Dix cinéastes que Cannes devrait sélectionner à la place de Ken Loach
Que les « loachiens » se rassurent, il ne s’agit pas de tirer à boulet rouge sur le réalisateur de La Part des anges, Le Vent se lève et Hidden Agenda, tous récompensés au Festival de Cannes. Le brave Ken est simplement le cinéaste le plus souvent en lice pour la Palme d’Or : 13 fois en comptant cette année Moi, Daniel Blake. Même-lui s’est demandé publiquement pourquoi il restait l’éternel abonné aux marches. Malgré notre immense respect pour Ken Loach, on s’est demandé la même chose. Alors on a cherché dix alternatives, dix profils de nouveaux cinéastes ou de vieux routards, des connus ou des discrets, des femmes ou des hommes, dont la Compétition ne veut pas et qu’on voudrait pourtant bien voir à la place de Loach dans les années qui viennent.
La France qui gagne : Céline Sciamma
Elle débute à Cannes en 2007, au Certain Regard, avec Naissance des pieuvres, révélation d’un talent de cinéaste et d’un talent d’actrice en la personne d’Adèle Haenel. Son parcours festivalier passe ensuite uniquement par les sections parallèles, à Berlin en 2011 comme à Cannes en 2014, où Bande de filles fait l’ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs. C’est beau. Ca le sera davantage quand le cinéma de Céline Sciamma, délicat mais pas fragile, et suffisamment fort pour résister aux projections presse devant 2 000 journalistes, sera exposé comme il le mérite grâce à une entrée en lice pour la Palme.
Le suppléant : Michel Gondry. Il a pratiqué Cannes, ses Séances Spéciales, son Certain Regard, sa Quinzaine, mais pas la Compétition, où son œuvre hybride ferait merveille, pourvu qu’elle soit portée par un beau casting.
Le poids lourd : Alfonso Cuaron
Il connait la Compétition, mais en tant que juré en 2008, sous la présidence de Sean Penn, l’année de la victoire d’Entre les murs. Le réalisateur de Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban est-il passé dans une autre dimension, celle où on remet les récompenses, où on déclare les festivals ouverts (à Cannes en 2014), plutôt que celle où on se mesure trop directement à des concurrents ? La présence de Gravity à la Mostra de Venise en 2013 prouve que son studio et lui peuvent encore avoir de l’appétit pour la compétition.
Le suppléant : Robert Zemeckis. Espérer Zemeckis à la place de Cuaron, c’est aussi fou que d’oser demander du rab’ à la cantine le jour du cordon bleu. Contrairement à ses grands frères Spielberg, De Palma, Lucas, Coppola ou Scorsese, le réalisateur oscarisé pour Forrest Gump n’a jamais eu l’occasion de venir sur la Croisette autrement qu’en touriste (si on considère la promotion du Drôle de Noël de Scrooge en 2009 comme du tourisme). Zemeckis n’est pas sous-estimé : il n’est pas encore suffisamment célébré, c’est différent. Une place en compétition serait déjà une manière de lui remettre la fameuse Palme du cœur.
L’artiste v. la censure : Jafar Panahi
Le cinéaste iranien remporte la Caméra d’Or, attribuée au meilleur 1er long-métrage, en 1995 avec Le Ballon blanc, et le Prix du jury au Certain Regard en 2003 pour Sang et Or. La Société des Réalisateurs de Films lui décerne en plus son Carrosse d’Or pour l’ensemble de son œuvre en 2011… enfin, à son siège vide : depuis fin 2010, le régime iranien interdit à Jafar Panahi de quitter le pays et de réaliser des films. C’est donc clandestinement qu’il dirige Ceci n’est pas un film, retenu à Cannes mais hors-compétition, puis Taxi Téhéran, Ours d’or à Berlin l’année dernière. Cannes l’a mis au monde, mais c’est la Berlinale sa nouvelle patrie de cinéma, celle qui le soutient avec encore plus de ferveur. Cannes a pris Asghar Farhadi à Berlin, c’est de bonne guerre.
La suppléante : Haifaa Al-Mansour. Elle n’a réalisé qu’un seul long, récompensé à Venise, Wadjda, l’histoire d’une écolière saoudienne qui veut faire du vélo alors que c’est interdit aux filles. A partir de ce pitch UNICEF, Al-Mansour a témoigné d’une grande fermeté dans ses choix de mise en scène et d’une acuité épatante, signant de la plus belle des manières la naissance du cinéma saoudien.
Le promu : Ruben Ostlund
Le suédois arpente régulièrement la Croisette, y compris cette année puisqu’il fait partie du jury d’Un Certain Regard. Une section qu’il connaît bien, tout comme la Quinzaine qui avait eu l’audace de sélectionner Play, film plus que polémique. On ne comprend toujours pas pourquoi Snow Therapy n’était pas en lice pour la Palme en 2014, mais Ruben Ostlund fourmille d’idées folles. Prévu pour Cannes 2017, son prochain long, The Square, imagine ce qui arrive quand on autorise une ville à disposer d’un terrain de 10 mètres carrés où la loi ne s’applique pas, où tout le monde peut aller et où tout est possible.
Le suppléant : Nadav Lapid. Ses deux derniers longs, Le Policier et L’Institutrice (présenté à la Semaine de la Critique en 2014), n’ont pas vraiment trouvé leur public en France, malgré l’excellent accueil critique. Le cinéaste israélien n’en veut pourtant pas à la France, ni à Cannes dont il est un pur produit issu de la Cinéfondation et où il montre cette anné son nouveau court-métrage (à la Semaine de la Critique). Il serait temps que l’on s’y intéresse davantage.
L’indé adoré : Miguel Gomes
Avec son écharpe de supporter du Benfica Lisbonne, le réalisateur portugais faisait figure d’icône indé-pop-cool-sophistiquée de Cannes 2015, où la Quinzaine le recevait pour son triptyque des Mille et une nuits. Trop long pour la Compétition ? Incompatibilité entre l’organisation du Festival, qui n’aurait pu montrer les trois films que consécutivement, alors que leur réalisateur préférait espacer les séances, comme la Quinzaine le lui a permis ? Cette année, la Berlinale a gardé pour sa compétition les 8 heures et 5 minutes du film de Lav Diaz, alors 6h de Miguel Gomes, c’est presque un court-métrage en comparaison… La compétition cannoise devrait mettre la main sur le Portugais avant qu’il n’aille voir ailleurs.
La suppléante : Kelly Reichardt. Elle connaît Un Certain Regard mais pas la Compétition, alors que Venise en a fait par 2 fois une candidate au Lion d’Or. Dommage pour Cannes d’avoir laissé filer cette auteure exigeante, mais il n’est peut-être pas trop tard…
L’outsider asiatique : Shunji Iwai
Le méconnu Shunji Iwai est l’auteur d’un fantastique film, à tous les sens du terme, Vampire, présenté dans une section parallèle de la Berlinale en 2011. Invisible en France, ce long-métrage mature et poétique comme un Twilight dirigé par Gus Van Sant, tourné en anglais, avec un casting américain, aurait dû faire décoller la carrière de son réalisateur. Il n’en a rien été. Son nouveau film, Hanna & Alice mènent l’enquête, remake rotoscopé de l’un de ses propres films, a l’honneur d’une sortie prochaine en salles le 11 mai, jour de l'ouverture du Festival 2016. Au moins, pendant Cannes, on pourra voir un film de Shunji Iwai en France.
Le suppléant : Sion Sono. Takashi Miike ou Kiyoshi Kurosawa en lice pour la Palme, ça n’a pas donné des résultats très heureux. Tant qu’à jouer la carte du bizarre nippon, autant miser sur Sion Sono, côté à Venise, et dont la production énorme (6 réalisations en 2015) laisse à penser que, sur le nombre, on tomberait forcément sur quelque chose susceptible de prétendre à la Palme.
L’Italien : Saverio Costanzo
Cannes aime l’Italie, ce doit être géographique. Fut un temps où le cinéma italien était partout, gagnait tout. A part le triplé de l’année dernière (Garrone, Moretti et Sorrentino), la Botte est moins à la fête sur la Croisette. Un bon auteur de film de genre pourrait s’incruster sur le tapis rouge. Avec ses deux derniers films, La Solitude des nombres premiers et Hungry Hearts, Saverio Costanzo a démontré de grandes qualités s’agissant de faire monter l’angoisse à partir de petits dérèglements.
Le suppléant : Alessandro Comodin. Le transfuge de Locarno, le festival dont la programmation ferait passer Cannes pour un multiplexe CGR, fait ses premiers pas sur la Croisette à la Semaine de la Critique. Avant les marches prochainement ?
Le bizarre anglo-saxon : Spike Jonze
Spike Jonze, c’est cet écolier aligné avec ses camarades dans la cour de l’école, qui attend d’être choisi par les deux qui composent leur équipe de foot, et voit tous les autres être pris avant lui… Sofia Coppola, Michel Gondry, Charlie Kaufman : tous ses collaborateurs ou partenaires sont venus à Cannes, mais pas lui. Dommage. Parmi les cinéastes capables de satisfaire les exigences cinéphiles et le glamour cannois, Jonze se pose là.
Le suppléant : Jonathan Glazer. L’Anglais tourne peu (3 longs en 13 ans), raison de plus pour Cannes de se positionner dès que possible sur le successeur de Under The Skin.
Le documentariste dévoué à son art : Wang Bing
Le plus grand documentariste du monde est chinois, mais Cannes ne le retient pas en compétition. Venise sait qui est Wang Bing, Berlin aussi, le Festival des 3 Continents à Nantes en a quasiment fait sa mascotte, mais il n’intéresse Cannes qu’en Séance Spéciale, en 2007, pour Fengming, chronique d’une femme chinoise... On reconnaît que passer 3h dans un asile de fou (A la folie) ou en compagnie de fillettes livrées à elles-mêmes (Trois sœurs), ce n’est pas forcément facile quand on porte un smoking.
Le suppléant : Joshua Oppenheimer. The Act of Killing a été constesté, The Look of Silence a fait l’unanimité ou presque. Les psy-shows d’Oppenheimer sont éprouvants et discutables, des thérapies où tortionnaires et victimes se croisent ou se confrontent. Pas vraiment le genre à donner lieu à des fêtes dantesques sur la plage.
Le vieux de la vieille : Frederick Wiseman
Cinquante ans de carrière et pas une seule fois en lice pour la Palme. La Quinzaine, c’est fait, le hors-compétition aussi, mais la Compétition, jamais. Pour l’un des plus grands documentaristes en activité, avec en plus une production soutenue et régulière, c’est aberrant. Frederick Wiseman sera toutefois à Cannes cette année afin d'y recevoir le Prix France Culture pour l’ensemble de son œuvre.
Le suppléant : Gianfranco Rosi. Le comité de sélection cannois peut-il priver le réalisateur italien d’un formidable Grand Chelem ? Lauréat d’un Lion d’Or en 2013 pour Sacro Gra et d’un Ours d’Or cette année pour Fuocoammare (Fire at Sea), Rosi mériterait de figurer dans la compétition juste pour compléter sa collection de prix des 3 plus grands festivals du monde.
En tout cette années à Cannes, on en croisera pas mal : Nicole Garcia en Compétition, Catherine Corsini à la tête de la Caméra d'Or, Valérie Donzelli et Alice Winocour dans le jury de la Semaine, Justine Triet en ouverture, Sandrine Kiberlain et Laetitia Casta en clôture et Julia Ducournau comme unique représentante française en compétition à la même Semaine, la débutante Houda Benyamina à la Quinzaine des Réalisateurs, les soeurs Coulin et Stéphanie Di Giusto comme uniques représentantes françaises au Certain Regard.
Ont été refoulé : Rebecca Zlotowski, Katell Quillévéré, Axelle Ropert, Nadège Loiseau...
N'étaient pas prêtes à temps : Emmanuelle Bercot, Sara Forestier...
Pas mal, ne serait-ce que pour les Françaises, non ?
J'aime à penser que certaines cinéastes ont été laissées de côté tout simplement parce que leurs films plaisaient moins aux sélectionneurs que ceux de ces messieurs. Cette insistance sur le genre des cinéastes devient malheureusement un levier communicationnel pour les sélectionneurs (d'une année sur l'autre, Frémaux est passé de "on ne se soucie jamais du sexe des candidats" au soulignement grossier et autosatisfait de la moindre sélection féminine, sans parler de l'ouverture avec Bercot l'an dernier!) et une rengaine cache-misère pour la presse qui ne soulève ces questions qu'une fois par an faute de mieux (ah si, il y a les abonnés!) et s'en désintéresse le reste de l'année (Télérama est à peu près seul à avoir fourni une étude approfondie sur le sujet en 2015/16 non?).
Frémaux ne s'est jamais caché d'avoir eu l'envie terrible de choper GRAVITY, que les Américains ont préféré garder pour Venise afin de lancer dans un meilleur timing leur Award Season.
Idem pour 12 YEARS A SLAVE (McQueen aurait pu figurer dans votre liste), ou pour pas mal d'Américains qui ont figuré Hors Compétition ces dernières années et que Frémaux aurait voulu en Compétition : VICE-VERSA, MAD MAX: FURY ROAD, etc.
Mon plus grand regret tient certainement au fait que Frémaux et ses comités n'est plus pris le risque de sélectionner de documentaire en Compétition depuis leur tentative de 2004 qui a débouché sur... une Palme d'Or au très discutable (voire médiocre?) FARHENHEIT 9/11. Ils sont quasi seuls à ne plus le faire ces dernières années, face à Berlin, Venise, San Sebastien, les parallèles cannoises, etc.