Crazy, Stupid, Love : avec Steve Carell, la figure du quadra loser en tête d'affiche
Crazy, Stupid, Love de Glenn Ficarra et John Requa (les réalisateurs de I Love you Phillip Morris) fait se rencontrer deux figures classiques de la comédie romantique : le jeune playboy et le quadra loser.
Valsant entre romance et bromance (l'amitié masculine limite romantique, mais pas gay), cette comédie romantique relate les déboires de Cal, quarantenaire prêt à tout pour reconquérir sa femme Emily (Julianne Moore) et épaulé dans sa démarche par un playboy invétéré nommé Jacob qu'incarne le jeune et fringuant Ryan Gosling. Le quadra cocu un peu blaireau, c'est Steve Carell, grand adepte de toute une flopée de contrariétés engendrées par la malchance. L'occasion pour nous d'évaluer la côte de popularité du perdant aka "loser" made in US sur grand écran, cet anti-héros pathétique dont on s'amuse sans se moquer.
Le Frat Pack, bande de losers cinégéniques 90'
En véritables instigateurs du concept, Peter et Bobby Farrelly imposent au début des années 1990 leur humour bien baveux et dynamisent la comédie hollywoodienne en mettant en lumière des protagonistes détraqués à la bizarrerie touchante. Fin des années 1990, ce nouveau genre d'anti-héros comique émerge par le biais de productions décalées et poussives menées par une nouvelle génération de réalisateurs tels que Judd Apatow, Todd Phillips, Adam McKay ou encore Wes Anderson. Tout au long de leurs carrières respectives, ces cinéastes dorlotent la culture de la lose avec diligence, mettant en scène des individus plus normaux que la norme, dont la gaucherie et les échecs sentimentaux et/ou professionnels font rire en même temps qu'ils touchent. Ben Stiller, Owen et Luke Wilson, Vince Vaughn, Will Ferrell, Jack Black, Paul Rudd et Steve Carell participent à cet engouement autour du statut de paumé pas encore vieux mais plus assez jeune qui, bien souvent s'embourbe en essayant de résoudre les problèmes. Sans oublier Seth Rogen, un peu trop jeune pour incarner le parfait loser quadra mais porteur d'un fort potentiel.
De son coté, le tandem Farrelly collabore avec bon nombre des membres du Frat Pack (groupe de comiques américains en vogue dans les années 1990, succédant au Brat Pack et au Rat Pack), notamment Owen Wilson, Jack Black et Ben Stiller, ce dernier étant révélé par Mary à tout prix. Et tandis que Todd Phillips et Wes Anderson misent sur la bromance, Judd Apatow fait le portrait d'un loser solitaire en la personne d'Andy, adulte sans histoire, fan de figurines et de jeux vidéo, vierge de surcroît :
Super jeu extrait de 40 ans, toujours puceau
En 2010, Noah Baumbach creuse le concept du loser quarantenaire via sa comédie dramatique Greenberg. Il consacre ainsi Ben Stiller, qui, on l'a vu, avait déjà endossé le rôle plus jeune, comme l'une des figures incontournables de la lose. Le film s'en sort bien grâce à sa vision d'un univers social désabusé à travers les désillusions d'un chômeur de 40 ans. Et d'exprimer tout haut moult angoisses ressenties par toute une génération d'américains d'âge moyen que l'avenir inquiète forcément beaucoup.
Crazy, Stupid, Love, Bromance ou RomCom ?
Crazy, Stupid, Love s'institue hybride à l'humour dilué et récolte les lauriers grâce à sa tête d'affiche certes surprenante, mais somme toute efficace. Steve Carell suit les conseils avisés d'un Ryan Gosling plus qu'inspiré à la gueule d'ange mais le diable au corps. Assurément, le total look du playboy va à ravir à ce dernier :
Technique de drague extrait de Crazy, Stupid, Love
Pourtant, si le bel Apollon éblouit avec effronterie et sensualité, Carell campe avec brio le personnage principal malmené par son mauvais karma, celui dont le public se soucie. Dans ce cas précis, l'humour potache typique de la bromance est dilué dans un discours prônant maturité et romantisme. Finalement, ce qui s'apparentait à des cours de séduction de haut vol (à la manière de Hitch) prend la forme d'une leçon réciproque et chacun influe sur le comportement de l'autre. Père de famille en quête d'autorité et de virilité, Cal apprend à prendre du bon temps et soigner son allure, tandis que Jacob commence à percevoir les joies de la monogamie. En somme, Crazy, Stupid, Love mêle amour, humour et fantaisie. Malheureusement, les situations cocasses sont légion mais demeurent toujours empreintes de moralité et de tempérance. Presque trop convenu finalement, cette comédie frustre le spectateur, en manque un brin de cynisme.
Le Loser, chouchou d'un public compatissant
S'il y a un personnage que le cinéphile affectionne pour ses travers, c'est bien le loser. Pathétique mais jamais pitoyable, il plaît indubitablement à de biens charmantes créatures. Mieux, il use et abuse de ses défauts tels de véritables atouts et réussit souvent à faire craquer l'élue de son coeur grâce à ses imperfections. Cal l'a bien compris lorsqu'il emballe ce n'est qu'en déversant une dégoulinante sincérité :
Chaud time extrait de Crazy, Stupid, Love
Loser rime parfois avec tombeur. Pourtant, le bonhomme n'opte pas toujours pour les bons accessoires vestimentaires, accordant ses pulls rayés à ses chaussettes, associant costard et baskets sans parcimonie. Pour autant, la chemise à jabot et l'appareil dentaire n'empêchent pas Ted (Ben Stiller) d'inviter Mary (Cameron Diaz) au bal de promo... avant de se coincer les bijoux de famille dans la braguette. Encore une fois, le loser est rattrapé par son indécrottable poisse :
Le coup de la braguette extrait de Mary à tout prix
Puceau à 40 ans, père de famille errant dans Crazy Night, philosophe dépressif dans Little miss Sunshine, Steve Carell aime à incarner les énergumènes malchanceux. Dans Crazy, Stupid, Love, son personnage se fait larguer après 20 ans de mariage. Déjà en 2009, sa nuit totalement surréaliste aux cotés de Tina Fey dans Crazy Night le sauvait in extremis d'un naufrage marital annoncé. Ces deux scénarios mettent en exergue l'incapacité du loser à prendre des risques, sa passivité face à l'écoulement de sa vie. Seul un bon coup de jus l'extirpe, malgré lui, de son immobilisme. La preuve avec 17 ans encore dans lequel un quadra divorcé (Matthew Perry) retrouve subitement ses jeunes années de lycéen populaire (se transformant miraculeusement en Zac Efron) et va apprendre de ses erreurs pour aller de l'avant. En somme, le loser ne peut évoluer sans trainer ses casseroles, aime se complaire dans sa poisse, jusqu'au jour ou quelque chose ou quelqu'un l'engage à tendre vers l'acceptation et non la perfection.
Finalement, le loser est le meilleur ambassadeur de la banalité confortable. Les rôles masculins de Mes meilleures amis et Bad Teacher sont représentatifs d'une vague d'histoires d'amour moins utopiques qu'à l'accoutumée. Le mec lambda (Chris O'Dowd et Jason Segel), moins loser qu'il n'y paraît d'ailleurs, se retrouve au sommet de la hit list de la jolie fille, au détriment du bellâtre de service (Jon Hamm le macho et Justin Timberlake l'abruti).
Affreusement maladroit mais jamais méchant, le loser galère dans la vie. Ses gaffes font rire de la même manière qu'elles réconfortent un public qui, sans aller jusqu'à s'imaginer au coeur des péripéties rocambolesques du protagoniste, verra en ces tribulations presque familières un bon moyen de relativiser et de se rassurer. Et puis, quand, enfin, le perdant adopte le « Yes I can » comme slogan, la culture de la win semble à la portée de tous. De quoi stimuler les plus empotés d'entre nous.
Et sinon je partage l'avis de @FilmsdeLover , malgré le fait que j'aime assez le cynisme dans les comédies, ça ne m'a pas du tout manqué. Je trouve intéressant (et très agréable) que les personnages soient tous traités avec amour.