Hayao Miyazaki, ou le malentendu réactionnaire
Réactionnaire, passéiste, nostalgique, limite de droite, on aura presque tout lu sur Hayao Miyazaki depuis que l'émerveillement (tardif pour l'occident) s'est émoussé après Chihiro. Alors, le génie de l'animation japonaise serait-il idéologiquement peu fréquentable ? Revenons sur ce malentendu...
Lorsque feu HK magazine publie en juin 1998, trois mois avant le décès d'Akira Kurosawa, un entretien entre l'auteur des Sept Samouraïs et Hayao Miyazaki, on ne peut rêver plus grande rencontre au sommet. Celle-ci date en réalité de quelques années auparavant, en 1993, peu de temps après la sortie de Porco Rosso, film le plus mal aimé de et par son auteur. La conversation n'est pas éblouissante. Plutôt de celles polies entre deux maitres échangeant des anecdotes sur leurs méthodes de travail. Face au mont Fuji, dans la maison de Kurosawa, les deux hommes parlent de technique, de souvenirs de tournages et d'Histoire. Entre les lignes, émerge une même vision du Japon. Le regret de voir le pays se transformer, perdre ses paysages, ses traditions, sa culture. « Il y a des choses dans la beauté du Japon qui me semblent à jamais perdues. » déclare Miyazaki. L'enfant de l'après-guerre et père de Nausicaa raconte comment il lui a fallu voyager, découvrir les paysages étrangers (recyclées sans fins dans son oeuvre), puis tourner un film pour mieux voir, comprendre et aimer la géographie nippone : « Il y a eu comme une redécouverte. Tardive. Dans mes films je montrais toujours des univers "étrangers", je m'inspirais de la nature d'autres pays. Et puis, sur le chemin du retour, j'ai décidé de faire un film qui montrerait le Japon. C'était Totoro. »
Passé composé
Conte philosophique au réalisme sensoriel éblouissant, Totoro est aussi un film utopique. Le rêve ressuscité d'un pays redécouvrant la grandeur de sa pensée animiste par un regard sur son passé rural. Les transformations du Japon, son urbanisme outrancier, sa passion industrielle (que l'auteur partage paradoxalement), son délitement social anticipé par Ozu, Miyazaki les observe avec scepticisme. Mais à l'époque de Totoro la fable est radieuse, lumineuse, limpide. Les enfants sont le relais d'un monde onirique à la lisière du réel qui entretient la quête vertueuse d'un monde uni et pacifique. Kiki suivra ce même chemin entre deux mondes, pour viser un féminisme qui n'a pas besoin de se dire. Figure quasi constante de ce cinéma, l'héroïne miyazakienne est débrouillarde et valeureuse, elle recueille et témoigne d'un monde en transformation dont elle devient le centre. Elle est messagère et traductrice, apprenant de ses propres forces pour transformer ses incertitudes en certitudes. Le récit initiatique chez Miyazaki consolide les forces contenues en chacune de ses héroïnes. Il sert à préserver ce qu'elles sont, voire l'accroitre, comme si l'aventure, l'expérience, le voyage, mettaient à jour pour la raffermir leur propre nature qui ne les a en réalité jamais quitté.
Ce passé que l'auteur regarderait avec tant de sympathie, son cinéma ne cesse de s'en préoccuper comme d'un lien qu'il faudrait maintenir nécessairement. Ce n'est pas qu'il se refuse au changement, à la modernité, qu'il veut contenir les choses ensemble, ne pas perdre les traditions moins pour savoir qui nous sommes que comment vivre en fonction de ce que l'on est, avec la totalité des choses. Si l'univers miyazakien est peuplé de machines et de décors hybrides, à mi chemin des cultures européennes et japonaises, c'est aussi parce qu'il est ce rêve d'un univers de la coexistence. Un monde où le passé hante le présent sans se noyer dans la mélancolie puisque, au contraire, tout vise à l'harmonie. Le Voyage de Chihiro ne raconte que cela. Il n'est pas une métaphore, un conte sur la perte dans le consumérisme, mais un film sur la force du multiple.
Le quartier latin
Quand, récemment, le maître se pourfendait de propos anti-technologiques, comparant l'iPad à une machine masturbatoire, beaucoup ont vu là le nouveau signe d'un homme vieillissant et réactionnaire. Certes Miyazaki n'est pas connu pour être l'homme le plus funky de l'animation japonaise. Et on le sait tyrannique (comme tous les grands cinéastes) au sein du studio Ghibli. Mais il y a là un malentendu. Par ses histoires de jeunes filles toujours libres et son observation d'une nature foisonnante où l'homme cohabite, Miyazaki n'est pas passéiste. On le lui a pourtant encore reproché avec Ponyo, quand il ne s'agit à chaque fois que de maintenir un geste, qu'il soit moral, technique ou philosophique. Si son oeuvre est devenue plus politique (et rageuse) avec Mononoke, elle n'a cessé d'être plus abstraite aussi à partir du Château ambulant, pour finir sur un réalisme peu coutumier de Ghibli sur La Colline aux coquelicots. Mais qu'il s'agisse de faire un jidaigeki (film historique), d'explorer le fantastique en adaptant Dianne Wynne Jones, ou restituer fidèlement le Japon des 60's, le temps est une question centrale en tant qu'il est une totalité dont Miyazaki veut briser l'illusoire linéarité pour nous ramener à une liberté essentielle. La radicalisation de son oeuvre ne vise que cela.
Corps de garde, extrait de Le Château ambulant
Miyazaki n'est pas ce vieil aigri se plaignant de la déliquescence du Japon. Ou plutôt, même pris dans ce sens caricatural, mieux vaut tendre l'oreille, car non seulement il y a du vrai (socialement le Japon est en crise), mais il souligne une chose : puisque la beauté du divers est partout et donc le temps, détruire le passé au nom du présent est une négation de nous-mêmes. Ainsi les images de Miyazaki n'entretiennent pas que la beauté d'un savoir-faire (le dessin traditionnel plutôt que l'animation numérique), elles ont une âme. L'esthétique de Ghibli que Ponyo pousse à son paroxysme est un style narratif qui raconte sa volonté de continuité. On aurait ainsi tort d'y voir avec péjoration une volonté de maintenir une technique du passé. Il n'y a pas d'opposition chez Miyazaki entre l'ancien et le moderne. Pas de préférence, mais une seule volonté de dire l'hétérogénéité du monde, de la nature, de ceux qui l'habitent. Il ne s'agit pas de conserver le passé, mais de préserver la diversité des choses. La sauvegarde du fameux « Quartier Latin » de La Colline aux coquelicots, baraque étudiante aux multiples clubs et activités, ne dit que ça : sauver collectivement un espace pour sa seule grandeur composite. Alors, réactionnaire Miyazaki ? Il nous apprend plutôt à voir le monde hors des vulgaires et aliénantes conceptions du temps. Sa seule, sa grande obsession c'est le vivant.
Enfin bon de toute façon c'est évident qu'il n'est pas réac ou passéiste.
A part ça les analyses sont intéressantes, merci!
Hayao M. est bien un japonais (vu l'enjeu des thématiques de ses films avec un univers personnel).
On peut ne pas aimer Miyazaki mais apprécier Kitano et aimer la culture nippone (ou ni l'un et l'autre), mais dire que Miyazaki est un intégriste du passé, c'est tout réduire par des questionnement boiteux à l'occidental.
Le Japon a toujours poser ce problème de l'avant, du présent et du futur. Justement du fait qu'il est un des rares pays au monde à allier modernité et ancien.
Au final ce serait presque reprocher à Miyazaki d'avoir une culture trop nippone pour certains et pas assez pour d'autres ??!!