Le hip-hop US au cinéma
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Prenez Mozart. Le pauvre homme devient célèbre au XVIIIe siècle, et il lui faut attendre plus de 200 ans avant qu'un biopic soit réalisé sur sa personne. Le cas de Beethoven est même pire, car non seulement il a du attendre près de 300 ans, mais en plus il a fini par se voir joué par un chien, comble du ridicule pour un compositeur de sa stature. Blague à part, le cas des biopics de musiciens classiques est évidemment facile à expliquer par l'absence de technologie adéquate à l'époque où ils vivaient, mais également, à l'inverse, par un certain manque d'intérêt du public pour la vie privée des chefs d'orchestre. La viabilité économique d'un biopic sur André Rieux est, par exemple, assez faible.
La culture rock, elle, connut un développement plus souple au cinéma, mais presqu'exclusivement par le biais du documentaire. Si des films comme Dont Look Back (sur Bob Dylan), 1991: The Year Punk Broke ou plus récemment le déjà culte DIG! filment des stars à la gloire récente ou à venir, celles-ci doivent en revanche attendre plus longtemps avant de se voir consacrer un biopic : I'm Not There est encore bien jeune, le premier biopic sur John Lennon n'a que 2 ans, et celui d'Iggy Pop est encore et toujours en développement?
Et qu'en est-il alors de la culture hip-hop ? Elle est passée à la vitesse supérieure. S'encombrant peu de documentaires, elle n'attend pas forcément que ses icônes soient passées à la postérité pour les encenser et les mystifier dans des biopics plus ou moins avoués. Dans 8 Mile ou dans Get Rich or Die Tryin, Eminem et 50cent jouent respectivement des rôles très inspirés de leurs propres vies. Le hip-hop semble plus être axé sur la culture de l'instant présent, et le cinéma qui lui est associé porte bien souvent cette marque. Il n'y a évidemment là rien d'absolu, et les usages de soundtracks hip-hop sont bien plus variées que le profane ne pourrait le croire au premier abord.
C'est parti pour un tour d'horizon éminemment subjectif et inéluctablement non-exhaustif de la question avec notre playlist Spotify.
Dans Afro Samurai Resurrection
01 et 02. RZA, Inspectah Deck, Kool G Rap et Suga Bang Bang - You Already Know / RZA, Reverend William Burke et Infinite - Brother's Keeper
Brillante coproduction americano-japonaise, Afro Samurai Resurrection affiche au générique un casting vocal à en faire baver plus d'un, puisque le film s'offre les talents de Samuel L. Jackson, Lucy Liu et Mark Hamill. Côté BO, la prod est confiée au mythique RZA, l'inénarrable DJ du Wu-Tang Clan. Ceux qui ont suivi la carrière du bonhomme savent bien que son amour pour les films d'arts martiaux ne date pas d'hier : le nom de son groupe vient du film Shaolin Vs. Wu-Tang, et leur premier album, au titre inspiré de La 36e chambre de Shaolin, est parsemé de samples de films de kung-fu. RZA a également contribué à la BO de Kill Bill et composé celle de Ghost Dog (dans lequel il fait un cameo), et il rêve depuis des années de réaliser lui-même son propre film d'arts martiaux? Un rêve qui est en passe de devenir réalité.
Afro Samurai raconte les pérégrinations d'un samurai afro-américain dans un Japon mi-médiéval mi-cyberpunk régi par des codes d'honneur dont l'impénétrabilité flirte avec la sorcellerie. C'est évidemment absolument génial, et la magistrale BO du film (et de la mini-série qui le précède) révèle que RZA était LE chef d'orchestre idéal pour créer les toiles sonores adéquates pour accompagner des scènes toutes plus surréalistes les unes que les autres. Imprégné des clichés auditifs associés habituellement au Japon le DJ pond des beats implacables avant de se retirer pour laisser le loisir à ses nombreux invités d'occuper le terrain. Le résultat est un album absolument à l'atmosphère unique, la meilleure BO dont pouvait rêver un film d'animation aussi transgenres qu'Afro Samurai Resurrection.
(et pour creuser le sujet du mélange Japon médiéval / hip-hop, vous pouvez vous diriger vers la série Samurai Champloo)
Dans Bones
03. Cypress Hill - Memories
Dans les supermarchés de banlieue, on trouve parfois le DVD de Bones dans des bacs de destockage, bazardé à 5euros et affublé d'un sticker jaune fluo, cachant le visage de Snoop Dogg, censé attirer le chaland. Son réalisateur, Ernest R. Dickerson, est un grand habitué du film-à-rappeur en tête d'affiche, puisqu'il est également coupable de Juice (avec Tupac), de Que la chasse commence (avec Ice-T) et de Never Die Alone (avec DMX), et Bones est donc généralement considéré comme une daubasse de seconde zone - une assertion officialisée à la fois par Rotten Tomatoes et par l'IMDB. Maintenant, soyons honnêtes : est-ce que ça vous empêchera vraiment de lui laisser une chance ? Bien sûr que non. Personne ne peut résister à un film avec le rappeur le plus cool du monde (car, quoiqu'il puisse faire, c'est ainsi que l'histoire se souviendra de lui), et surtout pas avec une BO d'aussi bon goût.
Si Spotify ne connaît malheureusement pas The Legend of Jimmy Bones (plop, lien externe), interprété par Snoop himself, il connaît en revanche assez bien Cypress Hill, ce qui permet à Memories de figurer sur cette playlist en digne représentant du film qu'il illustre. En effet, dans Bones, un truand au grand coeur est assassiné et hante le bâtiment où il a trouvé la mort. L'instru hautement atmosphérique de DJ Muggs, le refrain lancinant de B Real et la choriste éthéré contribuent à faire de ce morceau une BO de maison hantée tout à fait crédible, loin des stéréotypes du genre, mais tout aussi convaincant. La voix d'un Dog (Sen, MC de Cypress Hill) venu de Californie plane au-dessus de la présence d'un autre (Snoop), et la boucle est bouclée. Finalement, Bones est plus synonyme de bon son que d'horreur.
Dans Krush Groove
04. LL Cool J - I can't Live Without My Radio
Dans Dogma, de Kevin Smith, Matt Damon et Ben Affleck incarnent des anges expulsés du Paradis depuis de nombreuses années. A un moment ô combien crucial, ils évoquent un pari fait en 1985 autour de la question "de quel film se souviendra l'histoire : Krush Groove ou ET ?". Kevin Smith est un mec drôle, et l'humour de cette réplique vient évidemment du fait que vous n'avez sûrement jamais entendu parler de Krush Groove, ou au moins que votre entourage proche n'en a jamais entendu parler. C'est pourtant bien dommage, car le film est le récit romancé de l'élaboration d'un mythe, celui des débuts du légendaire producteur Rick Rubin, et des premières heures de son label Def Jam Records, sur lequel seront lancés les Beastie Boys, Public Enemy, Redman ou Method Man (en solo).
Dans le hip-hop, les années 80 ressemblent presqu'à une dimension parallèle, dont le son est assez bien illustré par I Can't Live Without My Radio, premier single de LL Cool J? et premier single de Def Jam Records. En 1985, les rappeurs ne sont pas encore les kings des charts, le gangsta ne s'est pas encore imposé comme l'attitude à suivre, et les survêts fluos étaient le top du top en matière de look. Et même si Grandmaster Flash avait déjà ouvert des pistes considérables en matière de sampling, LL Cool J s'en fout et rape sur des instrus en 8 bits digne d'une Sega Mega Drive. Dans l'extrait ci-dessous, il fait violemment irruption dans les bureaux de Krush Groove (alter ego de Def Jam dans le film) pour imposer son flow et son amour du ghetto blaster à Rick Rubin et ses associés. Tendez l'oreille, car sa seule ligne de texte tient en un mot : "box!"
I Can't Live Without My Radio extrait de Krush Groove
Dans Gridlock'd
05. 2Pac - Never Had A Friend Like Me
Si les films foireux avec des rappeurs en tête d'affiche sont monnaie courante, il es toujours bon de rappeler que la règle n'est en aucun cas absolue? et Gridlock'd est en un bel exemple. Tant mieux d'ailleurs car, dans le domaine du cinéma, le film fait office d'épitaphe pour son interprète principal, Tupac Shakur, qui est abattu quelques mois avant la sortie du film. Mieux vaut rester dans les mémoires de cinéphiles comme le digne partenaire (à l'écran) de Tim Roth dans un film un peu oublié mais qui gagne à être creusé que comme l'interprète d'une quelconque bouse, non ? Dans Gridlock'd, le rappeur et Roth jouent le rôle de petites frappes accro à la drogue qui décident de décrocher après l'overdose d'une amie, seulement pour se heurter à l'inhumanité du système gouvernemental et à la rude réalité de la rue, dont on ne s'échappe pas si facilement.
Remis dans le contexte du film, Never Had A Friend Like Me convoque évidemment la mémoire de l'amie perdue, sacrifiée sur l'autel d'une vie insouciante, noyée dans l'ivresse des paradis artificiels qu'on croit prendre pour garder la tête hors de l'eau. Le côté très rythmique du beat et le phrasé dynamique de 2Pac contrastent avec la sonorité ultra-smooth de la guitare électrique doucement bluesy qui allonge négligemment ses aigus en arrière-plan. L'effet produit est d'une classe imparable, et fait miroiter des sentiments mixtes, mêlant la nostalgie des rêves passés et la résignation face aux épreuves à venir. Un mélange subtil, qui demande l'expertise d'un maître, et porte la marque du maître.
Dans Rois & Reine
06. Marley Marl - Do U Remember
Si on cherche du hip-hop dans le cinéma français, en général, on va instinctivement chercher dans la filmographie des réalisateurs officiellement étiquetés (à tort ou a raison, d'ailleurs) "je suis de la banlieue" : Mathieu Kassovitz, Kim Chapiron, Romain Gavras, ou même du côté des Lascars. Mais, dans l'ensemble, le cinéma hexagonal est assez peu réputé pour son amour inconditionnel de la culture hip-hop - un biopic de NTM, c'est pas pour demain. D'une manière assez amusante, on peut donc retourner les cibles faciles, et aller chercher le film français de la liste chez Arnaud Desplechin. Plus intéressé par la famille et les relations humaines en général que par les frictions entre la jeunesse et les forces de l'ordre, le réalisateur n'a pas forcément l'image d'un grand amateur de culture hip-hop? pour ceux qui ne connaissent pas sa filmographie uniquement.
Dans Rois & Reine, Mathieu Amalric est Ismaël, un homme interné contre son gré dans un hôpital psychiatrique, dont la réalité des troubles sont présentés comme incertains. Le personnage est fortement caractérisé par son style musical de prédilection, le hip-hop, qui teinte son environnement sonore. Lors d'une scène marquante au genre mal défini, il s'essaie au break dance devant les autres patients, sur un instru de Marley Marl, figure emblématique des années 80 et 90 pour sa rivalité par morceaux interposés avec KRS-One. La maladresse d'Amalric tendrait à rendre la scène comique, mais la sincérité de son personnage, qui met plus que jamais en avant les vertus cathartiques de la musique comme moyen d'expression non-verbale, donnent à la scène une solennité toute particulière, qui empêche d'en rire réellement. Tout est une question de justesse.
La danse extrait de Rois & reine
Dans Esprits Rebelles
07. Coolio - Gangsta's Paradise
Esprits Rebelles, c'est pas génial. Il y a Michelle Pfeiffer en prof blonde au grand coeur, et des jeunes, black et latinos, dans le rôle de jeunes délinquants en difficulté qui parviendront à donner un sens à leur vie grâce aux enseignements plein de sagesse et au sens imparable de la pédagogie de leur nouvelle professeur, qu'ils commencent par détester avant de l'adorer. Alors que Michelle Pfeiffer utilise en fait Bob Dylan pour pousser ses étudiants à reconnaître la beauté et la puissance de la littérature (sic), il ne figure pas sur la BO, qui fait en revanche la part belle au rap et au R&B. Si le film est tout sauf mémorable, Gangsta's Paradise, en revanche, est certainement un des morceaux les plus connus de l'histoire du hip-hop, principalement parce qu'il dépasse son coeur d'auditoire. Votre tante ne connaît peut-être pas Lose Yourself, mais elle connaît Gangsta's Paradise - et peut-être même qu'elle aime bien, au moins le refrain.
Gangsta's Paradise est véritablement un hymne, un morceau contre lequel on ne peut pas lutter, auquel on adhère instantanément, dès les premières notes, et auquel on succombe totalement dès le premier refrain. Une partie du crédit est bien sûr à accorder à Stevie Wonder pour son morceau Pastime Paradise, mais le flow de Coolio et les arrangements effectués par son producteur jouent au moins à moitié dans le succès du morceau, qui s'empare des charts et balaye tout sur son passage, se classant top des ventes dans 13 pays, rien que ça. Plus que tout autre peut-être, Gangsta's Paradise est l'affirmation irréfutable de la filiation directe la génération soul-RnB et la génération hip-hop. Les jeunes ne se construisent pas sur la base d'une négation du travail de leurs ancêtres, ils construisent leur avenir sur la base des leçons enseignées par leurs ancêtres. Une leçon simple, mais importante, qui, dictée par Coolio, fait d'Esprits Rebelles un bon film pour une durée d'exactement 3 minutes et 58 secondes.
Dans 3 Chains o'Gold
08. Prince - My Name Is Prince
Si vraiment vous tenez à voir 3 Chains o'Gold, il faudra vous accrocher. Le film était déjà difficilement trouvable à l'époque des VHS, mais sa non-réédition en DVD en a fait un objet d'une grande rareté (si on exclut les possibilités de téléchargement illégales, car c'est le mal). Mais de toute manière, voulez-vous vraiment le voir ? Le film est un direct-to-video en partie réalisé par Prince lui-même, qui consiste en une étrange collection de clips vaguement liés entre eux par une histoire de princesse égyptienne. Prince tient évidemment le premier rôle, pas celui de la princesse égyptiene, celui de son futur amant - car si vous étiez une femme dans les années 90, Prince était forcément votre futur amant. Purple Rain était déjà un monument de kitsch et de ridicule, uniquement surpassé par sa suite Graffiti Bridge, mais il semblerait bien que 3 Chains o'Gold les fasse passer pour du Kubrick. Ce qu'on appelle communément le Love Symbol Album est sa BO.
Au début des années 90, le petit génie éroto-mégalomane retravaille radicalement son image. En révolte contre l'industrie de la musique, il sort un album sans titre et sur lequel ne figure même pas son nom, uniquement un symbole que nul ne sait comment prononcer, le désormais célèbre "Love Symbol". Toujours à la recherche de nouvelles sonorités et cherchant perpétuellement à se réinventer en même temps qu'il réinvente les limites de la création musicale, Prince part à la recherche d'une street credibility et s'entoure d'une troupe de hip-hop sortie de nulle part, le NPG (New Power Generation). Se mettant lui-même à rapper sur quelques morceaux, il insiste pour que le premier single extrait de l'album soit My Name Is Prince, OVNI de la funk, OVNI du rock, OVNI du hip-hop, le morceau est si improbable qu'il se place au-delà des qualificatifs, au-delà des jugements de qualité. Pourtant il existe bel et bien, et il est dans vos oreilles. Funky.
Dans Dave Chappelle's Block Party
09 et 10 - Common, Bilal et Erykah Badu - The Light / Mos Def - UMI Says
On connaît beaucoup Michel Gondry pour ses films, un peu moins pour ses docs. En 2006, il s'associe au comédie américain Dave Chappelle pour organiser, dans la plus grande tradition américaine, une "block party" (fête de quartier) à Brooklyn, avec des prestigieuses têtes d'affiches parmi lesquelles on trouve, pêle-mêle, Kanye West, les Roots, John Legend, Common, Talib Kweli, Mos Def ou Erykah Badu, tous capturés par la caméra toujours gourmande de Gondry, dont ont découvre que l'amour pour la musique est à la hauteur de son amour pour le cinéma. Pour les amateurs de hip-hop et de bonne musique en général, le film est évidemment un must-see, d'autant qu'il marque la reformation exceptionnelle des Fugees? Sur toutes les scènes, l'ambiance est festive, chaleureuse, bon enfant.
En live, les morceaux de Common et de Mos Def (qui sont d'ailleurs tous deux d'assez chouettes acteurs) explosent tous les cadres, expriment une liberté artistique sans pareille. Même si l'idée avait déjà été vaguement évoquée (et encore, assez peu) dans Krush Groove, le propos de Chappelle et Gondry est limpide, et il s'imposera à quiconque profite avec ses yeux et ses oreilles en même temps des performances offertes par les musiciens de cette fantastique block party : le hip-hop c'est beau, et ça se vit live.
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(j'en ai fait le montage ;)
Désolé pour la page de pub, mais la tribune était trop tentante !
juste retour des choses en ce qui concerne la citation de Noir Désir dans le sur-titre de l'article de Tintin :
car sur l'album 'Des Visages, des figures' justement, dans la chanson "L'Europe" (piste 12), on peut entendre Brigitte Fontaine dire "Tryphon Tournesol est un zouave. Six fois."
Brigitte Fontaine est vraiment une boit-sans-soif.