Sharknado : comment en est-on arrivé là ?
Récemment, et un peu partout dans le monde, le public d’un film s’est déchaîné pendant ses projections. À Paris, c’est au MK2 Quai de Loire que des cris de joie ont retenti, que les spectateurs ont levé les bras en signe de victoire et spontanément applaudi. Qu'est-ce qui a donc bien pu générer un tel engouement ? L’avant-première d’Expendables 3 en présence de tous ses acteurs ? Une présentation exceptionnelle du troisième volet du Hobbit ? La dernière production des studios Marvel ? Non, rien de tout cela. La raison de cette effervescence, c’est Sharknado 2, subtile association de "sharks" et de "tornado", un film sur une tornade pleine de requins donc. Et en plus, c’est une suite. Serait-ce là le signe avant-coureur de la fin du monde ? Comment un nanar assumé et vendu en tant que tel par ses producteurs, The Asylum, normalement réservé à la télévision (près de 4 millions d’américains l’ont regardé sur Syfy) ou à la VoD, en est-il arrivé là ?
Le meilleur du pire
Le point de départ est simple et abracadabrant. Une bizarrerie météorologique libère sa furie sur New-York, lâchant un grand sharknado sur ses habitant et ses sites les plus emblématiques. Seuls Fin (Ian Ziering) et April (Tara Reid), survivants de la tempête de requins qui avait ravagé Los Angeles dans le 1er Sharknado, peuvent sauver la Grosse Pomme. Ils sont tous deux à bord d’un avion. Fin porte une dent de requin en guise de pendentif, vestige de ses tourments passés, afin de "ne pas oublier". Dans la salle, les spectateurs se marrent, et nous n’en sommes qu’à la toute première scène. Ce bon vieux Fin, le visage encore marqué par les stigmates du premier sharknado, jette un œil au hublot : un éclair transperce les nuages et dessine la silhouette d'un requin. Là, le public est déjà hilare. Cinq minutes plus tard, une tempête arrache une partie de la coque de l'appareil, Tara Reid manque d’être éjectée, se rattrape in extremis, avant qu'un requin ne bondisse vers elle et ne lui arrache la main. Tara Reid hurle de douleur et d'effroi ; les spectateurs, eux, se roulent par terre. Et ça se passera comme ça jusqu’à la dernière seconde du film, une surenchère de n'importe quoi, de poncifs gros comme des requins et de situations problématiques aussi improbables que leurs solutions. The Asylum a bien retenu les leçons du succès de son premier épisode (à la symbolique déjà très subtile, comme en témoigne l'image ci-dessous), pour les appliquer en poussant les curseurs au maximum.
C’est d’ailleurs ce que l’on peut regretter. Sharknado tentait vainement de reproduire une ambiance de survival à la 28 jours plus tard ou The Walking Dead (mais avec des requins à la place des enragés et des zombies). Sharknado 2 : The Second One revendique de manière ostentatoire son positionnement nanardesque et il en joue, conscient de tenir là la seule clé du succès possible pour lui. Le jeu des acteurs principaux (le Steve Sanders de Beverly Hills, Tara Reid qui galère depuis ses rôles dans American Pie et The Big Lebowski), les guest stars (le présentateur TV Matt Lauer, le chanteur Mark McGrath, Kelly Osbourne), la mise en scène, les effets spéciaux à la finition approximative, les références balourdes à Evil Dead ou Massacre à la tronçonneuse : tout, absolument tout dans Sharknado 2 dégage une ringardise assumée.
Le nanar n'est pas un plaisir solitaire
The Asylum, le petit studio derrière Sharknado 2, est loin d’être à son coup d'essai concernant les films de requins. Mega Shark vs. Crocosaurus, L'attaque du requin à deux têtes, Mega Shark vs. Giant Octopus. Tous ces direct to video ont joué sur la même thématique, sans qu'aucun ne connaisse un dixième de l'engouement généré par la tempête de requins.
Une tornade et des squales, serait-ce le ticket gagnant pour un nanar ? Oui, à condition d’avoir au préalable une parfaite connaissance de l’état du marché du cinéma et de son évolution. A l'occasion du festival de Cannes 2010, David Rimawi, l'un des fondateurs de The Asylum, déclarait à Nanarland : « Nous sommes très attentifs aux changements de consommation des films : les vidéoclubs disparaissent, la VoD se démocratise ainsi que la consommation de contenus sur le web, et nous comptons resserrer nos liens avec la télévision, en produisant des films pour des chaînes, que ce soit SyFy Channel et d'autres ». S'adapter, c'est sans doute ce qu'Asylum a su faire de mieux, ne serait-ce qu’en fournissant du contenu exclusif aux fans avant la diffusion d’un film, pour que ceux-ci le relaient à leur tour sur la toile. Le choix du titre, Sharknado 2 : The Second One, a d’ailleurs été laissé aux internautes. En permettant ainsi au public de jouer un rôle capital dans la promotion du film (à l'instar d'une série comme Game of Thrones), la firme a su profiter au maximum du potentiel des réseaux sociaux, pour faire de cette suite un événement. Le milliard de tweets relatifs au film suite à sa diffusion témoignent de ce succès. Un marketing à la subtilité inversement proportionnelle à celle du film, en somme…
Who ya gonna call? Mockbusters!
À part les films de requins, l’autre spécialité de The Asylum est le mockbuster. Le studio profite du manque d'inspiration des blockbusters, qui ont tendance à facilement céder à l’appel des suites, préquels et autres reboots. À mi-chemin entre la version low-cost et la parodie (qui constitue avant tout un bouclier légal efficace contre les accusations de plagiat), les mockmusters singent les travers d’Hollywood et constituent la marque de fabrique des studios Asylum. The Da Vinci Treasure, Snakes on a train, The Terminators, 18 years old virgin ou encore le fameux Titanic 2 : tous ces films, objectivement mauvais, ont su gagner un public auprès des amateurs de nanars.
Et s’il y a quelque chose à gagner, alors il y a concurrence, y compris dans le film de série Z. Impossible alors de passer à côté de Ted Chalmers, autrefois chargé de la distribution d’un film douteux à son époque et devenu un classique aujourd’hui, Massacre à la tronçonneuse. Son studio, Tom Cat Films, est aujourd'hui le principal concurrent d'Asylum sur le marché des mockbusters. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il pousse le principe de film d’exploitation à son maximum : produire au moindre coût et le plus rapidement possible. Chalmers a par exemple résolu un problème en apparence insoluble : comment embaucher des acteurs célèbres avec un budget limité ? En allant les chercher dans le porno.
Avec des projets aussi alléchants que Grand Auto Theft : L.A. ou Earthquake vs. Tsunami dans les cartons de Chalmers, et bien évidemment un troisième volet de Sharknado annoncé pour 2015 du côté d'Asylum, on ne sait pas trop jusqu’où cette surenchère va aller. Comme l’a dit un jour Claude Lelouch : « le pire n’est jamais décevant ». La nanardophilie a encore de beaux jours devant elle.
Sinon, comme écrit dans l'article, les mockbuster visent clairement la niche des amateurs de nanards mais j'ai lu autre part qu'ils sortent directement en dvd à des dates très proches des films qu'il parodient/plagient afin que les consommateurs les choisissent en les prenant pour l'original (c'est bas mais pour arriver à se tromper, j'ai envie de dire que l'acheteur le mérite...). Sinon la maison de production Asylum a déjà connu quelques procès mais j'ignore comment cela s'est terminé. Bon article au demeurant, j'ai envie de dire comme d'hab @Fujee ;)
LoL