Cannes 2016 : Jour 8, Que va-t-on faire de notre vie ?
Rien de tel qu'un Dardenne pour faire le point. Par la netteté des enjeux et la précision du récit, le cinéma des frères belges s'attache toujours à viser la plus grande clarté.
La Fille inconnue n'échappe pas à la règle. Le Dr Davin, médecin généraliste interprétée par Adèle Haenel, est rongée par la culpabilité de n'avoir pas ouvert la porte de son cabinet à une jeune femme dont la police a retrouvé le corps sans vie un peu plus tard à proximité. Dès lors, deux enquêtes s'engagent : l'une sur les circonstances de la mort, l'autre sur l'identité de la fille, découverte sans papiers. On suit parallèlement une autre micro-intrigue, celle de l'assistant stagiaire hésitant à abandonner sa vocation de médecin à cause de l'excès d'empathie qu'il ressent pour les patients. Voilà qui intéressera peut-être George Miller, le Président du Jury, dont on sait qu'il a suivi des études de médecine avant de se consacrer totalement au cinéma.
S'il ne s'agit pas là du thème central du film des Dardenne, mais le hasard a fait régulièrement apparaitre la question de la vocation (déjà abordée dans Toni Erdmann et Paterson) dans les films vus ensuite. A force de revenir à la réalité plusieurs fois par jour – à chaque fois que le soleil brûlant de la riviera nous arrache à l'obscurité – et alors que le blues de fin de festival et le véritable retour à la réalité commence à se faire sentir, une question profonde se pose avec insistance : que va-t-on faire de notre vie ?
Faire des choix
Dans Voir du Pays de Delphine et Muriel Coulin, un groupe de soldats français rentre d'Afghanistan. Avant de revenir en France, une escale dans un club vacances chypriote est toutefois de rigueur pour s'assurer de l'état psychologique des troupes. Debriefing et péripéties, le séjour permet de mettre à jour les blessures secrètes de ces jeunes gens. Les deux personnages principaux sont des femmes, amies d'enfance jouées par Soko et Ariane Labed qui finissent par remettre en cause ce qu'elles n'avaient jamais questionné : leur engagement. Filles de militaires à Lorient, elles n'ont jamais vraiment rien connu d'autre.
Même difficulté d'émancipation pour les enfants de Captain Fantastic, film Sundance de Matt Ross. Elevés dans les bois selon une éducation anticonformiste impliquant chasse, exercices de survie et lecture intensive, ces gosses sont de petits génies en parfaite forme et santé, mais semblent totalement inaptes aux relations sociales. Ben, le père, interprété par Viggo Mortensen, a sur la fraterie une emprise totale avec laquelle le film maintient jusqu'au bout une certaine complaisance. Si le principal ressort comique est bien exploité – Ben répond à toutes les questions de ses enfants, même les plus jeunes, sans jamais rien dissimuler – le film peine à se trouver un horizon moral au-delà de la formulation naïve de son utopie. Quand le fils ainé considère ses admissions dans toutes les facs de l'Ivy League, obtenues à l'insu de son père, la question fatidique se pose tout autant. Même dans l'hypothèse d'une éducation idéale, ouvrant une infinité de vies possibles, il n'empêche qu'il faut la choisir.
Au fond pourquoi se bat-on ?
«C'est très difficile de devenir l'adulte qu'on avait rêvé d'être» explique Ryota Shinoda (Hiroshi Abe) à son fils dans Après la tempête d'Hirokazu Kore-eda. Ce grand échalas n'a plus vingt ans, mais beaucoup de regrets. Sa carrière d'écrivain pourtant prometteuse n'a pas trouvé le succès qu'il espérait. Séparé de sa femme qu'il tente en vain de reconquérir, Ryota n'est parvenu que temporairement à embarquer dans ses rêves les personnes qu'il aime. Le temps d'un typhon, à chasser, sous la pluie, les promesses mouillées d'une improbable fortune. Effet miroir, The Happiest Day in the Life of Olli Mäki, se place au temps des promesses. Dans un beau noir et blanc, on suit la préparation d'Olli Mäki, grand espoir de la boxe finlandaise dans les années 1960. Le titre de champion du monde lui est promis, il suffit de perdre quelques kilos superflus pour entrer dans la catégorie des poids plume. Rien ne semble pouvoir le séparer de la gloire, quand il tombe amoureux de la belle Raija. Au fond pourquoi se bat-on ? Comment faire pour réussir sa vie sans la laisser filer ?
Au bout de la sienne, Louis (Gaspard Ulliel) rentre auprès d'une famille quittée il y a 12 ans dans Juste la fin du monde de Xavier Dolan, avec comme objectif d'annoncer sa mort prochaine. Dans un étoufant clair-obscur se joue le bilan impossible d'une triste déchirure. Qu'est-on vraiment devenu, loin des notres qui ne nous comprennent plus ?