Cannes 2016, Jour 3 : Le goût de la myrtille
Le jour 3 est encore jeune, 2h42, quand je quitte avec quelques acolytes une soirée sobrement arrosée. On entre dans le dur, la projection de Ma Loute, le film de Bruno Dumont en compétition, est à 8h30.
Jusque ici tout va bien, dirait-on en noir et blanc et en 95, mais les acrobaties nocturnes ne sont que temporairement compatibles avec la dégustation de films. Comme c'est quand même surtout pour ça que je suis là, il s’agirait de ne pas trop se disperser. 8h30 donc, en place dans le Grand Théâtre Lumière, je découvre que chez Dumont le ciel du Nord n’est plus tellement couvert. Un Luchini bossu, une Binoche éplorée et des gags à la pelle viennent ensoleiller un récit qui, sans ça, serait tout ce qu’il y a de plus sordide. Le film révèle aussi un visage, d’un belle ambiguité, celui de Raph, une Terminale L de 16 ans apprend-on dans le récit de tournage publié par Le Monde. Pour autant le rire, nouvel invité dans la filmographie du cinéaste depuis Ptit Quinquin pose question. Il faudra y revenir mais laissez-moi dormir dessus.
«J'espère que les acteurs seront bons aujourd'hui»
L’un des grands plaisirs du Festival est de découvrir un film dont on ne sait rien ou presque en entrant dans la salle. J'enchaîne donc avec un film russe dont je ne connais même pas le titre. L'information ne tarde toutefois pas à arriver en lettres majuscule sur l'écran d'avant séance : Le Disciple. Puis l'équipe monte sur scène, présentée par Thierry Fremaux pour en dire un peu plus. Le réalisateur, Kirill Serebrennikov, est un metteur en scène de théâtre qu'on avait pu voir en Avignon en 2015. «J'espère que les acteurs seront bons aujourd'hui» plaisante-t-il. Voilà, le film commence et je ne sais rien de plus. Une femme monte quelques étages par les escaliers, ouvre la porte d'entrée d'un appartement vers l'intérieur (curieux) et ne la refermera jamais (curieux). Elle allume la télévision et interpelle quelqu'un hors champ : «Le lycée a appelé, est-ce que tu peux m'expliquer ce qui se passe ?». Le quelqu'un c'est son fils, ce qui se passe c'est qu'il se radicalise à coups de versets de la Bible, qui seront cités et référencés à l'écran tout au long du film. Peu à peu le brouillard s’est dissipé, le film russe d'1h58 a pris forme et consistance. Sérieusement écrit, le long-métrage finit peut-être par abuser de son procédé mais parvient à produire quelques scènes marquantes.
Très bon muffin aux myrtilles
L’autre particularité d’un Festival comme Cannes est de rendre la perception de chaque film extrêmement sensible au contexte de visionnage. L’heure, l’humeur, l’entourage, les films vus juste avant ou juste après… tout a tendance à déteindre sur ce qu’on voit. Le troisième film de ma journée suivait immédiatement la sortie de la projection du Disciple et je n’avais toujours pas mangé. Au plus vite, au plus proche, je me retrouve à nouveau dans la file d’attente avec un muffin aux myrtilles pour un film dont je sais cette fois un peu plus (Soko, Ulliel, Lily-Rose et Melanie Thierry au casting) mais pas tant que ça (le film s’appelle La Danseuse, j’imagine que ça va être l’histoire d’une... danseuse). Il s’agit en fait d’un biopic assez classique de Loïe Fuller, jeune femme devenue icône de la Belle Epoque, grâce à un procédé spectaculaire de robe animée et colorée. Soko tient le rôle principal et s’oppose donc à la fille de Johnny Depp et Vanessa Paradis, très convaincante en jeune Isadora Duncan. Si le film n’échappe pas aux écueils du genre – innombrables séquences d’Ulliel snifant son mouchoir, rebondissements téléphonés – il réussit l’essentiel : ses séquences de danse. L’éclat visuel de la première scène de spectacle suffit pour moi à faire de ce film au goût de myrtille une réussite.
Mais l’enthousiasme arrivera vraiment avec mon dernier film de la journée : Toni Erdmann de Maren Ade (dont le film précédent m’avait pourtant laissé sceptique). Rarement une relation père-fille aura semblé aussi réelle, indiscutable. A la fois fantaisiste et solidement construit, le film a déclenché de véritables crises de rire en projection de presse ainsi que, fait tout aussi rare, une ovation en pleine séance. Comme pour le film de Dumont, nous y reviendrons. Demain promis.