John McTiernan, génie emprisonné
Mise à Jour du 21 août 2012 : l'appel du cinéaste a finalement été rejeté et il devra bien purger une peine de 12 mois de prison.
John McTiernan a façonné le meilleur du cinéma américain des trente dernières années, avant de voir son destin se boucher progressivement jusqu'à la plus grande incertitude. Et si son oeuvre annonçait ironiquement son propre destin ?
Sur le tournage de Predator
La carrière de John McTiernan n'est pas au point mort, elle semble anéantie. Ruinée par des problèmes de justice qui l'auront mené jusqu'à la prison. L'homme lui-même, à le lire dans ses derniers entretiens, paraît désormais instable, paranoïaque, invectivant un vaste complot politique américain auquel prendraient part les studios. Bientôt dix ans que le réalisateur de Basic n'a plus tourné, sinon pour un vague documentaire militant dont on n'a pas vu une image. Depuis l'homme se terre dans son ranch du Wyoming avec ses proches. Il vit, plus ou moins isolé et certainement loin de Los Angeles. Cette hyper-ville, infiniment horizontale et faite comme de non lieux successifs agencés par hasard autour de quelques pôles et enclaves. Dans son premier film, Nomads, avec le fringuant Pierce Brosnan en anthropologue français, McTiernan découvrait alors cette cité où les habitants paraissent errer dans l'immensité d'un espace aux allures de jungle urbaine. Objet intriguant et vaguement fellinien, Nomads aborde avec un mélange d'angoisse et de fascination un monde inhospitalier, avec ses tribus proto punks renvoyées par l'auteur à celles des Inuits. Un rêve contrarié d'isolement et de fuite se détache alors du film, jusque dans son final voyant son personnage happé par ces fantômes de notre civilisation, sous le regard de celle avec qui il est connecté post mortem.
Asphalt jungle
La jungle, McTiernan la retrouvera plusieurs fois, à commencer par Predator, modèle d'un cinéma d'action sur lequel on a tout dit. Mais qu'en reste-t-il sinon encore un espace sauvage, à la fois fascinant et hostile, où l'homme vit sous une menace d'abord invisible dans laquelle on verra des réminiscences du Vietnam. McTiernan signe alors des plans qui deviendront des marqueurs de leur époque. Toute la chasse à l'homme du film devient un ballet géographique où l'auteur taille ses figures, icônes militaro-reaganiennes, pour finir sur un opéra pop et primitif.
Retour a la sauvagerie extrait de Predator
Concentré d'images brutes, Predator annonce avec Nomads ce que sera Medicine Man, oeuvre mal aimée tournée alors au faîte de sa gloire. Là aussi on craint les dangers d'une force mi-humaine mi-animale qui n'a plus le visage abstrait d'une créature alien, mais d'un bulldozer anéantissant la parcelle de forêt amazonienne où Sean Connery, scientifique, s'est réfugié auprès d'une tribu lui offrant un remède contre le cancer. Observation, utopie, angoisse et cynisme animent Medicine Man, grand film tentant de réconcilier deux mondes (sauvage et moderne), pour choisir la nature et ses habitants, à l'image d'un dernier plan en écho à Nomads. Le désir d'une autre vie, qui mène ici littéralement jusqu'à se hisser au dessus des choses et du monde en marchant sur la cime des arbres, irrigue le cinéma aventurier mais inquiet de McTiernan.
One + One
La jungle toujours, urbaine encore, McT s'y plonge une nouvelle fois avec Die Hard 3, film emblématique étalant à la taille d'une ville l'espace du premier épisode concentré dans un immeuble. La petite musique du cinéma d'action épouse alors son terrain dans l'urgence et la caméra, mouvementée, suit les trajectoires de Bruce Willis et Samuel Jackson dans un New York devenue aire de jeu. Il ne s'agit alors plus seulement de survivre en renversant astucieusement les éléments ou les situations, mais de retrouver par l'espace sa liberté qui dépend aussi d'un Autre. Les Die Hard de McTiernan déploient ainsi l'un des motifs fondamentaux de son auteur, la communication, déjà à l'oeuvre dans Nomads au travers d'une connexion mentale. C'est ce même motif, sinon sujet, qu'A la poursuite d'Octobre rouge filme au moyen d'une valse sous-marine qui rapproche progressivement Sean Connery et Alec Baldwin. Deux militaires de camps opposés mais réunis par leur intelligence et une vision du monde commune, fondées sur la découverte, la curiosité et la nature. Dans ce chef-d'oeuvre raffiné dont l'élégance ne sera surpassé que par Thomas Crown, la mise en scène s'évertue à libérer l'espace confiné du sous-marin pour emmener ces hommes à la rencontre de l'autre et d'une terre, au mépris des politiciens qui voudraient régenter le monde.
Scène d'ouverture extrait de A la poursuite d'Octobre rouge
Last Action Director
Ironiquement, McTiernan ira lui-même se jeter entre les mains de la justice et finir dans une impasse qui doit aussi à son caractère et ses échecs. Pourtant, il n'y a aucun film faible dans sa filmographie. Ses deux grands projets défigurés, Rollerball et Le 13ème guerrier, portent sa signature. Le premier fait écho au dernier dialogue d'Octobre rouge en se présentant comme un film révolutionnaire quasi-abstrait. Récit d'une image qui tend à retrouver sa dignité politique et esthétique en passant par la mise à l'épreuve d'un corps naïf amené vers l'éveil, Rollerball devient son propre sujet (un cauchemar télévisuel se diluant sur le monde), pour mieux en sortir. Le second, plus accessible ne serait-ce que par la splendeur de ses éclairages naturels, illustre encore le dialogue entre deux civilisations, collaborant contre un ennemi sauvage et presque surnaturel aux allures de Predator.
Prière guerrière extrait de Le 13è Guerrier
Se libérer d'un joug ou d'une mécanique, Basic le met également en scène dans un récit de manipulation depalmien, comme si l'enjeu de la liberté devenait désormais les images elles-mêmes, avec lesquelles McT compose en virtuose. Ce que confirme Thomas Crown, chef-d'oeuvre de classicisme où l'auteur, citant Magritte lors d'un final d'anthologie, orchestre un fabuleux tango de faux-semblants renversés. Une éloge des images pures en négatif de Rollerball, où tout est fluide, limpide, aérien, serein, plein et décontracté. Ce rapport expressif et entier au cinéma, cette foi totale dans la caméra, McTiernan l'aura poussé jusqu'au postmodernisme des années 90, qu'il anticipe avec Last Action Hero. Plutôt que déconstruire et laisser le genre à l'état de cadavre, il préfère le réenchantement, sublimer une dernière fois le cinéma d'action de son époque avec une mise en scène empirique. Cinéaste angoissé en quête d'air pur, McTiernan n'a cessé de chercher la libération en tout, lui qui, tragiquement, finira sans images à tourner et sans successeur.
Assez d'accord avec vaw6, McTiernan a l'air d'aller assez bien (les bonus du blu ray du 13ème rassurent) et à mon avis on risque de le revoir dans pas longtemps.
Moi en tout cas j'y crois.
Il semblerait que ce soit complètement tombé à l'abandon http://haydenfannews...he_chase_poster2.jpg, quelle tristesse.
Après, je ne connais pas bien la santé mentale actuelle du bonhomme, mais je me permets de croire à un retour éventuel (mais avec tous ses problèmes avec le FBI, ce sera forcément un peu difficile).