Elle va bien, ne vous en faites pas

Comment je me suis disputé avec Mélanie Laurent

Rencontre | Par David Honnorat | Le 2 décembre 2011 à 16h01

Que s'est-il passé avec Mélanie Laurent ? Comment celle qui avait tout pour être la petite fiancée du cinéma français est-elle devenue cette actrice énervante, cible facile des haters. 

Mélanie Laurent n'a pas encore trente ans, mais elle compte déjà près de quinze ans de carrière derrière elle. Un parcours émaillé de sacrés hauts (un César du meilleur espoir, un rôle chez Tarantino et celui de maîtresse de cérémonie à Cannes), mais aussi, depuis peu, de pas mal de pouces en bas. La faute, peut-être, à certains mauvais choix de cinéma, à un virage musical ponctué d'un album foireux et surtout, à une espèce d'arrogance bizarre. Chez Mélanie Laurent, on n'arrive jamais vraiment à faire la distinction entre la fille humble qui sait que tout peut s'arrêter brutalement et l'actrice « qui n'en veut » à l'arrivisme outrancier.

Mais je vais ici un peu trop vite en besogne. Car si c'est plus ou moins l'image que j'avais de Mélanie Laurent avant de découvrir Les Adoptés, son premier long-métrage en tant que réalisatrice (sorti en salle la semaine dernière), ça n'a pas toujours été le cas. Profitons donc de l'occasion pour revenir sur son étonnante carrière.

Les portes de la gloire

Preuve que ce n'est pas toujours dans les meilleures marmites... la carrière de Mélanie Laurent a débuté sur le tournage d'Astérix et Obélix contre César. Elle ne jouait pas dans le film mais accompagnait une copine lorsque, coup de bol, elle fait la rencontre de Gérard Depardieu. Voyant en elle une actrice née, l'acteur lui file trois conseils répertoriés sur sa fiche Wikipédia : ne pas prendre de cours de théâtre, ne pas apprendre ses textes trop à l'avance et ne jamais craindre d'être ridicule dans ses rôles.

Puis notre Gégé national, fidèle à son jugement et à sa parole, caste la jeune actrice pour Un pont entre deux rives qu'il co-réalise avec Frédéric Auburtin. Nous sommes en 1998 et l'ascension de Mélanie Laurent ne fait que commencer.

Il me faudra pour ma part attendre 2002, et son rôle dans Embrassez qui vous voudrez de Michel Blanc, pour découvrir son visage. Entre temps, j'avais manqué un de ses premiers rôles importants, dans Ceci est mon corps de Rodolphe Marconi, où elle incarnait une jeune fille sympathiquement chiante aux côtés d'un Garrel aussi imberbe que lymphatique, tout droit sorti des Beaux Gosses :


Vodka!, extrait de Ceci est mon corps

Durant tout le début des années 2000, Mélanie Laurent est pour moi une petite nana mignonne dont je ne connais pas le nom mais qui a tout l'air d'une actrice à suivre. En 2005, sa courte apparition dans De battre mon coeur s'est arrêté la fait même passer dans la catégorie femme fatale. Déjà, dans cette scène, on sent qu'elle sait être désagréable avec un certain naturel :


Mademoiselle, extrait de De battre, mon coeur s'est arrêté

The Girl Next Door

C'est donc seulement en 2006 que se situe ma véritable découverte de Mélanie Laurent. Ce sera d'ailleurs l'année de son éclosion : à seulement quelques semaines d'intervalle en septembre sortent deux films déterminants pour sa carrière. Comme il m'arrive de faire les choses à l'envers, je vois d'abord Indigènes au cinéma et suis assez impressionné par l'interprétation de la comédienne. C'est un tout petit rôle mais elle s'en tire remarquablement bien. Jeune fermière à l'abandon en pleine guerre de 1940, elle dégage, dans ce film à l'esthétique assez terne, quelque chose d'étonnamment lumineux. Il faut la voir réajuster son plaid après un baiser furtif de Jamel : en 2006 je n'en doute pas, cette fille-là a quelque chose.

Quelques mois plus tard, on la retrouve au Théâtre du Châtelet, nommée dans la catégorie du Meilleur espoir féminin pour Je vais bien, ne t'en fais pas. Alors que Vincent Lindon ouvre l'enveloppe dans laquelle il trouvera son nom, on remarque qu'elle sourit déjà un peu plus que les autres prétendantes au titre, que son visage attrape mieux la lumière.

Sur le coup, personne n'en doute, la récompense est méritée. Mélanie est, à l'image de son personnage, une jeune fille sympathique, et c'est toute la France ou presque qui s'extasie sur cette girl next door aussi typique qu'émouvante. Le film s'avère un mélodrame aux petits oignons, que je découvrirai pour ma part un soir de pluie, en DVD chez ma grand-mère.

A star is born

Dès lors, tout s'accélère. D'abord Mélanie joue, littéralement cette fois, la fille d'en face dans le Paris de Klapisch et puis, enfin, elle décroche le jackpot en 2009 : le rôle de Shosanna dans Inglourious Basterds de Quentin Tarantino.

C'est le job qui va lui apporter la gloire, mais aussi les premiers revirements d'opinion. D'abord, on s'interroge sur la manière dont elle a pu obtenir un rôle brigué par toutes les jeunes actrices françaises depuis des mois. Puis, très rapidement, on s'agace de sa suffisance. Car Mélanie n'a pas vraiment le triomphe modeste : vautrée dans un canapé, la clope au bec elle raconte Soshanna : « Pfffou c'est trop moi quoi, c'est trop c'que j'veux raconter, c'est trop c'que j'veux jouer... », avant de souligner le niveau de sa performance d'actrice d'un subtil haussement de sourcil, ponctué de la gorgée de thé qui va bien : « J'ai quand même quatre femmes à jouer différentes ! ».

Sous le regard frustré des plus rabat-joies d'entre nous, Mélanie Laurent laisse exploser sa joie sur les marches cannoises dans une danse aussi frénétique que mémorable menée par un Tarantino survolté. À l'époque encore, je ne lui jetais pas la pierre. Qu'aurais-je fait à sa place si j'avais été un acteur casté par Tarantino, hein ? Je serais probablement toujours en train de fêter ça sur la Croisette. Ça semblait alors évident, Mélanie Laurent n'était que la malheureuse victime de cette maladie bien française qu'est la JALOUSIE. Il suffisait de lui laisser un peu de temps, et on verrait bien que son arrogance apparente n'était que le résultat de quelques maladresses.

À vrai dire pas du tout.

La suite n'a fait qu'aggraver les choses, façonnant - au fur et à mesure des apparitions publiques de l'actrice - l'image d'une personnalité méprisante se considérant comme supérieure.

Le début de sa carrière musicale a d'ailleurs tout précipité. D'abord, pensais-je, parce qu'il y a en France une certaine réticence à voir les artistes multiplier les casquettes. Mais il y a eu cette vidéo dans laquelle elle dit de Damien Rice qu'il est « le seul musicien avec qui je rêvais de travailler puisque Jacques Brel est mort ». Phrase d'autant plus sidérante qu'elle la souligne d'un petit sourire satisfait.

Je ne m'étendrai pas sur les raisons pour lesquelles cette vidéo m'a consterné à l'époque, d'autres l'ont d'ailleurs fait avant moi, mais c'est à cet instant précis que je situe mon point de rupture. C'est avec cette interview que j'ai basculé du côté de la haine. De la HATE !

La Haine

Cette haine justement, qu'on anglicisera « hate » parce que faut pas déconner, fut quelques mois plus tard l'objet d'une sortie musclée de « Mélanie Laurent la chanteuse », exaspérée par les critiques. Cette saloperie de hate que les internautes viennent « déferler » sur elle (cherchez pas), l'actrice en parlera, amère et dégoûtée, dans une interview pour le Journal Le Berry, a priori anodine, mais qui fera date dans les annales du web :

Manque de bol, la vidéo en question a été retirée.

En prenant publiquement conscience du murmure de la critique médiatisé par Internet, l'actrice brise le mur de verre censé la séparer du public, et commet une faute majeure, contraire à l'image de star de cinéma à l'américaine qu'elle est supposée être devenue. C'est là tout le paradoxe de Mélanie Laurent : une actrice qui a construit son succès sur l'image de la fille ordinaire, mais qui ne supporte pas de ne pas être adulée comme une star. Et forcément, ça énerve...

Dès lors, chacune de ses prestations semble renvoyer directement à ce curieux paradoxe. Son discours, lors de la cérémonie du dernier festival de Cannes - d'ailleurs écrit par le très modeste Nicolas Bedos (hum) - faisait le commentaire de son statut d'actrice. On saisit l'ambiguïté de son personnage en tentant d'évaluer le degré de sincérité avec lequel elle prononce sa conclusion : « Vu d'ici, le cinéma, c'est magique». Irritante ou touchante ? Son cas prend la forme d'un gros point d'interrogation.

Les Adoptés, qui reste un honnête mélo, pas très inspiré mais tout à fait regardable, poursuit ce commentaire en multipliant les auto-références : outre la présence de Denis Ménochet (le fermier du début d'Inglourious), on remarquera également une scène de violon qui n'est pas sans rappeler Le Concert. Dans la même perspective de citation appuyée, la première réplique est éloquente : « T'as pas le trac ? » demande un personnage à Mélanie Laurent en coulisses avant un concert ; elle met ainsi en abîme le courage qui lui a été nécessaire pour « repartir de zéro » en entamant sa carrière de chanteuse. On relève un peu plus tard le syndrome "Petits mouchoirs" (fausse modestie dégoulinante et existentialisme de supermarché) : « On n'est pas devenues ce qu'on aurait voulu, mais on s'en sort pas mal quand même. ». Et puis, il y a cette petite pique qui ne mange pas de pain, révélatrice de la doctrine anti-pouce en bas évoquée plus haut : « Il est critique ? C'est ça son boulot, il te critique toute la journée ? ».

Alors, pour conclure Mélanie, tu pourrais me demander : « Mais mec, qui tu es pour juger ? Qui tu es ?! Hein ? ».

À vrai dire, le truc c'est que moi non plus je ne sais pas trop qui tu es. À chacune de tes apparitions j'hésite : la girl next door sincère consciente de sa chance précaire, ou l'arriviste glaçante calculant le moindre de ses gestes et feignant chacune de ses émotions ? Avec Les Adoptés tu ne m'as pas aidé, en signant un film impersonnel... qui finalement te ressemble.

Mise à jour du 27 octobre 2014 : Poids des mots certes, mais choc des vidéo surtout. Près de trois ans après la publication de cet article, Mélanie Laurent s'apprête à sortir un nouveau film de son cru : Respire. C'est à ce moment (coïncidence ? Je ne pense pas) qu'émerge cette chouette compilation de modestie en vidéo repérée par Brain Magazine.

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71 commentaires
  • IMtheRookie
    commentaire modéré @RokuYon «toujours dans le sens du vent» dans le cas de Pacific Rim c'était le premier article publié en français sur le film, donc bon...

    Sofia Coppola c'est une interview. Sur DiCaprio c'est un portrait. J'aime l'acteur et j'explique pourquoi, la malhonnêteté serait d'écrire le contraire de ce que je pense, ça rapporterait d'ailleurs sans doute plus de clics.

    Pour revenir à Mélanie Laurent, Laurent Weil et Le Grand Journal seraient plutôt du genre à lui faire des courbettes, donc je ne vois pas trop le rapport.

    Contrairement à ce que tu dis, je pense que l'image publique d'un acteur ainsi que sa carrière (la somme de ses rôles précédents) ont une vraie importance quand il devient une star. Parce que, justement, les cinéastes peuvent tirer parti de leur statut pour donner des résonances particulières à leurs films. Des films comme Eyes Wide Shut ou Ocean's Eleven et encore plus Ocean's Twelve, par exemple, ont un sous-texte qui repose beaucoup là-dessus.

    Après je ne t'ai pas vu commenter notre dossier sur le cinéma africain cet article Gala dans l'air du temps qu'on a fait que pour avoir des millions de clics : http://www.vodkaster...cinema-africain-3446

    Sinon tu peux peut-être lire aussi :
    - http://www.vodkaster...chained-analyse-3173
    - http://www.vodkaster...nt-contemplatif-1609
    - http://www.vodkaster...-Nouvelle-Vague-2724
    - http://www.vodkaster...tion-James-Bond-2999
    - http://www.vodkaster...-sauver-un-film-2250
    - http://www.vodkaster...k-passion-nanar-1887
    - http://www.vodkaster...-de-Taxi-Driver-1363
    - http://www.vodkaster...n-cinema-coreen-1202
    - http://www.vodkaster...a-lui-tout-seul-1148
    - http://www.vodkaster...serie-TV-cinema-2736
    - http://www.vodkaster...adoxe-happy-end-3247
    - http://www.vodkaster...pilami-carriere-2174
    31 juillet 2013 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré "Comment je me suis disputé avec @RokuYon" :)
    31 juillet 2013 Voir la discussion...
  • IMtheRookie
    commentaire modéré @pipaloum comme je le dis dans l'article : de la "haine" il ne faut pas déconner non plus. Je pense qu'elle a vraiment, gravement, pris la grosse tête et que c'est à terme une mauvaise chose pour sa carrière. Ce qui me déplait beaucoup dans la phrase sur Brel, c'est que je vois que c'est joué, que c'est fabriqué et complaisant. Je pense qu'une actrice, et a fortiori une actrice qui veut être une "star" (je crois encore un peu à la notion de "star de cinéma") doit avant tout réussir à nous faire croire à quelque chose. Quand elle dit ce truc sur Brel, je vois toutes les ficelles qui tiennent la marionnette arriviste qu'elle incarne, et patatras.
    31 juillet 2013 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré T'es chié @IMtheRookie, t'aurais pu mettre le mien sur Django en lien. :)
    Sinon @RokuYon, il y avait celui-ci de @ChrisBeney qui est vraiment bon (dans le genre pas révérencieux) : http://www.vodkaster...-revisionnistes-1229
    31 juillet 2013 Voir la discussion...
  • IMtheRookie
    commentaire modéré @zephsk oui il y a évidemment : http://www.vodkaster...jango-Unchained-3176

    (avec le hic du mec qui va voir les films en VF ;))
    31 juillet 2013 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré Hein ? Quel type ferait un truc pareil ?
    31 juillet 2013 Voir la discussion...
  • RokuYon
    commentaire modéré @IMtheRookie, @zephsk merci pour tous ces articles, que j'ai déjà lu pour la plupart, n'ayant aucun talent pour l’écriture (scientifique oblige) j'ai beaucoup de mal à me faire comprendre, donc ce n'est pas grave passons. Si j'ai paru agressif ce n’était pas mon intention première, juste un ras-le-bol face à des articles qui je le répète vont dans le sens du vent. Il faut de tout pour faire un monde et je dois avouer que je suis quand même fan de ce que vous faites sur ce site, mes visites quotidienne en étant la preuve. Je n'ai malheureusement pas le temps (ou l'envie) de tout commenter mais je lis quasiment tout (sauf peut-être le cinéma africain qui je dois l'avouer ne me passionne pas vraiment, désolé).

    @IMtheRookie disons que l'on a tous les deux un peu raison concernant les acteurs, certains réalisateurs aiment jouer avec l'image de leurs "stars" (l'exemple de Soderbergh est très bien choisi) mais je maintiens qu'il ne faut pas être nécessairement quelqu'un de bien dans la vie, qui soigne son image pour être un bon acteur (cf Robert Downey Jr par exemple), sinon que dire de ce salop de Charlton Heston???

    Bref encore une fois désolé pour le ton du commentaire précèdent, mais je tenais juste à donner mon avis voila tout.
    31 juillet 2013 Voir la discussion...
  • zigzagtouch
    commentaire modéré @IMtheRookie bien envoyé président :)
    31 juillet 2013 Voir la discussion...
  • IMtheRookie
    commentaire modéré Un joli montage vidéo ajouté à la fin de l'article :)
    27 octobre 2014 Voir la discussion...
  • dachna_brietzala
    commentaire modéré "Elle ne jouait pas dans le film mais accompagnait une copine lorsque, coup de bol, elle fait la rencontre de Gérard Depardieu." bah oui voyons, que le hasard fait bien les choses.
    22 mars 2018 Voir la discussion...
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