Cinéma de patrimoine : non les vieux films ne sont pas morts !
À l'occasion du Festival Lumière à Lyon, temple de la cinéphilie, et de la tenue en exclusivité mondiale du 1er Marché du film Classique, nous avons cherché à dresser un tour d'horizon de ce que certains appellent grossièrement les «vieux films» mais qu'on désignera plus respectueusement «cinéma de patrimoine».
Classique, vieux films, noir et blanc, V.O et patrimoine, donc.
Ces qualificatifs évoquent pour beaucoup une sorte de bestiaire obsessionnel de quelque latiniste valétudinaire (et poussiéreux), quand ils sont pour le cinéphile un motif de joie et de fierté. Disons le tout net et jetons au feu toutes ces inepties, le cinéma classique, ça n'existe pas. Et d'ailleurs, au festival, se côtoient allègrement des métrages aussi divers que Django Unchained (2013), Mélodie en sous-sol (1962) ou Lonesome, film muet de 1928, entre autres centaines de projections.
Le récipiendaire du Prix Lumière lui-même, Quentin Tarantino, récompensé pour son immense contribution à un cinéma qu'il a largement concouru à faire connaître et aimer, serait un peu l'illustration parfaite de cet art chamarré. Un art au long court, totalement hétérogène, mêlant vieux films d'exploitation et inventions formelles remarquables.
Par ailleurs, si ce marché a été créé, c'est selon Thierry Frémaux, que l'intérêt du public est réel et que le film de patrimoine répond aux mêmes impératifs qu'un film inédit.
En somme, le cinéma patrimonial, c'est presque tout le cinéma qui n'apparaît pas sur votre page internet préférée : Sorties de la semaine. Soit 99 %.
Thierry Frémaux ne dit d'ailleurs rien d'autre : «Lorsqu'on présente un film des années 90 en 2013, on ne fait pas autre chose que Truffaut quand il défend le cinéma de Murnau, quelques 20 ans après sa mort.»
Les joies de la restauration
Une fois posé l'aspect absolument hétéroclite et intemporel de ce cinéma de patrimoine, reste à savoir comment cette "langue morte" du 7ème Art, pourtant bien palpitante, continue d'impressionner avec la même force la rétine de nos contemporains.
La survie de ce cinéma ne serait rien sans l'amour immodéré de quelques passionnés, des producteurs aux distributeurs en passant par les exploitants et bien évidemment, les spectateurs. Rien sans l'argent de l'industrie cinématographique non plus.
Jean-Fabrice Janaudy, directeur-adjoint de la société de distribution Les Acacias, également exploitant du Max Linder à Paris, bénéficie naturellement d'un observatoire privilégié sur la consommation de ce cinéma de patrimoine. Malgré l'enthousiasme et l'abnégation qui l'amènent encore à célébrer notre fétiche, il porte un regard relativement sombre sur l'évolution non pas du cinéma en général, mais du cinéma qui le fait vivre.
D'abord, la restauration coûte cher et les distributeurs indépendants, qui cherchent à défendre un cinéma soit exigeant, soit sorti du champ de l'actualité, n'ont pas les mêmes armes pour promouvoir leurs protégés. Sa société, qui venait présenter Une Femme Douce de Bresson en version restaurée, a bénéficié d'une aide importante de la part du CNC, qui a financé entièrement sa numérisation et sa restauration (70.000 ?). Mais le cas est rare et un distributeur met parfois son existence en jeu quand il décide de défendre une oeuvre. Le pire étant qu'il assure la promotion - parfois même la restauration - d'un film dont il devra rétrocéder les droits après une période déterminée allant de 3 à 5 ans.
La restauration d'un film nécessite un investissement et des compétences humaines et techniques considérables : inspection méticuleuse de la pellicule et, le cas échéant, réfections des perforations et collures fragilisées, qui poseraient problème au moment de la digitalisation, puis nettoyage. Mais le son aussi nécessite un énorme investissement.
Sur un film présenté en version restaurée au Festival, Chronique Morave de Vojt?ch Jasný, la bande son, impossible à exploiter, a nécessité la mutualisation de pas moins de quatre sources différentes, récupérées aux quatre coins du globe, pour obtenir une piste propre. Viennent ensuite les réductions de toutes pollutions sonores ou visuelles, la synchronisation, l'étalonnage et toute opération visant à redonner l'éclat de l'original, en n'oubliant pas de s'appuyer sur le contexte historique, pour ne pas trahir si ce n'est la lettre, au moins l'esprit.
Un public vieillissant
Mais la complexité du travail de restauration n'est pas le seul problème du cinéma de patrimoine. L'érosion de la fréquentation en salle de ce cinéma aux marges est également inquiétante : «Quand on ressortait Quai des orfèvres dans les années 80 on faisait 100.000 entrées en France. Aujourd'hui quand un film marche bien, c'est 15.000 à 30.000 entrées et un carton se situe autour de 50.000 à 60.000» précise Jean Fabrice à l'AFP. D'autre part, il observe, un peu triste, le vieillissement de la population adepte ou simplement curieuse d'un cinéma peut-être moins abordable (ou moins dans l'air du temps) et n'a pas le sentiment que la jeunesse soit ni captive ni en mesure de renouveler une population de cinéphiles déjà très minoritaire.
Lorsqu'on l'interroge sur l'effet éventuellement positif des nouvelles technologies pour la diffusion de ce cinéma, il se montre toujours mesuré : s'il reconnait effectivement que la numérisation a grandement facilité l'exploitation des films et amélioré les coûts, il est catégorique sur l'inefficacité d'un plan-média sur internet, qui couvre pourtant une population plus jeune : «Lorsqu'on communique sur des médias traditionnels ciblés, comme Le Monde ou Télérama, l'impact sur la fréquentation est réel, lorsqu'on essaie sur la toile seule, il est quasi nul.»
La cinéphilie de patrimoine est-elle en train de mourir avec ses vieux thuriféraires ? Les copies de films de Murnau finiront-elles aux côtés des premières laterna magica de la Cinémathèque Française, croulant sous la poussière ? Ce Festival n'est-il que le dernier baroud d'honneur de quelques fanatiques réactionnaires ?
Les promesses du numérique
Quid alors des nouveaux modes de consommation ?
Nous avons voulu en savoir plus auprès d'Hugues Derolez, bien connu de Vodkaster, dorénavant Community Manager aux Manufactures, toute nouvelle plateforme VOD lancée par les Éditions Montparnasse.
D'abord, son diagnostic est semblable à celui des autres acteurs du marché : la population qui achète des DVD de films classiques ou documentaires est essentiellement celle qu'on retrouve dans les salles « arts et essai », à savoir un public âgé.
L'objectif initial des Éditions Montparnasse était de diversifier autant que possible leur catalogue (documentaires, séries, films classiques) pour toucher un public large. Mais la chute progressive des ventes de supports « en durs » sur l'ensemble du secteur a conduit à penser de nouveaux modes de diffusion et de consommation du cinéma. C'est ainsi que sont nées Les Manufactures, plateforme à la fois VOD et réseau social, qui comporte également un magazine.
De fait, même si l'essentiel de la location en VOD sur le territoire français concerne la télévision et le cinéma grand public récent, il est intéressant de constater qu'elle comble assez efficacement l'effondrement progressif des supports numériques tels que DVD et Blu-ray. Mais les Manufactures ne se contentent pas de proposer un autre média. Le site dispose en effet d'une véritable ligne éditoriale, basée sur la volonté de soumettre des titres intéressants et variés avant d'être populaires et les porter à la connaissance du plus grand nombre. Comment ? Grâce à « une plate-forme sociale et ludique où l'utilisateur pourrait voir des films, les partager et en discuter via les réseaux sociaux. » Il est ainsi possible, pour une somme modique, de louer un film pendant une semaine, par exemple le chef-d'oeuvre méconnu d'Axel Corti, Dieu ne croit plus en nous, et le faire partager gratuitement à l'un de ses abonnés. Il vous sera ensuite tout à fait loisible, comme sur n'importe quel réseau social, de le commenter, le « liker » et en discuter avec les différents internautes et pourquoi pas d'en assurer la promotion. Enfin, le site est très présent sur les réseaux sociaux « traditionnels ». Il totalise près de 250.000 fans sur Facebook sur diverses pages thématiques (comme la Manufacture des Savoirs par exemple), ce qui concoure encore un peu plus à la diversification et l'élargissement de son public.
Mais ce type de proposition peut-elle favoriser un rajeunissement et une pérennisation de la cinéphilie ? «Inévitablement oui. Tout simplement parce que tout le monde utilise un ordinateur, en a un à sa portée, chez soi, pour son plaisir.»
Deux éléments font pourtant obstacle à cet idéal : le téléchargement illégal et l'inaptitude des ordinateurs personnels à fournir une expérience de cinéma satisfaisante.
Pour y répondre, l'équipe cherche d'abord à proposer des films suffisamment pointus, difficilement trouvables dans la zone de « non-droit » qu'est parfois Internet et prévoit l'accès au catalogue sur des supports plus agréables ou mobiles, tels que télévisions ou tablettes, inévitables à terme. S'il est encore trop tôt pour connaître le résultat de ces propositions audacieuses et innovantes (Les Manufactures n'en sont qu'au stade de bêta-test), gageons qu'elles porteront leurs fruits et pourront concourir à essaimer l'amour du cinéma plus loin et pour longtemps.
Nous le redisons : on nous a souvent annoncé la mort de cet art jeune qu'est le cinéma, mais nous n'y croyons pas.
Enfin, pour ceux qui en douteraient encore, comment ne pas avoir une immense lueur d'espoir lorsqu'une horde de jeunes festivaliers, énamourés devant l'idole Tarantino, afflue à la projection d'un film français totalement méconnu de 1939, Le Déserteur de Léonide Moguy, simplement parce que le maître les y a convié ?
Et comment ne pas voir en Tarantino lui-même cette obligation qui nous est faite de préserver l'oeuvre de cinéastes disparus, ces mêmes cinéastes qui façonnent pourtant encore le cinéma de demain ?
Après pour les djeunz d'aujourd'hui (comme moi hum) ou les futures générations, est-ce qu'ils seront toujours sensibles ou intéressés par ces "films du patrimoine" ? A vrai dire je n'en sais rien.
Mais tant qu'il restera des passionnés pour continuer à conserver, restaurer et faire découvrir à un large public ces films qui tendent à disparaître, il restera toujours un peu d'espoir.
J'essaye d'être un peu optimiste pour changer.
Mais après je suis d'accord pour dire que ça ne veut pas dire grand chose dans l'absolu et que c'est même assez subjectif. Mais bon on se comprend on va dire.