Cannes 2016, Jour 1 : Attendons

Toutes les bonnes choses ont un début. Voilà que Cannes commence, ou disons recommence, sur un air connu ; évidemment jazzy, vous connaissez Woody.

Café Society me donne l'occasion de me demander si Woody Allen est un ami ou un amant. Rien de moins en tous cas, vu la constance de la relation que j'entretiens avec lui depuis plus de 10 ans. A raison d'un film par an, Allen est un vieux camarade dont j'ai des nouvelles trop régulières pour pouvoir faire comme s'il n'y avait rien entre nous. Seulement voilà, notre liaison commence à avoir les défauts d'une relation de vieux couple. Les coquetteries, jadis charmantes à mes yeux, sont ce qui m'énerve le plus aujourd'hui. Humour juif forcé, maladresses appuyées, aphorismes à gogo : Café Society joue à être un film de Woody Allen par politesse, pour faire plaisir.

Ne restent que des miettes de singularité. Le regard flou de Kristen Stewart d'abord, avec tant de blanc sous l'iris, qu'il faudra regarder ça de plus près dimanche ou lundi dans Personal Shopper d'Assayas. Et puis cette scène dans le bureau de Steve Carell, agent hollywoodien tout ce qu'il y a de plus successfull, et son pot à crayons avec les gommes en l'air. Dans quel état les mines peuvent-elles bien être ? 

« Mais c'est urgent d'attendre » - France Gall

Sur la Croisette, le renforcement des mesures de sécurité implique des fouilles plus approfondies et donc des files d'attente plus longues. Aux abords du Palais, une foule de petits badges colorés se forme régulièrement. Du jaune, du bleu, du noir, du rose : autant de petits amas d'accrédités qui s'alignent et coulissent avant de disparaître, engloutis par l'entrée. Ça me rappelle ce jeu qui consiste à combiner des blocs colorés qui tombent aléatoirement du ciel. Je suis bloqué au niveau 17. Depuis 3 ans.

Cannes est théoriquement le lieu idéal pour passer le niveau 17. Beaucoup de temps morts entre les temps forts. Pour chaque film, il faut compter environ 45 minutes d'attente au préalable. C'est l'occasion d'écrire un peu, de débriefer telle ou telle projection, ou bien de se faire une petite partie. Mais le niveau 17 a de quoi se défendre. D'abord il est très difficile. Ensuite il bouffe énormément de batterie. J'ai beau me mettre en mode avion pendant les séances, au contraire des quelques importuns qui ont parfois fait des milliers de kilomètres pour envoyer des SMS devant des films coréens, la réserve d'énergie de mon smartphone se retrouve très vite dans le rouge. Il y a une sagesse cannoise de l'économie : pour préserver cette énergie si précieuse, il faut savoir prendre le temps d'attendre. Car s'il faut systématiquement attendre entre les films, il arrive aussi qu'on attende pendant.

« Vivre chaque jour comme le dernier » - Corneille

Sieranevada de Cristi Puiu est ainsi un film dans lequel, et devant lequel, on attend beaucoup. Jalonné de séquences plus ou moins longues pendant lesquelles la caméra – bien fixée sur son axe – se contente de panoter, ce long-métrage roumain de 3h fait de l'attente le carburant de son récit. Scrutée par cette caméra - qui à force de discrétion, finit un peu par se trahir - une famille réunie dans un petit appartement afin de commémorer la mémoire d'un parent défunt. On attend d'abord longtemps l'arrivée d'un prêtre, puis on attend que le prêtre s'en aille, qu'une dispute s'achève, qu'un ourlet soit fait, qu'on puisse passer à table.

Dans le film qui a fait connaître Cristi Puiu, La Mort de Dante Lazarescu, on passait déjà de salles d'attente en salles d'attente, trimbalés en ambulance d'un hôpital à l'autre, attendant le verdict annoncé par le titre. Dans Sieranevada, la mort est désormais au passé mais ça n'empêche pas d'attendre. Un aphorisme de Café Society nous revient alors : « Il faut vivre chaque jour comme si c'était le dernier : ça finit par être le cas ».