La violence au cinéma : histoire d'un malentendu
La sortie aujourd'hui de The Raid, dont nous signalions il y a quelques temps qu'il serait interdit aux moins de 16 ans, invite une fois de plus à s'interroger sur la représentation de la violence. Accumulant soigneusement les membres cassés et les tirs à bout portant, la nouvelle bombe du cinéma panasiatique ne ménage pas les « âmes sensibles ». Un film qui doit déranger ou choquer ? Pas si on considère le débat sur la violence au cinéma comme un malentendu.
Il y a-t-il sujet plus éculé que la violence au cinéma ? Qu'on le veuille ou non, il revient pourtant toujours sur le tapis. A l'occasion d'un film ou d'un débat, pour en appeler à ses dangers ou à l'inverse les dégoupiller, chacun vient exposer sa vision des choses. D'ordinaire le cinéphile ne fait pas grand cas de la violence, il sait bien que depuis les Grecs, l'homme n'est pas un tendre et qu'il faut aussi rendre cette image là. L'accusation porte alors souvent sur sa stylisation, entendu que sublimer l'immoralité serait un acte aussi répréhensible que la pornographie. Là encore l'histoire de l'art aurait raison des râleurs. La beauté est aussi possible dans la représentation du mal. Mais jusqu'où ? Et pourquoi le cinéma accapare-t-il toute l'attention sur ce sujet ? Le regard de Nicolas Winding Refn a-t-il moins de sens dans Drive que celui de Pasolini dans Salo ? Le problème serait-il alors non pas la violence mais son recours ? Le palier entre le seuil de complaisance et le regard critique ? La différence entre épouser la surface des images sans comprendre ce qu'elles signifient, par seul goût archaïque du spectacle, et son contraire, aller au-delà des images pour comprendre le monde ? Et John Woo ou le festival de tirs à bout portant de The Raid, on en fait quoi ?
Motel Scene, extrait de Drive
Moralisation des images
La violence draine avec elle une moralisation des images, calquées sur des accords de principes multiples voulant que l'on ne l'emploie pas sans bonne raison (la vengeance en est une). Aussi vieux que le western existe, on se tire dessus pourtant comme des gosses. Le sang, c'est d'abord du rouge. Ce jeu d'enfant mobilise malgré tout l'attention des grands lorsqu'il devient un prétexte à l'intelligence et au grand discours. Car qu'on s'envoie au cimetière en permanence n'a jamais choqué que les nazis d'un pacifisme acharné. Mais qu'on en vienne à l'utiliser comme un motif provocateur, à l'image d'un Gaspar Noé, donne envie de régler quelques comptes. Ce qui sépare Peckinpah de l'auteur d'Irréversible est simple : moins la complaisance que la fascination. Cette fascination là n'exprime-t-elle pas pour autant une angoisse vis-à-vis du monde ? Peut-on la délimiter seulement à un geste contestable voulant que toute violence non justifiée par une critique encours d'être disqualifiée ? L'idée est tentante d'affirmer qu'il n'y a plus que des images et donc seulement une séduction sans fondement qu'on aurait habillée de fausses intentions pertinentes. Mais ce serait aller un peu vite.
La fascination pour la violence d'un Noé n'a probablement pas les mêmes fondements que chez Peckinpah, John Woo, Tsui Hark ou Chang Cheh. Mais elle rappelle que l'on regarde d'abord la posture plus que les images. Ce sont les idées qu'on juge avant tout avec Irréversible. Celle entre autres qui veut en appeler à des sensations primaires pour laisser son spectateur à terre devant une horreur sans commentaire (mais malgré tout réflexive). Cette absence de contrechamp et ce terrorisme de la mise en scène ne pardonnent pas. Peut-on pourtant les juger plus indignes d'exister que chez Pasolini ? Le problème excède son objet. Il s'agit toujours avec la violence d'aller calquer un système de valeurs. Qu'on soit d'accord avec la représentation de Noé importe peu. Ce qui compte est seulement de nous situer par rapport à son procédé. Lorsqu'on recourt à la violence en la stigmatisant au point d'en faire un motif ou un sujet, on veut retomber sur les pattes d'une condamnation ou au moins d'une compréhension qui n'entraine pas d'adhésion. C'est une question de principe dont pourtant le cinéma se moque. En refusant cela, ceux qui recourent ainsi à la violence prennent le risque de passer pour de simples provocateurs (ce qu'ils sont la plupart du temps, mais peu importe). On ne veut voir que leurs méthodes publicitaires, leur prétention au discours, une voie dans laquelle ils s'engagent pourtant eux-mêmes.
Il n'y a pas de violence au cinéma
Il n'y a pas de problème avec la violence au cinéma, pas plus à la télévision que les jeux vidéo, contrairement à ce qu'affirmait Michael Haneke dans l'impayable Funny Games. Il n'y a de problème que dans l'acte de juger les images sur ce critère là et qui les dépasse. En terme de moralisation du regard, la violence est d'un intérêt à peu près nul ; peu importe donc qu'elle soit ou non justifiée, l'essentiel est plutôt ce qu'on en fait. Le final de La Horde Sauvage n'est qu'un geste de désespoir cynique, un suicide. C'est la fin d'une époque, la libération d'une énergie folle finissant dans une orgie de figures trouées. Condamner l'utilisation de la violence parce qu'elle serait une distraction complaisante ou prétentieuse n'a pas de sens. On peut à la rigueur souligner la balourdise de films comme Martyrs qui ne peuvent inscrire leurs excès dans autre chose qu'une benoite intention cinéphile. Mais là encore, l'idée est ailleurs. Ce n'est pas la brutalité de Dirty Harry qui dérange, mais ce qu'elle désigne par-delà les images (ou avec elles). Chez Kathryn Bigelow, qui l'a pourtant mise au centre de son oeuvre, elle est pareille à une tension servant un processus vampirique enraciné dans une mythologie américaine. La violence compte moins que la contamination et surtout un bouleversement identitaire.
Tout est enfin dans l'oeil de celui qui regarde, comme le voulait Hitchcock. Mais si des petits malins comme avec Cannibal Holocaust ont voulu jouer avec cette idée, pour prétendument questionner leur spectateur (c'était aussi l'idée de Salo, en moins bourrin), le procédé n'affirme que sa volonté de provocation en considérant la violence comme une fin en soit. Mieux vaut éviter ces pièges. Se désolidariser de tout ce moralisme permet de se débarrasser du débat. D'en finir avec un malentendu et tuer dans l'oeuf la question du mimétisme qui revient toujours par commodité et paresse. Il n'y a pas de violence au cinéma, il n'y a que la mise en scène de quelque chose. Et c'est tout ce qui compte.
Dépeçage d'une tortue, extrait de Cannibal Holocaust
Une liste de films interdits aux moins de 16 ans
Rejeter un film à cause de la représentation de la violence, j'ai toujours trouvé ça terriblement idiot.
Il n'y a aucune mauvaise façon de la mettre en scène, seule compte le style et le bon goût.