Cannes 2016, Jour 4 : Le parti d'en rire
Qu'est ce qu'on se marre ! Non, vraiment, c'est étrange, mais jusque ici tous les films de la compétition ont réussi à provoquer des rires francs et massifs lors des projections presse. Doit-on s'attendre à ce que les films à venir soient, en compensation, particulièrement sinistres ? Ou s'agit-il d'une vraie tendance pour 2016 ?
Il est sans doute des publics plus faciles que celui qui se présente chaque soir en salle Debussy pour dévorer tout cru le film de la Compétition Officielle. Un bon millier de journalistes et critiques des quatre coins du monde, forcément un peu blasés par le nombre de films qu'ils ont déjà englouti ici ou ailleurs. Dérider cette audience, qui ne demande pourtant que ça, relève ainsi de l’exploit. Un exploit, voire un miracle, qui s’est produit sans exception au cours des cinq premières projections de la compétition.
L'humour est dans les détails
En 2011 nous évoquions la comédie comme acte de résistance à propos du film de Nanni Moretti, Habemus Papam. Coïncidence, ce titre donne à Cristi Puiu l'une des plus savoureuses punchlines de Sieranevada. Il s’agit là d’un exemple de pure comédie. Pour faire mouche, la réplique bénéficie d’une longue préparation, comme un élastique qu’on étire avant de le lâcher. Dans le film de Guiraudie, comme souvent chez lui, l’humour peut poindre dans le décor ou les accessoires. On se souviendra longtemps de ce titre de quotidien régional s’affichant en kiosque derrière le héros:
«Il sodomise un vieil homme pour l’euthanasier sous les yeux de son bébé.»
Public international oblige, le rire est en deux temps. D’abord les français qui aperçoivent le titre pas encore sous-titré dans le plan large, puis les autres qui découvrent la traduction sur le gros plan. Une rapide recherche Google révèle en revanche que ça ne fait pas rire du tout la fachosphère. Mais passons. Dans un registre voisin, Guiraudie use aussi de saillies dont certaines peuvent même trouver, dans le contexte, un écho méta:
George Miller va apprécier le Guiraudie : “Il faut vraiment être con pour rêver d’aller en Australie”, “Se faire enculer par les kangourous”
— David Honnorat (@IMtheRookie) 12 mai 2016
De la comédie dramatique au drame comique
Ken Loach quant à lui nous propose de rire jaune devant la désolante absurdité de l'administration. Daniel Blake aux prises, sur le générique de début, avec un questionnaire téléphonique complètement con sur son état de santé déclenchera l'hilarité dans une salle qui plus tard essuiera ses larmes.
Pour autant, tous les rires ne se valent pas. Les deux cas les plus intéressants se ressemblent et s'opposent. Maren Ade et Bruno Dumont ont chacun signé cette année le premier film comique de leur carrière, mais les polarités sont opposées. Disons que Toni Erdman serait une comédie dramatique tandis que Ma Loute... un drame comique.
Dumont multiplie les gags et les situations loufoques mais la démarche fait l'effet d'un cache-misère. Rarement le rire est amené par la structure. Luchini, bossu en roue libre, éructe sur la taille de la glycine, un gros inspecteur de police dévale les plages en roulant, Binoche est hystérique et se prend des gros coups de rame dans la gueule... Faites votre marché, vous trouverez peut-être de quoi vous amuser. Mais ce rire là est accessoire. Il est là pour masquer. Au mieux s'excuser de l'austérité de ce qu'il cache, au pire servir de confiture pour que le spectateur, supposé immature, avale un médicament amer.
Une observation superficielle trouverait les mêmes ressorts comiques dans le film de Maren Ade : postiches, dents pourries, coussin pêteur... Mais ici l'humour est au cœur du récit. C'est l'une des questions que pose le film : est-il seulement envisageable de vivre sans ? Dans sa forme, Toni Erdman est une sorte de buddy-movie familial. Le père dans le rôle du boulet au cœur tendre et la fille, Ines (Sandra Hüller absolument époustouflante), dans le rôle du clown blanc. C'est ainsi en travaillant un véritable matériel de comédie, avec ses codes et son tempo, que la cinéaste développe ses thématiques. Résultat, elle gagne sur tous les tableaux : une salle hilare et un film extrêmement riche à analyser. Au delà de la représentation juste et délicate de la relation père-fille, et de l'éloge du lâcher prise, le cliché critique du sous-texte national lui va par exemple comme un gant. Toni Erdman peut ainsi être vu comme un film allemand sur l'Allemagne et son histoire ; la difficulté et, en même temps, la nécessité absolue d'une réconciliation.
La comédie a toute sa place au Festival de Cannes, il s'agit simplement de ne pas la prendre à la légère.