Bertrand Tavernier : coup de grâce (1941-2021)

Bertrand Tavernier, l’ogre bonhomme du cinéma français, le réalisateur populaire au chef-d'œuvre discret, président passionné de L'Institut Lumière, est mort ce jeudi à 79 ans. Il laisse un grand vide parmi les cinéphiles.

C’est sans doute dans ses racines lyonnaises qu’il faut comprendre l’insatiable appétit de Bertrand Tavernier pour le cinéma, cette terre qui a vu naître le cinématographe et le tablier de sapeur. C’est aussi sûrement de ce haut fief de la Résistance, ce pays au triomphe toujours modeste, qu’il a hérité cette forme de retenue, loin des paillettes et des mondanités, auxquelles il préférait sans doute les nappes à carreaux d’un bouchon, au hasard rue du Garet. Que la fête commence... (1975), Coup de torchon (1981), Capitaine Conan (1996) et bien d’autres films ont assurément été des succès, mais Tavernier a souvent été snobé par la critique (lui-même réhabilita quelques scénaristes crucifiés sur l’autel de la “qualité française” par les jeunes Turcs des Cahiers). Sans doute à cause de la douceur, la littéralité et l’exemplarité d’un cinéma sans effets de manche et trop évidemment social (Ça commence aujourd'hui, Laissez-passer, Histoires de vies brisées...).

Pourtant, son œuvre n’était pas exempte d'ambiguïté et de détours, parfois même, teintée d’un profond pessimisme et d’une certaine cruauté. Qu’on se souvienne du jeu halluciné de Michel Galabru déambulant dans une Ardèche aux allures de peinture primitive et fantastique (Le Juge et l’assassin, 1976), de la moite et rigolarde noirceur de Coup de torchon, de l’infinie tristesse au voile gracieux, bourgeois et pittoresque d’Un dimanche à la campagne (1984), de la blanche lucidité de La Vie et rien d'autre (1989) ou L.627, de ses splendides déclarations énamourées et mélancoliques à “l'ami américain”, à travers le jazz (Autour de minuit, Mississippi Blues), le polar (Dans la brume électrique, 2009) ou même le récit d’anticipation (La Mort en direct, 1980), qui l’exileront parfois de l’autre côté de l’Atlantique.

Car on sentait, malgré son ancrage trop franchouillard pour certains, tout ce que le cinéma avait pour lui d’une traversée, d’une communion. C’était, pour ceux qui avaient eu la chance de le côtoyer, ce passeur infatigable, l’encyclopédiste partageur (Voyages à travers le cinéma français, 2016), qui évoquait avec la même gourmandise les déboires du plus génial réalisateur et ceux d’un obscur preneur de son. Traverser la rue ou un océan pour partir à la rencontre de l'altérité, et témoigner avec la même ferveur, le même respect, des plus grands comme des anonymes. Lorsqu’après avoir signé un manifeste contre la loi Debré sur l’immigration (à l’initiative de Pascale Ferran et Arnaud Desplechin) il avait été encouragé - par une lettre pleine de morgue d’Eric Raoult - à vivre un mois aux Grands Pêchers de Montreuil, il avait pris son fils et sa caméra avec lui et s’était installé trois mois dans la cité. De l'autre côté du périph’ (1998), éblouissant documentaire en deux parties, faisait alors le témoignage de vies auquel ne résistait pas la caricature que la droite, toute affairée à vouloir criminaliser l’immigration, souhaitait en faire. Cet humble érudit aux atours de pasteur, ce grand cinéaste œcuménique qui voulait rassembler les chapelles de la cinéphilie et rendre justice aux ordinaires, ne témoignera plus. Ses films, si. 

Pour lui rendre hommage, aux côtés de Télérama qui a fait le sien, nous vous invitons à partager votre top 10 de ses meilleurs films en commentaire, nous en ferons celui de la communauté.