L'Amour dure 3 ans, un film-plateau TV ?
Il y a deux films dans L'Amour dure trois ans, le « meilleur film de Frédéric Beigbeder » (cf. l'affiche), qui sort en salle cette semaine. On pourrait dire que c'est du deux-en-un, comme la lessive Dash, avec laquelle il partage le sens de la formule publicitaire.
Une honnête comédie romantique
L'Amour dure trois ans est avant tout une aimable comédie romantique qui brasse tous les discours bien dans l'air du temps autour de cette fumeuse théorie qui est à la fois un titre, une réplique de comptoir et un slogan redoutablement efficace pour faire parler les bavards et vendre des livres. Tout ça pour en conclure que l'amour, bon, c'est compliqué, on sait pas trop ce que c'est, mais ça vaut toujours le coup d'essayer.
L'amour diminue avec le temps extrait de L'Amour dure trois ans
Ce film-là, avec ses multiples péripéties et retournements de situation, est porté à bout de bras par l'abattage de son duo Gaspard Proust-Louise Bourgoin, même si l'efficacité des répliques et le rythme fondent comme neige au soleil à mesure que l'intrigue avance. On pourrait prendre la peine de vous dire pourquoi cet effort-là n'est pas honteux, tout en restant moins bien que du James Brooks ou du Woody Allen, mais est-ce que c'est vraiment la peine ?
Un film-plateau TV
Parlons plutôt de la satire du milieu artistico-mondain, c'est-à-dire, du show-business, qui formerait le « deuxième film » évoqué à l'instant. Si vous avez vu-lu 99 Francs, vous ne serez pas surpris, puisque Beigbeder s'était livré à la même entreprise avec la pub.
Avec L'Amour dure trois ans, on a affaire à une sorte de film-plateau TV dont le casting à base de personnalités médiatiques ressemble à une liste d'invités de talk-show : deux comiques-chroniqueurs (Proust-Lambert), deux anciennes miss Météo de Canal (Bourgoin-Bel), agrémentés d'un rappeur, d'un « fils de » horripilant-sans-talent et d'une mannequin révélée par un grand film rock (Bus Palladium)... Sans parler des divers caméos qui vont de l'intellectuel réac' (Finkielkraut-Bruckner) à toute l'équipe du Grand Journal en passant par Marc Levy. Bref, n'en jetez plus, si vous vous piquez d'être un peu connu et que Frédéric ne vous a pas appelé, c'est que vous avez raté votre vie.
Devant le spectacle de Laurent Ruquier servant la soupe (avec la dextérité qu'on lui connaît) à Beigbeder et Proust (son poulain) le week-end dernier, on pouvait tout d'abord se dire que le film et sa promotion ne formaient plus qu'une seule entité monstrueuse, une sorte de produit qu'on ne pourrait plus dissocier du dispositif qui en assure la promotion. On pouvait également se demander comment il était possible d'oser tourner en dérision le système qui vous nourrit sans se gêner pour y retourner une fois le film terminé. Mais pour ce qui est d'oser, on sait de quoi les cons sont capables, n'est-ce-pas.
La stratégie (juteuse) de l'autodérision
Beigbeder a l'art de titiller la poule aux oeufs d'or en se gardant bien de lui tordre le cou pour de bon. La dérision qui s'affiche à tous les étages pour mieux faire passer la pilule a par ailleurs toujours été la façon la plus efficace de faire de la pub. L'improvisé cinéaste a parfaitement retenu une leçon primordiale du capitalisme dans lequel il baigne : plutôt que de chercher à faire taire les critiques qui vous remettent en question, mieux vaut se les approprier et les détourner pour renforcer sa position. La vidéo virale dans laquelle il prend la place de chacun des journalistes du Cercle (qu'il anime, ndlr) pour faire la critique de son film résume et achève parfaitement ce processus de cannibalisation du cinéma et de l'exercice critique par la promotion publicitaire et les copinages.
Dès lors, un tel film présentant la France d'en haut (qui se lève tard) à la France d'en-bas (qui n'est pas encore couchée mais qui se lève tôt quand même) ne peut qu'instaurer un rapport malsain au spectateur, à la limite de l'obscénité, en lui faisant miroiter une vie fastueuse et débauchée, tout en lui assurant que celle-ci est tout à fait méprisable et digne de sarcasme. Un peu comme un bourgeois à la terrasse d'un grand restaurant qui blaguerait avec le SDF d'à côté sur la qualité du caviar qu'il a dans l'assiette et qui ensuite lui demanderait de payer pour ce bon moment de rigolade. Mais ne soyons pas mauvaise langue, Beigbeder est généreux, il offre, dans le cadre d'un jeu concours, l'occasion unique de passer une nuit en sa compagnie dans l'une de ses discothèques préférées.
Bukowski comme père spirituel ?!
Concluons avec la cerise sur le gâteau : Beigbeder commence son film par un extrait vidéo dans lequel l'écrivain et poète américain Charles Bukowski (cité aussi dans la dernière pub' Levi's, décidément...) livre sa définition de l'amour. Y aurait-il une filiation à tisser entre ces deux grands hommes ? Après tout, n'ont-ils pas en commun un penchant immodéré pour les femmes et l'alcool ? Inutile de comparer leurs styles littéraires, bornons-nous à rappeler que Bukowski n'est pas « né à Neuilly-sur-Seine », c'est le moins qu'on puisse dire. Il a été postier pendant plus de 15 ans pour pouvoir continuer à écrire (et à picoler, of course). Et surtout, le jour où il participa à l'émission de Bernard Pivot, Apostrophes, il en profita pour boire trois bouteilles de vin, caresser la cuisse de sa voisine et foutre le camp en plein milieu de l'émission, non sans oublier de menacer avec un couteau un responsable de la sécurité avant de partir. Alors quand on sait tout ça, et qu'on constate que notre présentateur mondain préféré a décidé de placer fièrement ses débuts dans le « septième art » sous les auspices de cet homme-là, on se dit qu'il n'y a vraiment plus aucune limite au cynisme et au recyclage mercantile.
Tiens, sur sa page Wikipédia, il est précisé que sur sa tombe, Bukowski avait fait écrire en épitaphe « Don't try ». Ce sera donc aussi la conclusion de cet article.
Images : © EuropaCorp Distribution
C'est seulement cela que je voulais faire remarquer, @IMtheRookie. Et y'a pas de mal à ça, chacun ses préférences. Mais y'a pas eu un seul article parlant favorablement de comédies romantiques sur VK depuis un an et ceux que j'écrivais modestement. (Ceci dit, tel que je te connais, tu vas quand même réussir à m'en trouver un de derrière les fagots. ^^)
Mais ça ne veut pas dire que notre petit cœur ne fait pas boum tu sais.
Happy New Year c'était navrant par exemple. Je pense qu'on est passé à côté du Hanks/Roberts, mais globalement on est un peu contraint de se retrancher dans l'age d'or des années 80-90 quand on est un lover de films de lover non ?
Encore une fois, le fait en lui-même que vous n'aimiez pas les roms-coms et que vous le disiez dans vos micro-critiques, je m'en tamponne. Que vous en parliez constamment en mal dans vos articles, ça me pose un problème parce que c'est gratuit. Mais j'ai du mal à faire la part des choses entre la voix du site et la voix de vos rédacteurs.
En vrac :
- "On pourrait dire que c'est du deux-en-un, comme la lessive Dash, avec laquelle il partage le sens de la formule publicitaire."
- "[...] autour de cette fumeuse théorie qui est à la fois un titre, une réplique de comptoir et un slogan redoutablement efficace pour faire parler les bavards et vendre des livres."
- "[...] même si l'efficacité des répliques et le rythme fondent comme peau de chagrin à mesure que l'intrigue avance."
- "Mais pour ce qui est d'oser, on sait de quoi les cons sont capables, n'est-ce-pas. "
- "[...] sur sa tombe, Bukowski avait fait écrire en épitaphe « Don't try ». Ce sera donc aussi la conclusion de cet article."
Si ça c'est une promotion, je veux bien imaginer Beigbeder en conseiller communication de Robert Hue.
Ah merde.
Il l'a fait.
Ok ok, au temps pour moi.