Les festivals de cinéma servent-ils encore à quelque chose ?
Deauville, L'Etrange, Venise, Toronto et Telluride sont terminés. San Sebastian et Strasbourg sont là. Pour les amateurs de festivals de cinéma, qu'ils soient globe-trotters ou franco-français, il n'y a jamais de pause. Mais à l'heure où le visionnage des films s'individualise et se dématérialise, où la Mostra a offert sa sélection la plus faible de ces dernières années, où les exclusivités cannoises sont largement montrées à la presse parisienne avant même le début des festivités, où la multitude des événements empêche chacun d'avoir une large et durable couverture médiatique ; posons la question : n'y-a-t-il pas une usure des festivals de cinéma ? Sont-ils en danger ? État des lieux avec cinq professionnels.
Pour la quatrième année consécutive, la Mostra de Venise a proposé au public de regarder certains de ses films à distance. Grâce à ce qui a été baptisé Sala Web, les internautes pouvaient par exemple visionner en ligne Tempête (prix d'interprétation de la sélection Orizzonti) ou Free in Deed (prix du meilleur film Orizzonti) pour 4 euros. Davantage qu'un moyen d'être dans l'air du temps, ce dispositif questionne la tenue même d'un festival physique. Pourquoi attendre des gens qu'ils se déplacent, alors qu'on met à leur disposition les mêmes films sur Internet ? Claude-Éric Poiroux, directeur du festival Premiers Plans d'Angers, a une explication rationnelle : « À Venise, tout coûte cher, alors si ça permet aux professionnels de découvrir les films et d'éviter trop de frais, pourquoi pas ? Concernant le public en revanche, je ne vois pas tellement à qui la Sala Web s'adresse ».
Le festival à l'épreuve du Web
Leo Soesanto, directeur artistique du Festival International du Film Indépendant de Bordeaux (FIFIB), trouve des qualités à ce dispositif : « C'est une bonne idée. Ca intéresse tout le monde que les films soient vus par le plus grand nombre, aussi bien les producteurs que les cinéastes ou les distributeurs ». Pour Xavier Leherpeur, critique notamment sur France Inter et dans l'émission Le Cercle sur Canal plus, et membre du comité de sélection de la Semaine de la Critique, cette initiative traduit « exactement ce que doit être un festival, c'est-à-dire une prise de température globale, à la fois artistique et économique. Je suis sûr qu'Alain Resnais, par exemple, aurait adoré faire un film pour le web ».
Aujourd'hui, il n'est plus obligatoire de se déplacer pour avoir le sentiment de faire partie de l'événement. C'est ce que pointe Léo Soesanto : « On peut vivre les festivals par procuration, via les réseaux sociaux. Internet a un petit peu écorné l'aspect rareté, l'exclusivité, le monde fermé qu'était jusqu'à présent un festival. ». Et la dernière étape de cette évolution correspond justement à la mise en place de dispositifs de visionnage des films comme la Sala Web. Il n'est plus étonnant de voir apparaître des festivals de cinéma en ligne, comme My French Film Festival. L'évolution des techniques et des usages (streaming, téléchargements, etc.) accélèrent cette évolution.
Faut-il s'en inquiéter ? Noémie Luciani, critique au journal Le Monde, ne le pense pas : « Je ne crois pas que la dématérialisation ait des conséquences réelles sur les festivals. Ou alors, cela veut dire que le festival ne va déjà pas bien et qu'il ne vit que par les films, alors qu'il devrait vivre autant de tout ce qu'il organise autour des films ». Même son de cloche chez Claude-Éric Poiroux : « Si nous étions face à un véritable changement, ce serait délicat parce que ça voudrait dire qu'on réduit le cinéma, donc qu'on ne l'aime pas tant que ça ».
"L'expérience festival" : le fer de lance
S'il y a bien des festivals en crise (récemment en France, Paris Cinéma s'est arrêté et Deauville Asie est suspendu), le public, lui, semble toujours répondre présent. « C'est quand même autre chose d'aller voir un film dans une belle salle, avec un joli son, et surtout avec l'équipe du film qui est présente, plutôt que de le regarder misérablement chez soi en streaming » déclare Marjane Satrapi, réalisatrice de Persepolis (Prix du Jury à Cannes 2007) et plus récemment de The Voices, et qui a également fait partie de nombreux jurys de festivals. « Les gens viennent parce qu'ils cherchent cette palpitation ». Ces manifestations constituent une expérience très forte. Le festivalier vit, pendant un temps très court, dans une sorte de monde parallèle, déconnecté de la réalité, où les discussions sont entièrement orientées par le cinéma ou des sujets inhérents à l'événement et aux films du jour.
Léo Soesanto confirme : « Ce qu'on vend, c'est une expérience festivalière, qui n'est pas la même que de voir un film à 14h en salle le mercredi. ». Pour Xavier Leherpeur, le public vient en festival parce qu'il trouve là un moyen de prendre le pouvoir : « Les festivals sont de très bon moyens de lancer un film et de profiter du bouche-à-oreille. Les gens s'en emparent, la presse n'a pas encore énoncé son verdict, il n'y a pas encore de pensée déposée, donc ça fait appel à la curiosité, à l'inédit. Au final, on peut se battre pour aller voir des films dont personne n'a entendu parler ». Noémie Luciani confirme : « Les gens qui sont devenus des festivaliers, des habitués, se mettent à adopter eux-mêmes des postures critiques. On les entend à la sortie des salles. C'est un jeu qui n'est pas proposé au public en dehors des festivals ».
Pas assez de bons films ?
Il faut aussi avoir à l'esprit que les critiques et le public voient en la forme festival une instance de référence, perçue comme la plus à même de désigner les films les plus légitimes qualitativement parlant. Mais y a-t-il assez de bons films pour satisfaire autant de festivals organisés ? « Non ça c'est sur. S'il y avait 150 chefs-d'oeuvres par an, ça se saurait et ça serait formidable » remarque Xavier Leherpeur. « Thierry Frémaux, le délégué général de Cannes, a toujours l'impression de nous montrer les meilleurs films du monde, ce qu'on n'a pas forcément à l'écran. D'autres festivals sont là pour prendre le pouls, pour faire émerger des promesses, et c'est aussi ce que j'attends de ces manifestations ». C'est le cas justement du festival Premiers Plans à Angers où sont programmés principalement des premiers et deuxièmes films « qui ne sont pas forcément très spectaculaires, ni forcément très réussis » prévient son directeur. « Pour figurer dans un festival, un film n'a pas à avoir forcément les mêmes atouts que ceux nécessaires pour passer au cinéma. Mais ça permet de lancer des carrières : Arnaud Desplechin, quand il est venu chez nous avec La Vie des morts, son premier film, personne ne savait où mettre le S dans son nom. Et je me rappelle encore du premier long-métrage de Paolo Sorrentino à Angers. Après, il est devenu Sorrentino ».
« Il n'y a pas systématiquement des chefs-d'oeuvres mais toujours un volume de films estimables, bien faits et de bonne tenue » ajoute Léo Soesanto. S'il y a une baisse de la qualité des films dans les grands festivals internationaux, elle serait liée à un autre phénomène d'après Noémie Luciani : « Il y a des effets de chapelle, des automatismes » explique la critique du Monde. « Woody Allen continue d'être présent en festival, alors qu'il innove de moins en moins, qu'il est moins ambitieux. Si les frères Coen s'amusent demain à tourner une série Z et que c'est complètement nul, le film trouvera tout de même le chemin des grands festivals, parce qu'ils y ont leurs sièges réservés ».
Le tremplin des jeunes cinéastes
Même avec leurs habitués, les festivals constituent pour les jeunes réalisateurs la meilleure assurance d'être exposés. « Les festivals sont indispensables à un certain cinéma, peu représenté dans les salles, parce que ce sont les seuls endroits où celui-ci peut se montrer » assure Claude-Éric Poiroux. « C'est important pour des jeunes réalisateurs de passer dans les festivals. Ils ont besoin de se conforter et d'estimer leur valeur. Pour eux, il n'y a qu'un moyen de se mesurer : avoir un public. Et je ne vois pas d'autres options que les festivals pour ça. ». Un point important, sur lequel insiste Marjane Satrapi : « Apichatpong Weerasethakul (Oncle Boonmee, Cemetery of Splendour), s'il n'était pas passé par la case Cannes, je ne pense pas que ses films seraient vus ». Selon elle, les festivals sont un passage obligatoire pour les cinéastes indépendants, même après plusieurs films. Ils influencent d'ailleurs leur calendrier de production : « Pour le dernier film que j'ai fait, The Voices, on avait le festival de Sundance en tête. Il a donc fallu le terminer à un moment précis afin d'être prêt pour l'événement ».
Et s'il y avait suffisamment de bons films, mais beaucoup trop de festivals ? Et s'ils étaient trop nombreux et diluaient la frénésie entourant certaines productions, créant des redondances, diminuant réciproquement leur propre impact ? « Quand on dit qu'il y a trop de festivals, c'est qu'il y a trop de festivals qui ne sont pas assez exigeants, ou qui n'ont pas de raison d'être, que ce soit envers le public ou les professionnels » soutient Claude-Éric Poiroux. « Ils sont uniquement là pour remplir les hôtels et faire la promotion d'une station balnéaire ».
Le bal des critiques
Ce qui est également dilué, c'est l'aura médiatique. « Un festival doit arriver à mobiliser des journalistes pour qu'on parle de lui » détaille le directeur de Premiers Plans. « Et les médias se disent qu'il y a tellement de festivals, qu'ils ne peuvent pas parler de tout ». Preuve en est la tenue pratiquement aux même dates des festivals de Deauville, de L'Etrange, de Telluride, de Venise ou de Toronto ; les journalistes accrédités à la Mostra allant même jusqu'à déserter le Lido à mi-parcours pour rallier le Canada. La presse a-t-elle d'autres alternatives que de faire des choix et de pas couvrir du tout certains festivals ? « Si vous n'avez pas une vedette ou un tapis rouge un peu prestigieux, aucune rédaction ne vous demandera de faire le déplacement » fait remarquer Xavier Leherpeur. Cela incite les distributeurs à proposer à la presse de plus en plus de projections de leurs films sélectionnés en festival, en amont de la manifestation, afin de s'assurer que leurs films soient vus. Le risque est que la critique s'en contente et ne se rende plus du tout à ces grands-messes du cinéma, ce qui équivaudrait, pour les festivals, à une mort médiatique.
« L'un des dangers qui guette le critique en permanence, c'est le tête-à-tête avec le film. Aucun réalisateur ne fait un film pour les critiques, pour qu'il soit vu par une poignée de personnes qui pinaillent ou qui ne sont jamais contentes, enfermées dans quelques salles autour des Champs-Elysées. Et voir les films en projection presse, c'est s'enfermer dans ce tête-à-tête » prévient Noémie Luciani. « Le festival, c'est vraiment le moment où on établit et où on entretient la connexion avec le public qui est le premier destinataire du film. C'est une ouverture aussi parce que le public a toujours une réaction inattendue ».
Rien ne remplacerait donc le festival en terme d'expérience, ni l'élargissement de leur mode de fonctionnement, ni ses évolutions conjoncturelles. Est-ce un « effet de mode » de dire que les festivals de cinéma sont en danger, comme l'affirme Marjane Satrapi ? « Il y a toujours ce réflexe défaitiste de dire que c'est la fin d'une époque, alors que ce n'est pas le cas. Il faut prendre du recul. Ce n'est jamais la fin de rien. Malgré le confort qu'il y a à regarder un film chez soi, les gens vont tous au cinéma ». Comme disait l'autre : pourvu que ça dure.
Je dois avouer, si on peut tout de même continuer la conversation (et si elle nous lit) que même dans ces termes modérés, je trouve le propos discutable. Il me semble que W.Allen a toujours alterné entre fulgurances remarquables et facilités, ceci avec une constance désarmante.
Et pour ce qui concerne les festivals, je suis bien en peine de comprendre dans quelle mesure le public verrait les films avant nous, gratte-papiers attirés comme des mouches aux premières lueurs des projections du moindre festival...