L'amour dure 3 ans mais les diamants de Fred sont éternels

L'Amour dure 3 ans, un film-plateau TV ?

Dossier | Par Raphaël Clairefond | Le 18 janvier 2012 à 16h35

Il y a deux films dans L'Amour dure trois ans, le « meilleur film de Frédéric Beigbeder » (cf. l'affiche), qui sort en salle cette semaine. On pourrait dire que c'est du deux-en-un, comme la lessive Dash, avec laquelle il partage le sens de la formule publicitaire.

Une honnête comédie romantique

L'Amour dure trois ans est avant tout une aimable comédie romantique qui brasse tous les discours bien dans l'air du temps autour de cette fumeuse théorie qui est à la fois un titre, une réplique de comptoir et un slogan redoutablement efficace pour faire parler les bavards et vendre des livres. Tout ça pour en conclure que l'amour, bon, c'est compliqué, on sait pas trop ce que c'est, mais ça vaut toujours le coup d'essayer.


L'amour diminue avec le temps extrait de L'Amour dure trois ans

Ce film-là, avec ses multiples péripéties et retournements de situation, est porté à bout de bras par l'abattage de son duo Gaspard Proust-Louise Bourgoin, même si l'efficacité des répliques et le rythme fondent comme neige au soleil à mesure que l'intrigue avance. On pourrait prendre la peine de vous dire pourquoi cet effort-là n'est pas honteux, tout en restant moins bien que du James Brooks ou du Woody Allen, mais est-ce que c'est vraiment la peine ?

Un film-plateau TV

Parlons plutôt de la satire du milieu artistico-mondain, c'est-à-dire, du show-business, qui formerait le « deuxième film » évoqué à l'instant. Si vous avez vu-lu 99 Francs, vous ne serez pas surpris, puisque Beigbeder s'était livré à la même entreprise avec la pub.

Avec L'Amour dure trois ans, on a affaire à une sorte de film-plateau TV dont le casting à base de personnalités médiatiques ressemble à une liste d'invités de talk-show : deux comiques-chroniqueurs (Proust-Lambert), deux anciennes miss Météo de Canal (Bourgoin-Bel), agrémentés d'un rappeur, d'un « fils de » horripilant-sans-talent et d'une mannequin révélée par un grand film rock (Bus Palladium)... Sans parler des divers caméos qui vont de l'intellectuel réac' (Finkielkraut-Bruckner) à toute l'équipe du Grand Journal en passant par Marc Levy. Bref, n'en jetez plus, si vous vous piquez d'être un peu connu et que Frédéric ne vous a pas appelé, c'est que vous avez raté votre vie.

Devant le spectacle de Laurent Ruquier servant la soupe (avec la dextérité qu'on lui connaît) à Beigbeder et Proust (son poulain) le week-end dernier, on pouvait tout d'abord se dire que le film et sa promotion ne formaient plus qu'une seule entité monstrueuse, une sorte de produit qu'on ne pourrait plus dissocier du dispositif qui en assure la promotion. On pouvait également se demander comment il était possible d'oser tourner en dérision le système qui vous nourrit sans se gêner pour y retourner une fois le film terminé. Mais pour ce qui est d'oser, on sait de quoi les cons sont capables, n'est-ce-pas.

La stratégie (juteuse) de l'autodérision

Beigbeder a l'art de titiller la poule aux oeufs d'or en se gardant bien de lui tordre le cou pour de bon. La dérision qui s'affiche à tous les étages pour mieux faire passer la pilule a par ailleurs toujours été la façon la plus efficace de faire de la pub. L'improvisé cinéaste a parfaitement retenu une leçon primordiale du capitalisme dans lequel il baigne : plutôt que de chercher à faire taire les critiques qui vous remettent en question, mieux vaut se les approprier et les détourner pour renforcer sa position. La vidéo virale dans laquelle il prend la place de chacun des journalistes du Cercle (qu'il anime, ndlr) pour faire la critique de son film résume et achève parfaitement ce processus de cannibalisation du cinéma et de l'exercice critique par la promotion publicitaire et les copinages.

Dès lors, un tel film présentant la France d'en haut (qui se lève tard) à la France d'en-bas (qui n'est pas encore couchée mais qui se lève tôt quand même) ne peut qu'instaurer un rapport malsain au spectateur, à la limite de l'obscénité, en lui faisant miroiter une vie fastueuse et débauchée, tout en lui assurant que celle-ci est tout à fait méprisable et digne de sarcasme. Un peu comme un bourgeois à la terrasse d'un grand restaurant qui blaguerait avec le SDF d'à côté sur la qualité du caviar qu'il a dans l'assiette et qui ensuite lui demanderait de payer pour ce bon moment de rigolade. Mais ne soyons pas mauvaise langue, Beigbeder est généreux, il offre, dans le cadre d'un jeu concours, l'occasion unique de passer une nuit en sa compagnie dans l'une de ses discothèques préférées.

Bukowski comme père spirituel ?!

Concluons avec la cerise sur le gâteau : Beigbeder commence son film par un extrait vidéo dans lequel l'écrivain et poète américain Charles Bukowski (cité aussi dans la dernière pub' Levi's, décidément...) livre sa définition de l'amour. Y aurait-il une filiation à tisser entre ces deux grands hommes ? Après tout, n'ont-ils pas en commun un penchant immodéré pour les femmes et l'alcool ? Inutile de comparer leurs styles littéraires, bornons-nous à rappeler que Bukowski n'est pas « né à Neuilly-sur-Seine », c'est le moins qu'on puisse dire. Il a été postier pendant plus de 15 ans pour pouvoir continuer à écrire (et à picoler, of course). Et surtout, le jour où il participa à l'émission de Bernard Pivot, Apostrophes, il en profita pour boire trois bouteilles de vin, caresser la cuisse de sa voisine et foutre le camp en plein milieu de l'émission, non sans oublier de menacer avec un couteau un responsable de la sécurité avant de partir. Alors quand on sait tout ça, et qu'on constate que notre présentateur mondain préféré a décidé de placer fièrement ses débuts dans le « septième art » sous les auspices de cet homme-là, on se dit qu'il n'y a vraiment plus aucune limite au cynisme et au recyclage mercantile.

Tiens, sur sa page Wikipédia, il est précisé que sur sa tombe, Bukowski avait fait écrire en épitaphe « Don't try ». Ce sera donc aussi la conclusion de cet article.

Images : © EuropaCorp Distribution

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22 commentaires
  • IMtheRookie
    commentaire modéré @zephsk si ce n'est pas un artiste tu as le droit.
    19 janvier 2012 Voir la discussion...
  • hugo
    commentaire modéré moi aussi j'étais comme ça avant, mais un jour je suis tombé sur la page de Louise Bourgoin, j'ai pas pu m'en empêcher.
    19 janvier 2012 Voir la discussion...
  • FilmsdeLover
    commentaire modéré @zephsk : Quand un rédacteur de Vodkaster dit d'une comédie romantique qu'elle est "aimable" comme c'est le cas dans cet article, cela veut dire que c'est la meilleure qu'ils ont vu depuis un bout de temps. D'ailleurs, je ne pense pas les avoir vu parler d'une comédie romantique en d'aussi bons termes depuis... depuis... depuis longtemps. Donc méfiance.

    C'est seulement cela que je voulais faire remarquer, @IMtheRookie. Et y'a pas de mal à ça, chacun ses préférences. Mais y'a pas eu un seul article parlant favorablement de comédies romantiques sur VK depuis un an et ceux que j'écrivais modestement. (Ceci dit, tel que je te connais, tu vas quand même réussir à m'en trouver un de derrière les fagots. ^^)
    19 janvier 2012 Voir la discussion...
  • IMtheRookie
    commentaire modéré @FilmsdeLover c'est difficile de bien parler d'une comédie romantique et tu le fais très bien, mais j'ai une idée d'article qu'il faudrait que je trouve le temps de faire (stay tuned).

    Mais ça ne veut pas dire que notre petit cœur ne fait pas boum tu sais.

    Happy New Year c'était navrant par exemple. Je pense qu'on est passé à côté du Hanks/Roberts, mais globalement on est un peu contraint de se retrancher dans l'age d'or des années 80-90 quand on est un lover de films de lover non ?
    19 janvier 2012 Voir la discussion...
  • FilmsdeLover
    commentaire modéré Le Hanks/Roberts est très bien justement parce qu'il se retranche lui-même dans cet âge d'or 80/90s en une sorte d'hommage qui est hélas en décalage avec les attentes du public actuel. Moi, je l'ai vraiment apprécié comme tel mais je comprends aussi que pour quelqu'un qui se considère un peu cinéphile de nos jours, ce soit un film avec marqué "Dégomme-moi la gueule sur ton site/blog parce que je déborde de bons sentiments" dessus.

    Encore une fois, le fait en lui-même que vous n'aimiez pas les roms-coms et que vous le disiez dans vos micro-critiques, je m'en tamponne. Que vous en parliez constamment en mal dans vos articles, ça me pose un problème parce que c'est gratuit. Mais j'ai du mal à faire la part des choses entre la voix du site et la voix de vos rédacteurs.
    19 janvier 2012 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré @FilmsdeLover J'ai pas du saisir le sens de l'article alors.
    En vrac :
    - "On pourrait dire que c'est du deux-en-un, comme la lessive Dash, avec laquelle il partage le sens de la formule publicitaire."
    - "[...] autour de cette fumeuse théorie qui est à la fois un titre, une réplique de comptoir et un slogan redoutablement efficace pour faire parler les bavards et vendre des livres."
    - "[...] même si l'efficacité des répliques et le rythme fondent comme peau de chagrin à mesure que l'intrigue avance."
    - "Mais pour ce qui est d'oser, on sait de quoi les cons sont capables, n'est-ce-pas. "
    - "[...] sur sa tombe, Bukowski avait fait écrire en épitaphe « Don't try ». Ce sera donc aussi la conclusion de cet article."
    Si ça c'est une promotion, je veux bien imaginer Beigbeder en conseiller communication de Robert Hue.
    Ah merde.
    Il l'a fait.
    19 janvier 2012 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré Ah ok pardon, je viens de comprendre. Tu les crois tellement sans cœur et hermétiques au romcoms qu'un simple "aimable" te paraît être une appréciation positive.
    Ok ok, au temps pour moi.
    19 janvier 2012 Voir la discussion...
  • tibo
    commentaire modéré Bon article, film détestable.
    23 janvier 2012 Voir la discussion...
  • IMtheRookie
    commentaire modéré @FilmsdeLover le site n'a pas de voix, nous ne sommes pas prescripteurs, ici tout le monde l'est potentiellement... les rédacteurs, les utilisateurs, la presse...
    23 janvier 2012 Voir la discussion...
  • SheikYerbuti
    commentaire modéré je rejoins Zephsk. Sans en dire plus car c'est pas mon genre (je suis de ceux qui ne profitent pas souvent du filtre virtuel pour dire du mal, et puis il parait que parler des choses qu'on aime c'est bon pour la santé alors ...) on est quand même loin du talent authentiquement sulfureux et de l'honnêteté intellectuelle d'un Bukowski.
    23 janvier 2012 Voir la discussion...
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