à y renoncer. Alors même qu'il croit en sa vocation, Melville se résout à renier la comédie parce qu'il ne se sent pas les épaules pour le sérieux qu'elle impliquerait désormais. Devant un si grand public, ce n'est plus drôle.
Voilà l'objet de la dépression d'Habemus Papam. Quand il est confronté au sérieux, le rire devient grave, voire sinistre. Dans ce grand geste de mélancolie, on peine à retrouver le Moretti enjoué pour qui il était toujours temps de faire une comédie.
Et si le sérieux gagnait les hommes ? Et si, dans le sillage de Melville, nous finissions tous par abdiquer ? Sujet à la mode cette année à Cannes, Moretti suggère une autre fin du monde. Arrêtons de rire, cessons de jouer, renonçons au cinéma ou à la comédie et tout est terminé. Ironiquement, celui qui, cette année, a été appelé pour porter sur ses frêles épaules le destin du cinéma mondial n'est pas monté sur la scène du Palais des festivals. Le père Malick, lui aussi, nous a abandonnés.
Du coup même si le film est souvent magnifique quand il utilise la comédie et le jeu comme une sorte de "nécessité" à l'humanité, il délaisse un peu d'autres angles qui sont tout aussi passionnants.
Le film va un peu que dans une seule direction, j'aurais bien voulu qu'il en emprunte aussi d'autres, et qu'il soit disons plus incisif sur certains sujets. Film parfois trop sage, trop gentil.
Habemus Papam montre une sorte d'épuisement de Moretti alors qu'il était particulièrement incisif dans Le Caïman. Et effectivement cet épuisement est touchant, mais du coup le film est moins grand, moins impressionant en tous cas que son précédent.
Néanmoins je suis toujours un peu gêné quand je vois des sujets importants traités de manière disons parfois "consensuelle" (des hommes et des dieux par exemple, même si Habemus est 150x supérieur).
Le film est gentil, il montre des cardinaux sympas et touchants comme des petits jeunes un peu naïfs presque influençables, moi j'aurais quand même voulu qu'il les remette en question, les bouscule un peu sur leurs convictions.
Du coup, le film est beau quand il base tout son film sur la comédie, sur l'errance de Piccoli, mais quand on est trop gentil ou épuisé, on est parfois aussi un peu chiant. J'aurais voulu qu'il s'énerve un peu le Moretti au moins une dernière fois, surtout quand on a comme contexte Le vatican.