Blanche-Neige de Tarsem Singh : la beauté ne fait pas le cinéma
Avec Blanche-Neige, sorti en salle le 11 avril dernier, Tarsem Singh poursuit ses délires esthétisants et réitère les mêmes erreurs qui truffent ses précédents films : The Cell, thriller sublime mais trop poseur, The Fall, beau conte creux, habité par le fantôme de Dali, et enfin Les Immortels, son péplum aussi indigeste qu'un étouffe-chrétien.
Tarsem Singh opère ici une relecture soi-disant moderne du conte des Frères Grimm. La princesse (la fade Lily Collins), qui assène désormais ne pas croire au prince charmant, n'en est pas moins mièvre, tout comme son beau prince. On peut ainsi reconnaître au cinéaste le mérite de tenter de déconstruire la figure du prince sur son cheval blanc, fantasmé par toutes les jeunes filles en fleur. Quant à la méchante marâtre du conte originel (ridicule prestation de Julia Roberts), elle est transformée en cougar, moins effrayante que la reine du Walt Disney de 1937 (c'est pour dire).
Dans sa version sucrée et édulcorée du conte, le réalisateur agite l'insupportable étendard d'un pseudo féminisme naïf et réducteur. Restent d'impressionnants décors et d'exquis costumes. Mais tout y est superficiel, à l'image d'un château de parc d'attraction. L'ex-clippeur réalise là ce qu'il sait apparemment faire de mieux : une jolie coquille vide. Il serait peut-être temps de suggérer à Tarsem que la succession de belles images ne fait pas forcément un bon film...
Ceci n'est pas un clip
Nombreux sont les réalisateurs qui ont fait leurs premières armes en faisant des clips : David Fincher (tout le monde se souvient du clip de "Vogue" de Madonna), Michel Gondry (la vidéo qui accompagne le titre "Around The World" des Daft Punk c'est lui), Alex Proyas (Dark City) ou encore Anton Corbijn (Control) et Spike Jonze. Tarsem Singh fait partie de ceux-là. Il n'a que 30 ans lorsqu'il met en images une des plus célèbres chansons des années 90, "Losing My Religion" du groupe REM, qui lui vaut un MTV Award du meilleur clip en 1991. L'imagerie inspirée par la mythologie y est déjà présente, prédisant l'esthétique baroque des Immortels près de 20 ans avant sa conception, tout comme dans les spots publicitaires qu'il réalise pour Nike (?Good VS Evil?) en 1996 et pour Pepsi en 2004, où les chanteuses Beyoncé, Britney Spears et Pink s'affrontent dans une arène en costumes de gladiateurs.
Tout comme Zack Snyder, qui a suivi comme lui les cours de l'Art Center College Of Design de Pasadena en Californie, il excelle dans la réalisation de clips et de spots, et c'est sans doute ce qui l'a encouragé à adopter le format des longs-métrages. Il reçoit le prix de la meilleure réalisation pour ses films publicitaires pour Nike, Levi's et Coca-Cola et remporte un prix d'honneur aux BAFTA Awards en 1999, pendant que Zack Snyder est récompensé de deux Clio Awards et d'un Lion d'Or au Festival publicitaire de Cannes pour ses spots. Ils partagent tous deux une même culture de l'imagerie publicitaire, un même goût pour la photographie léchée et une même maîtrise du cadre. Cependant Sucker Punch, tout comme Blanche-Neige, et Les Immortels avant lui, sonne creux. Une déception quand on sait que ce même Zack Snyder réalisait en 2008 l'admirable adaptation de Watchmen. Ses détracteurs diront sans doute qu'il n'a aucun mérite, ne se contentant que de transposer la superbe matière laissée par Alan Moore. Peut-être mais c'est le plus bel hommage qu'il pouvait lui rendre. Zack Snyder dans Sucker Punch et Tarsem Singh, ne font que retranscrire sur grand écran ce qu'il savent faire de mieux, à savoir des clips et des spots publicitaires.
Plan d'évasion, extrait de Sucker Punch
Sois beau et tais-toi !
Tarsem Singh expose (au sens premier du terme) ses belles images comme s'il réalisait un clip : des estampes esthétisantes mais dépourvues de toute substance. Dans The Fall, une petite fille désoeuvrée et un ex-cascadeur alité se retrouve dans un hospice pour se conter de belles histoires dépaysantes. On est certes charmé, mais pas davantage que si l'on regardait la chaîne voyage de la TNT.
Le réalisateur d'origine indienne sait flatter la rétine. Il peint dans chacun de ses films une série de tableaux, qu'on ne peut trouver que plaisante à regarder. Mais il l'exécute d'une manière trop scolaire, comme le ferait un écolier qui voudrait réciter d'un seul coup tout ce qu'il a appris. Et Tarsem a bien appris. Il pioche dans les oeuvres picturales de Salvador Dali pour The Fall, Odd Nedrum pour The Cell, ou Le Caravage pour Les Immortels, les oeuvres plastiques de Damien Hirst, cinématographiques de Guillermo Del Toro (Le Labyrinthe de Pan tout particulièrement) et de Ron Ficke (The Fall est fortement influencé par l'univers de Baraka) et mythologiques (le mythe de Thesée et du Minautaure, les Titans). Un studieux étalage de culture qui ne fait que ruiner les effets escomptés.
L'univers esthétique qui se dégage de son premier film, The Cell, a été maintes fois comparé aux films des Wachowski ou de Fincher. Il n'est d'ailleurs pas étonnant que ce dernier ait pris sous son aile le maître-orfèvre pour L'Etrange Histoire de Benjamin Button (il était en effet réalisateur de seconde équipe sur le film). Mais là où ces cinéastes parviennent à créer leur propre univers visuel, Tarsem Singh ne se contente que d'un empilement de références, certes parfois fascinantes, mais qui manquent du génie créatif de ses confrères. A la fin d'un de ses films, on a cette étrange sensation d'avoir déjà vu ça chez un autre réalisateur, mais en mieux. C'est beau, parfois très beau même (scène du mariage dans The Fall, scène finale en travelling vertical arrière dans Les Immortels), mais Tarsem peine à dégager quoi que ce soit de cette beauté, si ce n'est l'ennui. Il y a une telle maîtrise du cadre, dans Blanche-Neige comme dans les précédents, que son imagerie apparaît totalement figée sur pellicule. Rien ne dépasse, tout y semble calculé au millimètre près. Ce perfectionnisme jusqu'au-boutiste raidit les scènes et statufie ses personnages, comme le sont les protagonistes sur une toile de maître.
Le Mariage, extrait de The Fall
Mais il y a bien plus désolant. Si ses premiers films manquent de cohérence, Les Immortels et Blanche-Neige souffrent des ambitions visuelles mégalomanes de leur créateur. A l'image de la reine de Blanche-Neige, qui admire son reflet dans le miroir, Tarsem Singh réalise ses films en les contemplant. Cette dernière réalisation souffre plus que les précédents de l'imagerie publicitaire, dans laquelle il faut bien le reconnaître il excelle : Les Immortels rappellent la pub Ferrero Rocher ; quant au film Blanche-Neige, il pourrait être utilisé comme spot publicitaire pour un week-end féerique au Parc Disney. Si les décors en intérieur sont somptueux, les vues extérieures du château pâtissent de l'utilisation abusive de la 3D, donnant au tout un aspect carton-pâte des plus kitsch.
Le kitsch ou l'art du mauvais goût
Le réalisateur d'origine indienne n'a pas peur du kitsch. C'est le moins que l'on puisse dire, puisqu'il s'ébat, avec une certaine satisfaction, dans des directions artistiques baroques des plus outrancières. Les tenues de la reine tout droit sorties d'un Disney Store et le décor en carton-pâte - sans parler du final (WTF ?) à la sauce Bollywood - rappellent les parades du parc de Mickey. Pour Milan Kundera, le kitsch est fondé sur « la volonté de séduire ». Tarsem Singh l'a bien compris. Rien n'est trop beau pour charmer les spectateurs, même pas de recourir à des stratagèmes du plus mauvais goût, comme métamorphoser le prince en chien gigotant, ou employer un humour potache, tout juste bon à faire sourire les moins de 12 ans.
Le prince se comporte comme un chien, extrait de Blanche Neige
Passées les premières minutes d'émerveillement, les quelques bonnes idées de la mise en scène (lorsque la reine traverse un miroir d'eau), le charme est rompu, et il faut encore supporter les visions délirantes de son prestidigitateur pendant plus d'1h20.
Cela risque de faire polémique, mais tant pis. Le racisme, il provient souvent d'actes non voulus consciemment, mais c'est l'arrière pensée, l'inconscient, qui pousse au racisme. Quelqu'un de raciste aujourd'hui n'ira pas dire qu'il est raciste. Il ne se pense pas raciste, mais, ses actes ou sa mnaière de pensée l'est.
Ce que je regrette, c'est quand, au delà du message, le sens de l'esthétique prend le pas sur le reste des composantes d'un film. Il est malheureux de voir que certains films sont vraiment beau, mais ne raconte absolument rien, n'apporte pas de suspense. Je n'ai pas vu "Blanche-Neige", mais on a eu le cas il y a peu avec "Tron Legacy" qui était visuellement bluffant mais dont le scénario était grotesque et où le casting n'était pas charismatique (même Jeff Bridges!).
L'esthétique devrait être au service du scénario. Or, dans de plus en plus de cas, c'est l'inverse qui arrive et ça, c'est vraiment dommage.
Il doit y avoir quantité de bon films dont le scénario est un peu couillon, non ?
Maintenant, oui, il y a des bons films avec des scénarios un peu couillon. Personnellement, dans le style, je trouvais "Shoot 'Em Up" plutôt bien foutu. Mais j'ai l'impression qu'il est assez rare de trouver un vrai bon film sans véritable scénario derrière...
Personnellement je préfère voir un film avec un scénario banal mais avec un bon cadrage, un bon rythme, avec une bonne esthétique (The tree of life par exemple)plutôt qu'un film au scénario réfléchi, dégageant une idéologie mais au rythme lent, sans mise en scène, avec un cadrage hasardeux.
Finalement je pense que la forme importe plus que le fond. Evidemment le mieux c'est de trouver le juste milieux.
Mais les films qui parviennent réellement à me remuer sont ceux qui font preuve d'une espèce d'osmose entre le scénario et la mise en scène.
Pour moi, un bon cinéaste est celui qui arrive à transcender l'histoire.
Prenons un exemple : M le maudit de Fritz Lang. L'histoire est toute simple pour ceux qui ne l'ont pas vu. Des jeunes filles disparaissent dans la ville, on suspecte un tueur en série. Toute la ville va se mettre à "chasser" le tuer, que ce soit la police ou les bandits (car les meurtres du tueurs en série mettent la ville en pagaille, tout le monde est inquiété, tout le monde est angoissé, et cela devient plus difficile plus eux de faire leurs magouilles).
C'est donc une histoire toute simple, pas de scénario alambiqué qui s'amuserait à tromper le spectateur. A l'apparence un simple film policier. Pourtant Lang parvient à transcender l'histoire par ses choix de mise en scène. Il évoque tour à tour la pédophilie, la justice populaire et punitive, le nazisme naissant, la schizophrénie, etc. Au final, cela fait un film qui ne cesse de hanter ceux qui l'ont vu.
Certes le scénario est important, mais il n'est pas le gage d'un bon film, et inversement, il existe de bon films avec un scénario tout simple.
D'autant plus que je considère qu'un film pour être bon ne doit pas compter uniquement sur la découverte du scénario. Un bon film devrait pour pouvoir être regardable une nouvelle fois, alors même que l'on connait le scénario par coeur. Cela vaut pour tout les films à suspens avec une grande révélation à la fin.
Je dis que le film doit avoir une bonne histoire à raconter pour être vraiment intéressant. Je n'ai jamais dis qu'un scénario doit être complexe pour être bon! Une bonne histoire peut effectivement être une histoire toute simple. Tu cites, à très juste titre, "M le maudit", mais c'est aussi valable pour beaucoup d'autres classiques, des films de Chaplin à "Fenêtre sur Cour". J'ai pris l'exemple de Nolan parce que je trouve que c'est un scénariste très imaginatif, pas parce qu'il a l'art de créer des histoires plus tarabiscotées que la normale.
Après, il est évident que la mise en scène est également importante (et encore une fois, "mise en scène" ne veut pas forcément dire "esthétisme"), tout comme le jeu d'acteurs, les décors, la musique, etc. Mais au final, le point de départ du développement d'un film, c'est son histoire. Rate ça et tu es quasi sûr et certain de partir au casse-pipe.
Prends un bête exemple: pourquoi, à technologies égales, un Pixar est meilleur qu'un Dreamwork? Dreamwork sort 4 films par an sans accorder une importance majeure au scénario, alors que Pixar sortira un film/an, mais travaillera son histoire.
Je persiste donc à dire que pour être bon, un film doit, avant tout, avoir une bonne histoire à raconter. La technologie au service de l'histoire, et non l'inverse.