Pourquoi Gods of Egypt vaut mieux que les blockbusters récents
Gods of Egypt est sorti en France étiqueté comme un nanar absolu : 90% d’avis négatifs sur Rotten Tomatoes, des premières critiques françaises le qualifiant de « choucroute mythologique » ou de « kitsch vomitif », et une promo le réduisant à un ersatz du Choc des Titans. Autant d'éléments susceptibles d'exciter la curiosité malsaine. Sauf que le film d'Alex Proyas, considéré il y a encore peu de temps comme un créateur estimable (Dark City, I-Robot), ne mérite pas d'être moqué. Il se pourrait même que ce soit un spectacle inouï et fabuleux.
Gods of Egypt fait forcément remonter des souvenirs chez ceux qui étaient jeunes dans les années 1980 et 1990. Celui des Chevaliers du Zodiaque tout d'abord. Dès la première scène d'action, les dieux égyptiens Horus et Seth révèlent leur seconde nature en arborant des armures dorées dignes de Saint Seiya. La première épreuve du jeune protagoniste Bek, elle, rappelle la traversée des 12 maisons du zodiaque de cette même série animée. La progression de ce héros, typique du jeu de plate-forme d'ailleurs, n'a rien de foncièrement original, mais elle est ponctuée de trois combats dont la scénographie doit beaucoup aux jeux de baston à l'ancienne : un premier duel sur un monticule de rochers submergés, un autre sur un monte-charge en mouvement, un dernier au sommet d'un obélisque. On se croirait devant Tekken ou SoulCalibur transposé sur grand écran. Quant aux énigmes d'une divinité qui rappelle l’Oracle sudérien, à la porte géante en plein désert, au géant de pierre ou à la traversée d’un bourbier ressemblant aux « marécages de la mélancolie », ce sont des résurgences incontestables de L’histoire sans fin (le film davantage que le roman).
La faim du game
Ces références ludiques ne sont pas simplement là pour raviver des souvenirs. Elles sont des clés de compréhension. Gods of Egypt est précisément un film sur le jeu. On en prend conscience à mi-parcours, en découvrant que l’univers dans lequel il se déroule est une surface plane, circulaire et limitée. Ce qui rend d’ailleurs caduque le reproche fait à son manque de fidélité à la mythologie égyptienne (bien que soit convoqué le concept d’océan primordial), puisque Proyas apporte ici la preuve qu'il imagine une mythologie alternative. SA mythologie personnelle, le royaume de Gods of Egypt rappelant aussi bien le disque-monde de Terry Pratchett que la ville de Dark City. Mais au-delà de son origine, ce qui compte dans cette représentation, c’est d’y voir un jeu de plateau.
Pour seconder cette interprétation, Alex Proyas fait surgir ça et là de nombreuses images de mondes miniatures, de plans en relief et même de jeux de tables (dans une scène, le dieu Toth interrompt brièvement sa discussion avec Horus, le temps de poursuivre sa partie d'échecs avec son double). Un court instant, le dieu joue avec lui-même. Alex Proyas fait de même avec Gods of Egypt. Il s’amuse avec ses personnages-figurines, seul, mais à notre intention. Ca expliquerait pourquoi une majorité de spectateurs ne s'est pas sentie concernée par le film. A l’inverse, il est possible de s'enthousiasmer, en choisissant d’observer la partie avec attention et de se demander ce qui s’agite dans l’esprit de Proyas quand il bouge ses pièces.
Et si le vrai remake du Livre de la jungle, c’était Gods of Egypt ?
En joueur expérimenté, Alex Proyas avance-t-il masqué ? Les déplacements de ses pièces - la longue marche de Bek et de ses compagnons pour rendre la vie à sa compagne Zaya - raconteraient peut-être une autre histoire. Notre âme d’enfant a déjà été appâtée par Les Chevaliers du Zodiaque et Tekken, voici maintenant le plat de résistance : il y a du Livre de la jungle dans Gods of Egypt. Au point qu'on se demande si le véritable remake du film de Disney n'est pas du fait d'Alex Proyas plutôt que de Jon Favreau. Comme Le Livre de la jungle, Gods of Egypt emprunte longtemps un chemin linéaire. Son héros est flanqué d’une poignée de compagnons, il se défait d’ennemis, notamment des serpents, les affrontements finissent plusieurs fois par la destruction de colonnes et l’écroulement de palais, etc. L’un des personnages rencontrés est même affublé du regard hypnotique de Kaa. Tout est là.
Dans cette relecture discrète, Bek serait Mowgli mais il aurait grandi, et souhaiterait passer à l’étape supérieure. Après avoir quitté le monde des animaux pour celui des hommes, le voilà désireux de rejoindre celui des dieux. A la fin du Livre de la jungle produit par Walt Disney juste avant sa mort, l’enfant sauvage rejoint un village humain, attiré par les charmes d’une petite fille. On peut facilement l’imaginer déçu par le monde des hommes. Après tout, dans les derniers instants du dessin-animé, on voit seulement le garçon porter la jarre de la fillette à sa place. De là à supposer qu’il serait plus tard réduit en esclavage... Au début de Gods of Egypt, Bek assiste comme le reste du royaume au retour de Seth, dieu qui décide d'asservir les mortels, d’en faire ses esclaves. Dans la fosse, le seul mortel a ne pas courber l’échine hâtivement, c’est lui. Au terme de l’histoire, après avoir sauvé sa compagne et fait jeu égal avec Horus, il se retrouvera dans la même enceinte, à la différence que, cette fois, lui et Zaya seront invités à monter sur l’estrade aux côtés des dieux. Ils seront les seuls mortels à connaître ce privilège, tels les pions sur un damier qui, une fois parvenus de l'autre côté du plateau de jeu, deviennent dames.
De l’art contemporain, rien que ça
Gods of Egypt est bien une affaire de passages : Horus doit trouver sa part d’humanité, Zaya doit réintégrer le monde vivant et Bek, s’approcher du statut de divinité. A cet égard, loin des connexions enfantines mentionnées précédemment, c’est River of Fundament de Matthew Barney qui semble cette fois convoqué. Evocation au long cours de la traversée d’une rivière censée mener à la réincarnation, ce film-fleuve s’appuie pour l’essentiel sur le roman Nuit des temps de Norman Mailer (1983). Le film comme son matériau originel évoquent une version imaginaire de l'Égypte ancienne, font revivre les dieux Seth et Horus, et se servent de la mythologie pour discourir sur notre temps ; définition qui correspond aussi naturellement à Gods of Egypt, qui parle de l’oppostion immuable entre le peuple et les puissants, distinguant seulement l’asservissement forcé de la servitude communément admise.
L’incroyable opéra filmique de Matthew Barney, composé de trois actes et durant près de six heures en tout, puise dans la mythologie et sublime la scatologie. On est donc bien loin de L’histoire sans fin et de Disney, mais la filiation est manifeste. Au-delà d’une connexion à établir entre Barney et Proyas du simple fait qu’ils mettent tous deux en scène des dieux égyptiens, des motifs précis se répètent d’un film à l’autre. Ce sont des coulées de feu gigantesques, des matières organiques transformées en or, des orbites magnifiées, et même une façon analogue de glorifier... la laitue. Ces traces éparses indiquent que Gods of Egypt, cette oeuvre folle, riche et belle, glane autant dans nos souvenirs d’enfance que dans l’oeuvre intimidante d’un des artistes contemporains les plus radicaux en activité. Comme le Dieu Horus, borgne une grande partie du film, cela vaut donc la peine de jeter un oeil à Gods of Egypt.
@Cladthom Non. Mais tu me réjouis très souvent. Et comme moi par contre j'ai toujours raison, c'est bon signe pour toi.
Les gens te détestent et moi je t'aime bien. Prends ça comme un compliment hautement estimable.