Ceux qui en parlent le moins...

Alabama Monroe et ces films qui font passer l'émotion en chanson

Dossier | Par Gustave Shaïmi | Le 28 août 2013 à 16h40
Tags : chanson, musique

La sortie d'Alabama Monroe du Belge Felix van Groeningen, où un couple de chanteurs de bluegrass traverse de dures épreuves, nous donne l'occasion d'évoquer l'importance de la chanson au cinéma. Non pas tellement pour parler de comédies musicales que pour passer en revue ce que peut amener un moment chanté dans un film non rattaché à ce genre très codifié. Et si les chansons avaient un impact narratif et/ou émotionnel supérieur à celui de simples dialogues ?

Tout transcender

Didier et Elise, les protagonistes d'Alabama Monroe, s'aiment, se déchirent, traversent des épreuves collés l'un à l'autre ou y perdent quelque chose de leur union. L'histoire serait moins originale si le tout ne se faisait pas en chansons. Le film, lui, serait moins frappant dans sa démarche s'il reprenait le schéma traditionnel de la comédie musicale, où les personnages poussent la chansonnette sans crier gare pour exprimer leur émotion du moment. Felix van Groeningen met en scène des amants dont la particularité tient au fait qu'ils soient chanteurs de profession. Les moments musicaux les plus importants du film sont donc des sortes de rendez-vous que Didier et Elise se donnent sur scène et où l'interprétation vocale permet - au moins au public, lorsque ce n'est pas à eux-mêmes - de faire le point sur leur relation.

Sans en dévoiler ni les tenants ni les aboutissants, on renverra notamment à ce qui est peut-être l'une des plus belles scènes chantées de l'histoire du cinéma : un moment où l'intensité de l'interprétation subjugue et où pourtant les enjeux dramatiques sont denses et extrêmement concentrés. Chacun des regards et des gestes des deux personnages laisse entrevoir son rapport à l'autre tandis que les paroles renvoient largement à l'épreuve qu'ils traversent à ce stade du métrage. Mais c'est surtout le simple entremêlement des voix dont l'impact est important : il semble indiquer que les amants auront beau esquisser un éloignement l'un de l'autre, leur union est trop sublime pour prendre fin aussi "lâchement". Ce sera tout ou rien... Déjà, la musique se posait comme élément narratif clé dans un passage où une même chanson, fredonnée en coulisses puis interprétée avec panache sur scène, suffisait à résumer en quelques minutes les débuts lumineux du couple :


Sur un air de guitare, extrait de Alabama Monroe

Là encore, l'union des voix, du grave et de l'aigu, apporte une ampleur au morceau en même temps qu'elle donne un aperçu particulièrement grisant de l'épanouissement du couple. Si leurs voix "s'emboîtent" aussi bien, c'est en quelque sorte qu'ils sont faits l'un pour l'autre. Nul dialogue ne pourrait exprimer cette harmonie, pour la simple raison que les paroles ne s'y superposent pas - à moins, précisément, d'un désaccord qui les ferait se couper la parole l'un à l'autre... Egalement, le spectateur est invité à regarder Didier qui lui-même dévore des yeux sa compagne ou s'en bouleverse. Comme si c'était la voix d'Elise qui achevait de l'en faire tomber fou amoureux. Et puis, les personnages s'autorisent des baisers sur scène, plaisantent sur l'héritage du couple mythique Johnny Cash-June Carter dont ils reproduisent les folies, etc. Bref, Alabama Monroe offre un condensé de bien des approches de la chanson au cinéma et l'utilise exemplairement comme moyen de transcender les moments de joie comme de douleur de son scénario.

Concentrer et/ou canaliser l'émotion

Dans plusieurs autres films mettant en scène des chanteurs, l'acte même de chanter peut sceller l'union de deux êtres ou plus, telles ces deux soeurs (Meryl Streep et Lily Tomlin) qui, dans The Last Show de Robert Altman (2006), se souviennent ensemble, avec nostalgie mais aussi entrain et humour (les vocalises de Streep, "Not so strong you sons of bitches, I'll break your neck!", glisse Tomlin aux musiciens au début de l'extrait), de leur maison d'enfance et de leur mère défunte. Dans Walk the Line de James Mangold (2006), les personnages de Joaquin Phoenix et Reese Witherspoon se séduisent, se repoussent et même se demandent en mariage par ou dans des prestations scéniques. Dans l'extrait ci-dessus, le fait que Johnny Cash invite June Carter à chanter un duo qu'elle interprétait auparavant avec son ex-mari explicite on ne peut mieux ses intentions à son égard. Si elle le rejoint sur scène en rechignant, à peine la chanson entamée, l'attraction devient irrésistible. Car s'abandonner dans le chant - et en l'occurrence à un jeu de séduction - devient la condition incontournable d'une interprétation convaincante :


Come on June!, extrait de Walk the Line

Lorsque ce n'est pas en vrai, entre deux divas à la Cérémonie des Oscars (le regard assassin de Mariah Carey à Whitney Houston à 2'50 est devenu célèbre), une chanson peut devenir le révélateur, au cinéma, d'une rivalité ou encore l'expression d'une colère. Dans un enchaînement de situations assez (trop?) audacieux, Taylor Hackford filme dans Ray (2005) une dispute du personnage titre avec l'une de ses choristes qu'il vient de mettre enceinte d'un enfant illégitime et à laquelle il donne les paroles de "Hit the Road Jack" : l'énervement peut alors se déverser dans l'interprétation, immédiatement filmée sur scène.


Oh happy day, extrait de Sister Act 2

Au sein même d'une interprétation, quelques phrases de glissées peuvent même infléchir une situation toute entière. C'est le cas dans un de ces passages doucement improbables et joyeusement "bigger than life" qu'offrent les films Sister Act. Dans le deuxième volet, où le personnage de Whoopi Goldberg doit sauver une école de la fermeture via - bien entendu - le chant, la chorale de jeunes à problèmes peine à croire en ses capacités. Rien de mieux que le sourire, le groove et les injonctions de Whoopi pour faire fuir un trac et débloquer une voix : l'inflexion décisive de la relation entre l'enseignante et ses élèves est signalée par l'interprétation vocale même, l'ampleur que celle-ci prend et même les surprises qu'elle réserve (à 2'26).

"Résiste !" (air connu)

Bien plus que ces films extrêmement nombreux - et, pour tout dire, souvent empêtrés dans des schémas trop éculés - qui appréhendent globalement la musique comme un moyen d'affronter la dureté de la vie, de se sortir du pétrin, etc., on appréciera ces moments d'autres films où le chant devient épisodiquement un moyen de panser ses plaies. Ainsi de Meryl Streep qui, dans The Last Show, ravale ses larmes juste à temps pour "soigner" le mauvais souvenir de la mort de sa mère en entonnant une chanson dédiée à cette dernière. La même actrice, près de trente ans plus tôt, fredonnait un timide "God bless America" parmi les autres survivants de Voyage au Bout de l'Enfer (1978). Dans un final bouleversant, parfois mal interprété comme lourdement patriotique, les personnages se cherchent un reste de force collective pour continuer à aller de l'avant quand trop des leurs ont fini broyés par la guerre et ses séquelles. A travers un groupe de personnages, c'est un pays qui relève doucement la tête en chanson... La Chambre du Fils de Nanni Moretti (2001), All or nothing de Mike Leigh (2002), etc. : on vous laisse le soin de prolonger en commentaires la liste de ces films où chanter devient comme le dernier rempart des personnages face à la douleur qui les assaille...

À ne pas rater...
6 commentaires
Des choses à dire ? Réagissez en laissant un commentaire...
Les derniers articles
On en parle...
Listes populaires
Télérama © 2007-2024 - Tous droits réservés - web1 
Conditions Générales de Vente et d'Utilisation - Confidentialité - Paramétrer les cookies - FAQ (Foire Aux Questions) - Mentions légales -