Cannes 2016 : Jour 7, Le signal des larmes
On y est, ce moment du festival où on finit par craquer. Il est un peu plus de 10h en ce Jour 7 et les premières vraies larmes du festival s'invitent sur mes joues. Le responsable s’appelle Pedro.
C'est d'abord une histoire de couleurs. Julieta, comme tous les films d’Almodovar, rend grâce à une palette réduite de couleurs vives. Rouge, jaune, bleu. Parfois le vert s’invite dans des cadres toujours nets et finement composés. Je découvre dès lors chaque plan avec délice sentant petit à petit venir le choc esthétique. Porté par une direction artistique hors du commun, Julieta raconte l'histoire d'une mère qui a perdu depuis longtemps le contact de sa fille. Pour conjurer cette déchirure et peut-être forcer le destin à des retrouvailles, elle écrit l'histoire de sa vie en s'adressant à elle. S'organise alors un récit limpide sur la culpabilité, une œuvre bouleversante sur l'amour comme terreur de l'abandon.
Dégat des eaux
On a parlé des rires – inhabituels à Cannes – il y a quelques jours, les larmes ne sont pas forcément plus fréquentes, mais finissent toujours par arriver. C'est peut-être lié au contexte, à la fatigue accumulée, à l'enchainement des films, de plus en plus nombreux à frapper à la porte de l'émotion. Ça aurait pu éventuellement se passer plus tôt. Devant le Ken Loach par exemple, qui n'a pas manqué de faire pleurer certains, mais dont le scénario un peu trop prévisible n'a pas réussi à m'embarquer. Je ne suis pas passé loin sur le plan final de Toni Erdmann ou devant cette réplique de Ma Vie de courgette qui fait curieusement écho au film d'Almodovar. Ça ne risquait pas devant l'atonie de Jeff Nichols et Nicole Garcia. Ça a fini par me frapper comme la foudre sur une route d'Espagne.
Une fois les vannes ouvertes, le terrain préparé, les récidives ne se font généralement pas attendre. Heureux hasard de la programmation, le film suivant méritait d'être accueilli avec un maximum de sensibilité. Aquarius, deuxième long-métrage du brésilien Kleber Mendonça Filho, nous ramène à Recife pour une nouvelle histoire de quartier. Son premier film, Les Bruits de Recife, impressionnait déjà par son traitement, proche du thriller, d'une chronique urbaine soignée. Ici moins de tension pour l'histoire de Clara une vieille femme qui refuse de se résigner à vendre l'appartement dans lequel elle a vécu de longues années et élevé ses enfants. Le promoteur immobilier qui a racheté l'ensemble des lots de la copropriété en vue de construire un complexe ultra moderne met tout en œuvre pour la faire craquer. Aquarius est un film sur la résistance. La résistance de Clara, inébranlable dans sa dignité, mais aussi celle des lieux et des choses capables, en cristalisant nos souvenirs, de s'opposer à l'épreuve du temps. Mendonça Filho montre ainsi une faculté toute cinématographique à charger ses décors de sentiments. Une simple commode devient par un jeu de montage la relique sacrée d'un érotisme ancien, un vinyl de Lennon une suspension du temps... Le corps meurtri de Clara, qui a survécu dans sa jeunesse à un cancer du sein, incarne aussi ce défi de la mort.
Sous mes yeux un océan
Toujours sous l'émotion du précédent film et maintenu à fleur de peau par la délicatesse d'Aquarius dans le traitement de ses personnages j'ai accueilli par des sanglots la plus belle scène du festival. Elle n'a l'air de rien, à la fin du deuxième tiers du film : la copine du neveu de Clara choisit un disque dans la collection de cette passionnée de musique. Ce qui est alors dit dans le sourire léger de la jeune fille à l'homme qu'elle aime et à sa tante résonne doucement dans les paroles de la chanson brésilienne qu'elle vient de lancer. Ça parle des enfants qui finissent toujours par chercher en amour un quelque chose de leurs parents. Et sous mes yeux un océan.
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cyril18 mai 2016 Voir la discussion...
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Charlie19 mai 2016 Voir la discussion...
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cath4421 mai 2016 Voir la discussion...
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Sanium21 mai 2016 Voir la discussion...