La conteen, nouvelle cash machine d'Hollywood
La Belle et la Bête et les histoires de vampires sont-elles si différentes ? Après tout, elles traitent métaphoriquement d'un seul et même sujet : la différence, et la peur de l'inconnu qui en découle. Ce qui les sépare est que l'un appartient traditionnellement au registre de l'enfance et l'autre à celui de l'horreur ; une scission qui perdure depuis si longtemps qu'elle en semble immuable.
Pourtant, bien que Sortilège se fasse déjà massacrer par la critique, il marque à n'en pas douter la réunion des contes de fées et du fantastique horrifique : s'il consiste en une adaptation libre de La Belle et la Bête, son ancrage contemporain et ses protagonistes adolescents le rapprochent de Twilight.
Mis côte à côte, les deux films dessinent un pont entre les rives du merveilleux de l'enfance et de l'horreur de l'âge adulte, qui se matérialise sous la forme d'un nouveau genre entre conte et teen movie que nous appellerons « conteens ». Trop matures pour être des Disney, trop softs pour être vraiment effrayants, en tout cas toujours calibrés pour être des succès?
Faire du neuf avec du vieux
Pour les puristes vampiriques, Twilight est un blasphème absolu notamment parce qu'il se permet de faire profiter de la lumière du soleil à ses suceurs de sang. Mais son succès prouve bien que la génération à laquelle il s'adresse n'accorde aucune importance au respect de traditions qu'elle estime sclérosées. Twilight ne se réclame d'aucune filiation avec Entretien avec un vampire ou Dracula, et encore moins avec le Nosferatu de Murnau? Et c'est ce qui fait sa modernité.
Pour renouveler les légendes et les contes de fées, il faut savoir se les approprier : la bête de Sortilège n'est pas couverture de fourrure, mais chauve, tatouée et scarifiée, ce qui revient au même en termes de laideur. De même, le film ne se déroule pas dans un moyen-âge magnifié comme les contes traditionnels, mais de nos jours à New-York : ce contexte contemporain permet non seulement de marquer de manière forte la prise de distance par rapport au matériau originel, mais aussi de faciliter l'identification des spectateurs pubères aux personnages.
Les frères Grimm, Perrault et même Disney semblent être oubliés dans leurs détails, et les réalisateurs ne gardent aujourd'hui que l'essence des contes, leurs signes distinctifs les plus triviaux, pour broder autour des histoires inédites ou originales : L'Alice de Tim Burton n'a que peu en commun avec son prédécesseur, tandis que Hansel et Gretel : Witch Hunter (en cours de production) se passera de nombreuses années après la fin du conte et que le Magicien d'Oz de Sam Raimi décrira l'arrivée du magicien à Oz, de nombreuses années avant que Dorothy n'y mette les pieds.
Tea party extrait de Alice au Pays des Merveilles
Entre les enfants et les adultes, les ados
Le propre du mouvement conteen est qu'il nivelle les références du passé à la fois par le bas et par le haut. Dans le cas de Twilight, clairement, il s'agit de dépouiller un genre particulier de l'horreur le débarrasser de son côté trop violent et trop trash (on est loin de Blade) et n'en garder que le romantisme impossible à la Romeo et Juliette, qui s'accommode facilement d'un habillage teen-movie si on le place à l'université.
Mais la plupart du temps, c'est l'inverse qui est fait : on s'empare d'un grand classique pour enfants, et on l'assaisonne gentiment d'un peu d'horreur en toc, juste assez pour que les ados puissent avoir l'impression d'être des grands, mais pas trop quand même, sinon ils risqueraient de ne pas avoir le droit d'aller voir le film? C'est ainsi que Le Chaperon rouge et Sortilège se donnent tous deux l'allure de films sérieux à ne as montrer à votre petit frère : Amanda Seyfried est moins niaise que son modèle et Alex Pettyfer est au moins aussi torturé qu'un gothique de 14 ans... Dark.
Le confluent de ces tendances, qui connaissent toujours leur lot de variations, est à trouver dans l'Alice de Tim Burton : assez coloré et onirique pour satisfaire la soif de divertissement toute enfantine des jeunes ados, il reste assez sombre et violent (dites-le vite, ça passera mieux) pour qu'ils puissent le regarder sans avoir honte et sans passer pour un gamin. Il constitue, en ce sens, la transition idéale entre le fantastique pour enfants et le fantastique pour adultes. De même, la version de la Belle au Bois Dormant en production avec Hailee Steinfeld se déroulera majoritairement dans ses rêves, et se teintera sûrement de fantastique burtonien, mi-sombre, mi-léger.
Don't come near me extrait de Le Chaperon Rouge
Des contes subtilement sexuels
Vous ne l'avez peut-être jamais remarqué si vous ne vous êtes pas penché sur la question ou si vous n'êtes jamais retourné vous plonger dans les contes de votre enfance, mais la plupart d'entre eux transpirent abondamment de multiples sous-textes sexuels. Il y a dans le Petit chaperon rouge, dans la Belle et la Bête, et surtout de manière plus générale dans le mythe du vampire des allégories ayant trait à la transformation du corps, à la peur de l'inconnu et à l'impossibilité de contrôler ses désirs, qui doivent être rattachées à l'éveil de la sexualité qui caractérise la puberté.
Alors qu'en général les adaptations de contes pour enfants (typiquement, les Disney) tentent de cacher autant que faire se peut ces connotations qu'elles jugent totalement déplacées pour la jeunesse moderne, les conteens, ayant un public adolescent, préfèrent les assumer et jouer de ce côté sulfureux. Si Robert Pattinson provoque autant d'émeutes et d'évanouissements chez les jeunes filles en fleur (et en bourgeons), c'est certes parce qu'il est Robert Pattinson et qu'il a une jolie coupe de cheveux, mais aussi et surtout parce qu'il est LE vampire de sa génération : sombre, mystérieux, dangereux? sexy.
Les acteurs et actrices castés pour donner un coup de fouet aux contes de fées sont bien souvent jeunes, parfois déjà célèbres, mais toujours doté d'un sex-appeal certain qui les rend irrésistible pour le sexe opposé. Oz était un vieux magicien fripé comme un pruneaux et barbu ? Le voilà incarné par James Franco. Peter Pan était un petit garçon facétieux ? Channing Tatum lui prêtera son âge et ses muscles. Côté filles, Kristen Stewart se chargera de déniaiser Blanche-Neige, et les méchantes sorcières acariâtres de la Belle au bois dormant et de Blanche-neige prendront formes grâce aux silhouettes d'Angelina Jolie et de Julia Roberts, moins jeunes, mais toujours sexy.
Kissing Scene extrait de Twilight - Chapitre 1 : fascination
Conclusion
La conteen est un genre hybride, bâtard, qui marche bien parce qu'il s'adresse d'une manière nouvelle à son public, en lui offrant un fantastique mâtiné de ses préoccupations quotidiennes. En ce sens, il peut d'ailleurs être rapproché de la saga des Harry Potter, qu'on pourrait admettre comme étant un de ses parents lointains. Mais s'il remplit les caisses, il lui manque encore une véritable grande oeuvre d'importance qui satisfera à la fois le public et la critique pour être vraiment respecté.
Comme les adolescents eux-mêmes, la conteen donne l'impression d'un genre en construction, incertain quant à la voie qu'il doit choisir. Il s'inspire de l'horreur sans avoir sa force d'évocation et du merveilleux sans avoir son imagination. Quand parfois il se teinte de teen movie, il ne parvient pas à restituer la douce amertume qui fait sa beauté. Au final, la conteen est comme Sortilège : un concept prometteur, mais désespérément creux.
Sources : Hollywood Reporter, Huffington Post, Gossipcop