Dernier train pour Busan : pourquoi faire un seul film quand on peut en faire deux ?
Appelez-les zombies, enragés, infectés ou cannibales : les cannibales de toutes sortes sont devenus des figures très (trop ?) familières du petit écran (The Walking Dead) comme du grand, aussi bien dans le cinéma dit d’auteur (Grave, présenté à la Semaine de la critique 2016, ou Ma Loute) que dans les blockbusters (World War Z). En salles cette semaine, Dernier train pour Busan a quelques originalités à faire valoir : il vient de Corée du Sud, il est le plus gros démarrage en salles de tous les temps là-bas et… il fait partie d’un diptyque, dont l’autre volet est un film d’animation.
Pas toujours facile d’être distribué en France. Yeon Sang-ho en a fait l’expérience. On remarque ce jeune réalisateur de tout juste 30 ans à Tours, en 2009, où l’un de ses courts-métrages est sélectionné dans le cadre du festival Mauvais Genre. On le voit trois ans après à Cannes, à la Quinzaine des Réalisateurs, présenter son tout premier long animé, The King of Pigs. Ce film est ensuite projeté à Paris grâce au défunt festival Paris Cinéma, puis il disparaît.
Derrière les minables, d'autres minables
Dans King of Pigs, les retrouvailles entre deux anciens camarades de lycée, qui se souviennent des bizutages dont ils étaient victimes et de celui qui osa se rebeller contre leurs tortionnaires, s’avèrent dérangeantes, voire désagréables. Yeon ne recherche pas l’harmonie dans les traits. Les faciès de ses personnages se déforment à chaque fois que la colère ou la rancœur les submerge, c’est-à-dire souvent. Le réalisateur décrit un monde très masculin, impitoyable, où derrière chaque trentenaire se cache un ado minable qui cache aussi un enfant minable.
Les enseignements à en tirer ne laissent guère de place à l'optimisme : les puissants le restent, les faibles aussi (sauf à vouloir s’autodétruire dans leur révolte) ; la société coréenne, à l’image de l’Occident, ressemble à un système de caste avec lequel il est impossible de transiger. Malgré ce programme loin de laisser indifférent, The King of Pigs ne sort pas en France, ni en salles, ni en DVD.
Survival sur rails
Il aura fallu que Yeon passe à la prise de vues réelles pour avoir son nom à l’affiche de nos cinémas. Projeté hors-compétition cette année à Cannes, Dernier train pour Busan est en salles le 17 août, à peine un mois après sa sortie en Corée du Sud, où il a enregistré plus de 5 millions d'entrées lors de sa 1ère semaine d’exploitation ; un record, même dans un pays qui a aimé Snowpiercer (une histoire de train dont Busan se démarque bien) et qui maintient des quotas pour protéger sa production cinématographique nationale. On retrouve dans ce survival sur rails la saveur politique de The King of Pigs (ceux qui nous dirigent sont les plus veules de tous ; la masculinité est une valeur à la baisse ; la course au profit engendre littéralement la mort), l’infecté étant la plus idéologique des créatures, à l’instar du mort-vivant. La leçon est par contre moins amère, donc plus digeste. Non parce que Yeon s’est assagi, mais parce qu’il a gardé sa bile pour un autre long-métrage, animé celui-ci, sur lequel il travaillait quand on lui a proposé Dernier Train pour Busan : Seoul Station.
En compétition cette année au Festival d’Annecy, ce film partage le même espace-temps que Dernier train pour Busan, mais montre son hors-champ. Quand le fameux train quitte la gare de Séoul, on voit derrière l'une des vitres un contrôleur se faire brutalement alpaguer par un enragé. Le convoi est lancé, nous resterons à son bord. Seoul Station, lui, reste à quai, dans une capitale sud-coréenne où se propage le chaos, aux côtés de héros moins conventionnels que ceux, très représentatifs de la société moyenne (homme d’affaires, lycéens, divorcés, mariés, vieux, jeunes, etc.), de Dernier train pour Busan.
Prendre le train pour Busan et espérer voir Séoul
La trajectoire rectiligne de Busan, sans arrêt ni retour en arrière possibles, participe à la pression croissante qui s’exerce sur le spectateur, qui craint pour la vie de certains passagers (à raison, vu que Yeon ne s’embarrasse pas de ses personnages). Seoul se disperse dans les rues, via son héroïne, une prostituée qui veut lâcher le trottoir et se retrouve flanquée d’un SDF, et son père prêt à tout pour la retrouver, même à se coltiner l’ex souteneur et petit ami de sa fille (en plus des enragés qui courent partout dans la ville).
Plus agréable à l’œil que The King of Pigs, moins désagréable à l'oreille aussi, Seoul Station n’en est pas moins démoralisant, faisant à la famille ce que son prédécesseur faisait aux amis. L’animation crée heureusement une certaine distance entre les personnages et nous, laissant l’espoir que ces monstres n’ont rien à voir avec les humains que nous sommes... Voilà sûrement pourquoi Seoul Station se permet d’être encore plus cruel, violent et nihiliste que son alter ego Dernier Train pour Busan. Mais pour pouvoir comparer, une seule solution : que le public français prenne la direction de Busan, que nous puissions avoir droit dans nos salles à un voyage retour à Séoul, dans quelques mois.
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Sleeper18 août 2016 Voir la discussion...
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ChrisBeney19 août 2016 Voir la discussion...
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Flol19 août 2016 Voir la discussion...
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jenanaipa20 août 2016 Voir la discussion...
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Panpan3126 août 2016 Voir la discussion...