Le Bon Plan : nos internautes ont des idées
Le Bon Plan est là pour analyser les bonnes idées de cinéma. Aujourd'hui, je vous présente un petit florilège des bons plans que les internautes m'ont envoyés. Au menu : Brian De Palma, François Truffaut, Michel Deville, un film méconnu de Michael Ritchie, et le dernier J.C. Chandor.
Commençons avec Damien, qui attire notre attention sur la scène d'introduction de Phantom of the Paradise de Brian De Palma. Dans ce plan fixe, le spectateur est placé dans la position du mystérieux Swan, comme en témoignent les regards caméras de son bras droit avec lequel il discute. Au delà de la simple tension créée par l'absence de contre-champ, ce choix de cadre indique, à lui seul, les principales caractéristiques du personnage : maintenu hors-champ, il échappe littéralement au regard du spectateur, comme tout au long du film puisqu'on comprendra plus tard que l'apparence de son visage est trompeuse. Par ailleurs, la plongée indique également son pouvoir démiurgique et sa position voyeuriste. Enfin, on peut noter l'arrivée discrète de Winslow Leach, le personnage principal, dans le flou de l'arrière plan, et pour cause : son aspect physique importe moins aux yeux de Swan que sa voix, et son enveloppe corporelle l'intéresse moins que son âme. En un plan fixe, tous les enjeux du film sont mis en place.
Poursuivons avec une scène de Jules et Jim, signalée par Julien. Jim est en train de raconter un récit de guerre, assis entre Jules et Albert, l'amant de Catherine. Soudain, alors que nous nous pensions seuls avec les trois protagonistes, confortablement installés dans ce plan fixe et emportés par l'histoire harmonieuse et saisissante de Jim, la voix de Catherine, apparue de façon impromptue à la fenêtre de la maison, vient bouleverser le cadre, au sens propre du terme. Lorsque la caméra revient sur les trois hommes, Jules et Albert ont changé de côté. Par ce simple effet miroir, Truffaut déstabilise le spectateur et vient confirmer que Catherine reste décidément l'élément perturbateur entre les trois hommes. Littéralement, Catherine, modèle de femme libre, insoumise et presque dominatrice, impose son cadre aux hommes, et au film.
On reste dans le cinéma français, en se penchant, avec Nicolas sur la mise en scène d'un film très sous-estimé de Michel Deville : Le Paltoquet. A l'opposé de ce que l'on appelle péjorativement le théâtre filmé, Deville se sert ici d'un décor unique, situé dans un grand entrepôt, pour décrire toute son action; à partir du lieu principal de l'intrigue, à savoir un café où se réunissent les protagonistes, les mouvements de caméra, qu'ils soient le fruit de réels plans-séquences ou bien de coupes habilement dissimulées, nous révèlent de nouveaux lieux, nous emportent dans des flash-backs et des récits parallèles, avec une virtuosité et une simplicité déconcertantes. La caméra agit comme un courant d'air venu aérer ce qui aurait pu, sans elle, rester un banal huis-clos policier.
On enchaîne avec une scène de Carnage, où Nick et Poppie sont poursuivis à travers un champ de blé. Outre le découpage et le montage très précis qui en font une scène de suspens de qualité, Pierre s'intéresse au rapport entre les personnages et le paysage. Tout d'abord, le champ de blé, immense et immuable, joue en la faveur des deux fugitifs, en leur permettant d'échapper au regard de leurs poursuivants. Puis, lorsque le danger de la moissonneuse batteuse se fait sentir (dans ce plan qui n'est pas sans rappeler La Mort aux trousses), leur isolement devient cette fois leur handicap. La scène prend ensuite une tournure presqu'expérimentale lors de ce duel final entre machines, où la moissonneuse-batteuse dévore littéralement la voiture venu secourir nos héros. Les humains semblent ne pas avoir leur mot à dire face à cette nature sauvage que la mécanisation est loin d'avoir domestiquée., et regardent, hébété et impuissants, la moissonneuse recracher, après digestion, une botte mi-paille mi-métal. Derrière une simple scène de poursuite, c'est le mariage plus que douteux entre l'homme moderne et la nature sauvage qui est ici mis en question.
Enfin, on finit avec l'un des meilleurs films de ce début d'année, A Most Violent Year. Cécile nous signale un parallèle intéressant entre le début et la fin du film : lorsqu'Abel visite le terrain qu'il vient enfin d'acheter, le point est fait sur lui, et le décor, au loin, reste flou. A la fin du film, par contre, la focale de la caméra a changé, et permet d'avoir le paysage net en arrière plan. Il s'agit d'un effet aussi littéral que discret : le film décrit la suite d'épreuves surmontées par Abel pour rendre son rêve net, pour faire le point, au sens optique du terme, sur son objet de fantasme. Mais il se joue ici plus que cela : car au début, c'est pour le spectateur que le paysage était flou, mais pas pour le personnage, qui lui, le contemple. Il confirmera d'ailleurs plus tard à son avocat qu'il s'était bien aperçu de la beauté de la vue. Il y a donc, cachée ici, la belle idée qu'un personnage peut voir des choses non explicitées pour le spectateur.
Merci à tous pour nous avoir, encore une fois, rappelé que ce sont les Bons Plans, même discrets, qui font les bons films !
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bargeot4 mai 2016 Voir la discussion...
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zephsk4 mai 2016 Voir la discussion...
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bargeot4 mai 2016 Voir la discussion...
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Charlie6 mai 2016 Voir la discussion...