Plongée d'une novice dans le cinéma hongkongais
Cette année le Festival Paris Cinéma mettait à l'honneur le cinéma hongkongais en proposant presque 100 films, s'étalant sur près de 60 ans, des grands classiques des années 50 aux chefs d'oeuvres de la Nouvelle Vague en passant par de jeunes réalisateurs encore méconnus. Néophyte en la matière, c'est non sans quelques vaseux à priori, que je suis partie à la découverte de ce cinéma, écumant les salles de la capitale. Résultat : j'y ai trouvé un cinéma riche, autant porté sur l'humour potache avec des films de kung-fu et de capes et d'épées complétement barrés que sur la peinture d'un Hong-Kong en demi-teinte avec des drames et des polars plus intimistes, voire engagés.
Kung fu man dans Iron Monkey © Film Workshop
La sélection hongkongaise de cette dixième édition avait de quoi ravir les amateurs et spécialistes de cinéma chinois et effrayer tout novice en la matière. Près de cent films dispatchés sur dix jours dans trois salles différentes de la capitale, dont les titres ont du en laisser coi plus d'un. Hormis quelques noms bien connus : Wong Kar Wai célèbre pour ses films 2046 et In The Mood For Love, Johnnie To, Bruce Lee, Jackie Chan ou encore Yuen Wo Ping, plus célèbre pour ses chorégraphies de Tigre et dragon, Matrix et Kill Bill que pour ses réalisations, les autres ne faisaient que rappeler mon ignorance en matière de cinéma hongkongais. Et la liste interminable de titres tous plus inconnus les uns que les autres n'est pas le seul élément à en avoir sans doute rebuté plus d'un. Certains films n'étaient disponibles qu'en VO sous-titrée anglais, mieux valait donc bien maîtriser la langue de Shakespeare. Quelques films ont visiblement subi les irrémédiables ravages du temps, donnant à certains comme Nos Années Sauvages de Wong Kar Wai un charme fou alors que d'autres pâtissaient terriblement de cette vieillesse prématurée : image floutée pour L'Enfer Des Armes, bande originale éraillée pour Le Syndicat du Crime. Mais une fois ces obstacles surmontés, le cinéma hongkongais se révéle pluriel, foisonnant et finalement assez passionnant.
Mais comment fait-on pour partir à l'assaut d'un cinéma auquel on ne connaît foutre rien ? Et bien j'ai quémandé auprès d'un spécialiste de bien vouloir m'aiguiller, en me dressant une liste de dix films. Soit de condenser soixante ans de cinéma et une sélection de cent films en dix films (l'hérésie !). Et je m'y suis, plus ou moins (plus que moins d'ailleurs) tenue. Retour sur dix jours de festival placé sous le signe de Hong-Kong.
Kung fu et wu xia pian : le film d'action à la sauce hongkongaise
S'il est bien un genre qui incarne à lui seul le cinéma hongkongais dans l'imaginaire collectif de nous autres occidentaux non spécialistes, c'est le film de kung-fu. Loin d'être un simple récit de jeunes combattants qui passent leur temps à se foutre sur la gueule, en poussant de petits gémissements, le film de kung-fu intègre un paramètre de taille et pas des moindres, l'humour, se muant parfois en comédie légère où les coups s'ils blessent et tuent sont chorégraphiés et orchestrés à la manière d'un ballet. Au début des années 80, Hong-Kong révolutionne le film d'action. Dans Drunken Master (1978) de Yuen Woo-Ping, Wong Fei-hung, incarné par Jackie Chan, est un jeune homme espiègle et sûr de lui, envoyé par son père chez son oncle afin de suivre son enseignement intensif du kung fu. Celui-ci se révèle un précieux professeur et lui enseigne la technique de l'homme-ivre. Le réalisateur invente le film de kung-fu léger et populaire, qui propose de véritables ballets mêlant humour, coups de poing, jeu de jambes et torsions des corps. Celui qui illustre sans doute le mieux ce genre est Iron Monkey, auquel est particulièrement attaché le réalisateur hongkongais et dont le personnage principal est un double de Robin des bois à la mode chinoise. Les combats aériens sont délirants, la réalisation soignée, du kung fu virevoltant où chaque parade est entrecoupée de blagues.
Drague qui tourne mal, extrait de Drunken Master
Yuen Woo-Ping n'est cependant pas le seul à s'être illustré dans ce genre là. Corey Yuen, aujourd'hui plus connu pour ses films d'action américains, Karaté Tiger - Le Tigre rouge avec Jean-Claude Van Damme et Le Transporteur, réalise en 1993 La Légende de Fong Sai Yuk avec Jet Li, dans le rôle titre. Satire de la société traditionnelle chinoise, le film enchaîne les quiproquos savoureux et les jeux de jambes aériens ahurissants. Mention spéciale pour Joséphine Siao, qui excelle en mère cinglée, folle de poésie.
Dans un autre registre, plus sombre, plus subversif aussi se trouve The Sword de Patrick Tam, un film de capes et d'épées chinois (wu xia pian donc). Le rythme est lent, les plans de toute beauté, la mise en scène contemplative, révélant sans cesse la violence sous-jacente, et chacun des personnages dévoilent sa part d'obscurité. Les scènes de combat au sabre sont frénétiques, et irréalistes. Sous ses oripeaux un peu kitsch, The Sword (1980) dégage quelque chose de sulfureux et d'angoissant.
Les Américains n'ont pas le monopole du film de gangsters
Les mots films de gangsters font immédiatement appel dans mon esprit à des réalisateurs comme Martin Scorsese (Casino, Les Affranchis, Les Infiltrès), Sergio Leone (Il Etait Une Fois en Amérique) ou encore Francis Ford Coppola (la saga Le Parain). Moins à des cinéastes chinois (du fait de mon ignorance sans doute). Et pourtant... John Woo, Johnnie To, Tsui Hark ou encore Andrew Lau font figure de maîtres dans le genre. Martin Scorsese s'inspirera d'ailleurs du premier Infernal Affairs d'Andrew Lau, culte à Hong-Kong, pour réaliser Les Infiltrés. S'ils peignent le même univers mafieux froid et clinique, jouent sur le même thème du double et de la paternité, leur final diffère à bien des égards, du fait de contextes politico-culturels très différents.
Mais John Woo et Johnnie To sont sans doute les deux réalisateurs chinois les plus marquants du genre. Avant de se laisser fourvoyer par la big machine hollywoodienne et ses mauvais Broken Arrow et Mission Impossible 2, John Woo réalise en 1986 Le Syndicat du Crime avec le jeune Leslie Cheung, qu'on retrouvera plus tard chez Wong Kar Wai (Nos Années Sauvages, Les Cendres du temps, Happy Together) et Chow Yun Fat. Malgré un scénario un peu facile, deux frères qui s'aiment mais se détestent car l'un est flic et l'autre mafieux en voie de rédemption, une mise en scène qui aurait pu se passer de ses flashbacks à la guimauve et une bande-originale eraillée (mais ça ce n'est pas de sa faute), le film vaut le détour rien que pour la mythique scène au ralenti où le personnage incarné par le charismatique Chow Yun Fat fait danser les balles, grâce à des flingues préalablement cachés dans des pots de fleurs.
Scène des pots de fleurs, extrait de Le Syndicat du crime
Le réalisateur Tsui Hark s'est aussi démarquée dans le genre du film de gangsters. Plus subversif et dérangeant que les précédents, L'Enfer des Armes est un polar décalé ultra-violent, censuré à sa sortie, sur la déliquescence de la jeunesse hongkongaise. On y suit dans un Hong-Kong sordide, trois petits fils à papa qui pour occuper leurs journées s'amusent à fabriquer des bombes qu'ils font ensuite exploser dans des lieux publics (cinémas, toilettes...). Une jeune fille sociopathe remarque leur petite manège et les fait chanter pour pouvoir en retour être intégrée dans leur groupe. Elle va alors les entrainer dans ses perversions et leur attirer bien des ennuis. Perçu comme l'Orange Mécanique chinois, L'Enfer des Armes suit les aventures de ces jeunes jusqu'au dénouement effarant. Le générique donne une idée du ton et des tendances malsaines de la demoiselle :
Générique d'ouverture, extrait de L'Enfer des armes
Drama made in HK
Le cinéma hongkongais ne se résume pas à ses films d'actions décalés ou ultra-violents, il produit également des drames intimistes engagés plus poétiques. On pense bien évidemment immédiatement à Wong Kar Wai, et à ses oeuvres les plus connues In The Mood For Love ou encore 2046. Mais la sélection hongkongaise de cette dixième édition était surtout l'occasion de découvrir des films méconnus de sa filmographie, réalisés avant qu'il ne devienne la mégastar qu'il est aujourd'hui : Chungking Express et Nos Années Sauvages.
In the Mood for Love @ Ocean Films
J'ai visionné le dernier de ceux-là, un après-midi pluvieux au cinéma des Trois Luxembourg. Si la pellicule a un peu vieilli, le film est emprunt d'un charme non désuet, la caméra errant dans un Hong-Kong des années 60, bercé par la chaude moiteur des amours passagers. Un film parfait donc pour cette morose journée d'été. Le réalisateur suit la quête insatiable d'un jeune homme, Yuddi (Leslie Cheung) volage, profondément libre et indépendant ("l'oiseau sans pattes qui ne s'arrête jamais de voler et s'endort dans le vent et qui ne se pose qu'une seule fois... pour mourir" à qui il aime se comparer), aussi sensuel qu'il est prétentieux et obsédé par une mère qu'il n'a jamais connu. Wong Kar Wai filme avec des mouvements de caméras lents et sobres tout en élégance une jeunesse profondément mélancolique, aux indentités tremblantes et meurtrie par l'amour. Le conte s'avére cruel, aucun d'eux ne parvenant à atteindre l'objet de leur désir, sa mère pour Yuddy, Yuddy pour Sun Lizhen et Mimi/Lulu, ses deux groupies.
Ma mère, extrait de Nos années sauvages
Moins sauvage, mais tout aussi poétique, est le nouveau film de la réalisatrice hongkongaise Ann Hui, A Simple Life, lauréat du prix du public et du prix des étudiants au Festival cette année. Déçue d'avoir loupé son premier film The Secret, thriller fantastique, apparemment proche d'un Dario Argento (c'est pas moi qui le dit, c'est Télérama), projeté bien trop tôt pour un samedi matin, et The Spooky Bunch (idem, trop tôt pour un dimanche matin), un joyeux film de fantômes, je me suis donc rabattue sur le plus classique et beaucoup plus réaliste A Simple Life, présent en compétition. Et ce ne fut pas cause perdue. Rien à voir avec ses premiers films fantastiques, que je trépignais de voir, A Simple Life est un drame humain, sobre et touchant, triste et lumineux sur l'amour qui unit une vieille domestique, Ah Tao, et son patron, Roger, producteur de cinéma. Le film est une chronique douce-amère sur la vieillesse, LA pépite de cette compétition.
Près de cent films hongkongais étaient diffusées pendant le Festival. Si je reste bien loin du compte, la sélection hongkongaise aura eu le mérite de faire tomber quelques barrières quant à un cinéma qui reste encore trop peu accessible. Le pays à l'honneur en 2014 est Taïwan, le rendez-vous est pris...
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Magnight16 juillet 2012 Voir la discussion...