Mais où étaient passés les westerns ?
Depuis une décennie à peine une poignée de westerns ont réussi à se hisser jusqu'à nos écrans français. On se souvient d'un ou deux d'entre eux, pas toujours en bien d'ailleurs. Et le phénomène ne fait que s'accentuer. La sortie de True Grit, de Joel et Ethan Coen pourrait-elle marquer le retour du genre ? Aussi bon soit-il, c'est peu probable. C'est toutefois pour nous l'occasion de s'interroger sur la circonspection du public et le dédain des studios pour un genre autrefois si apprécié. Retour sur vingt ans de westerns, parfois tendres et généreux, parodiques ou tragiques, mais qui ont souvent tourné au fiasco.
Depuis Impitoyable, coup d'éclat de Clint Eastwood en 1992, peu de westerns osent pointer le bout de leur nez sur les écrans. Les quelques représentants de cette race éteinte brillent par leur excès de confiance, leur premier degré assumé mais casse-gueule, ou tout simplement leur pauvreté d'écriture et de ton. On pense à Maverick et à son Mel Gibson grand-guignolesque, à Open Range, le film contemplatif et un peu neuneu de Kevin Costner, ou encore au féministe Mort ou vif, de Sam Raimi. On verse souvent dans l'excès, dans le discours humaniste et politique, préférant voiler ainsi toute la violente historique de la conquête de l'ouest, ou dans le style décontracté et franchement cocasse.
Quelques réussites formelles néanmoins émaillent ces deux dernières décennies. L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, western dramatique porté par un Brad Pitt magistral. The Proposition, western retraçant l'histoire australienne, du réalisateur de La route, s'enfonçait allégrement dans la rudesse et l'âpreté d'une vie sans espoir. Le racé et classiciste Appaloosa d'Ed Harris, se déroulant après la guerre de sécession, convainquait par sa puissance contenue, risquant d'exploser à tout moment. 3h10 pour Yuma, sorti la même année soit en 2007, reprenait un standard de l'histoire du western, signé Delmer Daves, et le réadaptait avec respect, sans fioriture. La configuration était simple mais efficace : pour espérer toucher une prime, un fermier de l'Arizona se voit contraint d'escorter jusqu'à la gare de Contention City un criminel extrêmement dangereux. Et le chemin qui l'y mènera sera semé d'embûches.
They're gonna hang me in the morning extrait de 3h10 pour Yuma
Un western classique possède des conventions et des obligations certes rigides mais dont on peut jouer, pour créer un objet nouveau, hybride, mais qui aurait une profondeur dans ses observations, une vraie envie de bien faire. Certains s'y sont essayés avec plus ou moins d'aisance, comme Jim Jarmusch avec le métaphysique et impétueux Dead Man. Ou encore le coréen Kim Jee-Woon dans Le bon, la brute et le cinglé, hommage fou furieux aux westerns spaghettis et à divers pans de la culture populaire, coréenne ou non. Mais où se trouve la limite entre réécriture audacieuse et pastiche déglingué ?
Dans Blueberry, le western est le prétexte à une quête spirituelle d'illuminé qui tend vers le plaisir égoïste et foutraque. Dans Wild Wild West, anciennement une série télévisée à succès, on s'affronte en duel tout comme on affronte des araignées géantes et mécaniques tout droit sorties d'un roman de Jules Verne. Pire encore : Les colts de l'or noir, petit film français sans prétention mais totalement brinqueballant, modèle de ratage technique et narratif. Si on s'amuse tant du côté désuet et poussiéreux du western, cela veut-il dire que le genre est d'ores-et-déjà mort et enterré ? Souvenons-nous avec émotion de Retour vers le futur 3, épisode le plus faible de la trilogie mais brillante relecture anachronique de l'histoire, où Michael J. Fox danse comme Michael Jackson et se fait appeler Clint Eastwood.
Marty danse le moonwalk extrait de Retour vers le futur III
Dans les années 1940 et 1950 le western avait ses ténors, ses maîtres à penser ; et ses piliers de comptoirs. Tout le monde s'y essayait, car le genre était florissant et lucratif. Le public américain adorait qu'on lui narre ces périodes de trouble et de violence, où quelques hommes réussissaient à s'élever au-dessus de la masse pour bâtir les préceptes qui deviendraient la colonne vertébrale des États-Unis. John Ford était de ceux-là. Il réalisa plus d'une centaine de films enter 1917 et 1966, du muet au parlant, souvent d'obédience westernienne mais pas toujours. La charge héroïque, La prisonnière du désert ou encore le jusqu'au-boutiste et inénarrable L'homme qui tua Libery Valance, autant de noms qui rimaient avec gloire et succès au moment de leur sortie. Autant de films qui, aujourd'hui encore, ont quelque chose à raconter sur les racines de l'histoire américaine, modèles de films de genre mais aussi de grands films empreints d'humanité.
Les détours furent nombreux. On assista à l'avènement des westerns spaghettis, dont l'étendard était bien sûr tenu par Sergio Leone, mais aussi à de nouveaux westerns contestataires, brûlots politiques sur les règles et les lois qui fondent mais secouent aussi parfois l'Amérique. En 1970 Little Big Man, d'Arthur Penn, dénotait largement avec ses glorieux aînés en dénonçant les massacres d'indiens - ou disons de natifs américains - qui constituaient les vilains notoires des premiers westerns fondamentaux. La réflexion change, l'angle politique aussi, mais le genre est stimulé à nouveau, brièvement de retour sur les écrans. Rendons à César ce qui est à César, c'est Anthony Mann qui, le premier, tourna le western vers une dimension profondément pro-indienne avec La porte du diable et Delmer Daves avec La flèche brisée. Sam Peckinpah, Robert Altman ou Sydney Pollack perpétuent cette tradition dans les années 1960 / 1970 avec beaucoup de panache et de fougue.
Je suis encore dans ce monde ? extrait de Little Big Man
Après moult détournements et réinventions, comment retrouver l'essence du western aujourd'hui ? Le western impose un cadre bien sûr, une époque, mais aussi des codes et des conventions qu'il faut savoir manipuler avec adresse pour proposer un film renouvelant le genre. Aujourd'hui, personne n'ose s'aventurer dans cette voie dangereuse. Le western est une inspiration pour tous mais personne ne s'y risque. John Carpenter se dit fils de Howard Hawks - il rend des hommages vibrants aux westerns dans They Live ou Vampires - mais jamais il ne réalisa un western au sens académique du terme ; géographiquement et historiquement. Tarantino s'en inspire fortement, notamment dans Kill Bill 2, et les frères Coen en font de même dans No Country for Old Men. Le genre reste sur un statuquo. Personne n'essaie de le refaçonner.
Un avenir sombre pour le western ? Les deux lignes qui se dégagent depuis plus de dix ans ne semblent pas vouloir se rapprocher : on rend hommage aux westerns tout en leur apportant une valeur ajoutée roublarde et aguicheuse (les aliens de Cowboys & envahisseurs), ou on se lance dans le remake de classiques oubliés en croisant les doigts bien fort (True Grit ou 3h10 pour Yuma font partie de cette catégorie). Trop d'insuccès face à un genre qui ne rapporte plus assez aux studios ; les amateurs doivent se rendre à l'évidence, le western est une espèce en voie de disparition.
Problème de vision extrait de True Grit
Le salut ne peut donc venir que des auteurs. Or, les grands réalisateurs renâclent à faire des films purement de genre, là où un réalisateur leur dédiait leur carrière avec respect et dévotion dans les années 40. Quand les Coen se penchent sur le sujet, c'est donc presque par fétichisme (peut-être aussi parce que la Paramount désirait d'exploiter les droits du film original). Acculés de tous côtés par des échecs publics retentissants, des studios boudeurs et des jeunes auteurs obligés de s'en détourner le western semble donc à jamais moribond. Il faudra se contenter des doses sporadiques de Far West auxquelles nous sommes maintenant bien habitués.