La prétendue censure de Sleeping Beauty
Le distributeur de Sleeping Beauty tente de faire passer une interdiction aux moins de 16 ans pour une scandaleuse censure. Tandis qu'un peu partout « la résistance s'organise », tâchons d'analyser l'affaire.
L'annonce est tombée. Sleeping Beauty de Julia Leigh qui sortira le 16 novembre prochain devrait faire l'objet d'une interdiction aux moins de 16 ans pour cause d'« Incitation à la prostitution, climat malsain et pervers ». Pendant ce temps-là Michael, autre film cannois à venir et au sujet difficile (un cas de pédophilie particulièrement glauque), n'a quant à lui écopé que d'un petit moins de 12 ans. Sachant que Sleeping Beauty (s'intéressant au sort d'une jeune fille s'offrant - normalement sans pénétration - à des vieillards pendant son sommeil) ne comporte aucune scène explicite qui soit véritablement choquante, on peut regretter la sévérité de la commission de classification du CNC sur un film qui ne semblait pas appelé à susciter la polémique. En France, nous sommes habitués, en matière de sexe, à une relative tolérance qui tranche avec la pudeur anglaise ou américaine... Mais de là à crier à la censure ?
La commission de classification du CNC est composée d'une trentaine de membres parmi lesquels des représentants du gouvernement, des jeunes, des experts et aussi quelques professionnels du cinéma comme le cinéaste et producteur Alexandre Arcady.
Suite à cette interdiction aux moins de 16 ans, l'ARP, distributeur de Sleeping Beauty, s'est insurgé via un communiqué de presse et lance une campagne de presse (dans Le Monde et Libé ce week-end) visant à stigmatiser la « censure » dont son film ferait l'objet. L'ARP en appelle même à Frédéric Mitterand, dont on ne doute pas qu'il défendra avec ferveur le droit des spectateurs à contempler de jeunes et jolies choses entre les mains de vieux dégueulasses.
D'ores et déjà, nos estimés confrères Ecran Noir, Toutlecine ou encore Libé (partenaire du film)... reprennent le refrain en citant directement le communiqué. Certains vont jusqu'à brandir l'argument de la liberté d'expression bafouée en associant cette annonce aux attaques visant Charlie Hebdo ou le spectacle de Castellucci en ce moment. On ne peut que s'étonner de l'absence totale de recul des médias qui relaient sans complexe ce qui relève d'une stratégie de communication certes maligne mais quasiment mensongère.
Remettons les points sur les « i ». Une interdiction aux moins de 16 ans ne s'apparente en rien à de la censure, d'autant plus que les exploitants de salle sont généralement assez peu regardants sur ce type de contraintes légales. A 14 ans, on peut acheter sans problème son paquet de clopes et aller voir à peu près n'importe quoi au ciné, même sans poils au menton. L'interdiction aux moins de 16 est d'ailleurs très nettement moins préjudiciable que l'interdiction aux moins de 18 ans, dont avaient par exemple souffert Ken Park ou Martyrs (qui y avait échappé de justesse), qui a, plus tard dans la carrière du film, de lourdes implications sur les diffusions télé.
Après avoir consterné d'ennui bon nombre de festivaliers à Cannes, Sleeping Beauty s'offre ainsi l'apparence d'une subversion qu'on peine à retrouver à l'écran. Les hordes d'adolescents de moins de 16 ans qui trépignaient d'impatience à l'idée de découvrir ce conte sur la sexualité des personnes âgées (avec, certes, l'héroïne de Sucker Punch) seront donc déçus.
On peut donc saluer le joli coup marketing de l'ARP, mais rien ne nous oblige à hurler avec la meute. Comme on dit, il y'en a qu'ont essayé?vous connaissez la suite.
En attendant on peut toujours jouer au MovieQuiz avec ce quiz dédié aux films qui eux ont connu la censure, la vraie.
Ces lignes générales faites par un jury (composé de jeunes et de professionnels du ciné, comme le dit l'article) font office de "morale", que l'on peut contester en tous points comme n'importe quelle décision de jury. Mais c'est un peu brasser de l'air pour rien.
Si encore ils avaient interdit purement et simplement la sortie du film, je te rejoindrais peut-être mais là, boarf, ça ne va porter aucun préjudice au film. La preuve, ils veulent faire leur beurre là-dessus.
Et ça ne lèsera que les collégiens qui voulaient vraiment payer 9€ pour le voir au cinéma, sans le télécharger sur internet et sans pouvoir attendre 4 mois la sortie en DVD. On a connu plus coercitive comme censure.
Du coup, si il y a quelque chose à discuter, c'est plutôt effectivement la pertinence générale des restrictions d'age. Le moins de 16 est quand même relativement courant, et certains films très populaires même chez les ados (par exemple le premier Kill Bill) ont pu d'une certaine manière en souffrir, mais c'est au moins ridicule, au pire scandaleux, d'assimiler ça à la censure d'un Jafar Panahi ou aux atteintes à la liberté d'expression.
Pour ce qui concerne enfin « l'incitation à la prostitution et le climat malsain et pervers » la formulation est certes discutable (tout comme l'interdiction aux moins de 16 d'ailleurs), mais le but de cet article est justement de repositionner le débat là dessus : est-ce que des ados de moins de 16 ans doivent pouvoir voir ce film ? Et de démonter les cris d'orfraies contre une prétendue censure qui laisse entendre que le film est subversif donc intéressant alors qu'il est tristement consensuel...
En quoi dire que ce film est interdit à une partie de la population (les moins de 16 ans) est différent de dire "ce film est interdit aux iraniens" ?
La censure est d'abord "action de critiquer quelque chose ou quelqu'un" puis une "institution créée par une autorité, notamment gouvernementale, pour soumettre à un examen le contenu des différentes formes d'expression ou d'information avant d'en permettre la publication, la représentation ou la diffusion."
Il s'agit donc bien ici de censure.
Si tu veux, je ne livre aucun combat. A vrai dire, je crois m'en foutre de ce film. Et de sa censure pareillement. Et je le répète, je suis d'accord sur le fait que l'indignation peut effectivement servir de pub à peu de frais.
Mais ta façon de balayer d'un revers de main @IMtheRookie : cette « incitation à la prostitution et le climat malsain et pervers » en disant que "la formulation est certes discutable".
Elle n'est pas discutable.
Elle est fausse, bête, réac, dangereuse. Il n'y a pas de miel dans cette formule. Le CNC n'est pas l'Index. On est dans une république laïque.
Et puis, si on se met à accepter ça, pourquoi ne pas accepter que cette "incitation à la prostitution" entraîne une interdiction à tous ? Pour notre bien. Bien entendu.
Heureusement,en quelques années,les mentalités des censeurs différent (Scream fut interdit aux moins de 16)