Retraité, un métier d'avenir au cinéma ?
Nous sommes le 27 mai 2012. Sur la scène du palais des festival à Cannes, Michael Haneke reçoit la palme d'or pour Amour, entouré d'Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant. A ses pieds, un parterre de professionnels conquis par cette longue plainte en huis-clos de plus de deux heures. Réelle plus-value cinématographique ou début d'un effet de mode ? Le cinéma continue de draguer les adolescents, son public chéri, mais une partie croissante de sa production prend conscience que son art a plus de cent ans et se complait dans la vieillesse. Les acteurs ont les cheveux blancs, les films évoquent la nostalgie, la joie et la solitude des septuagénaires, et les jeunes, acteurs ou spectateurs, font grise mine. My Old Lady ou Indian Palace : suite royale récemment, Fin de Partie cette semaine, et prochainement Youth, le dernier Paolo Sorrentino présenté à Cannes, vont dans ce sens. Cinéma et retraite vont-ils bien ensemble ?
Vous vous souvenez quand Christopher Plummer était encore jeune, beau et imberbe ? Non ? Nous non plus. Il fait partie de ces acteurs mis très tard sur le devant de la scène, d'une génération sacrifiée de comédiens qui ont du attendre plus que les autres avant de se faire une place ; génération dont il est devenu le principal représentant en 2012, à 82 ans, en étant le plus vieil acteur oscarisé de l'histoire (c'était pour Beginners). Maggie Smith (My Old Lady), Bill Nighy (Pride), Judi Dench (Philomena), Morgan Freeman (RED) : tous ont fini par camper le "vieux de service", soit le ronchon qui ressasse le temps perdu, soit le candide qui découvre les nouvelles technologies et/ou se prend à rêver d'une nouvelle jeunesse. Evidemment, un producteur a eu l'idée de tous les réunir (excepté Morgan Freeman) dans Indian Palace et sa suite (avec Richard Gere, autrefois sex symbol, donc qui n'appartient pas au club) pour qu'ils méditent tous ensemble sur leur condition terminale.
Les deux âges de la carrière d'acteur
On ne les a pas vus vieillir à l'écran, ou si peu. C'est comme si un beau jour, ils avaient sauté la barrière séparant l'âge de l'insouciance et celui la sagesse, le bankable et l'ancienneté, le large panel de personnages à interpréter et la restriction à un certain type de rôles. Et plus vous éclatez tard sur la scène, plus le saut est impressionnant : on vous parie que vous n'aurez pas à attendre dix ans avant que Christoph Waltz (53 ans au moment de Inglourious Basterds) passe des personnages défiant Calvin Candie (Django Unchained) et James Bond (Spectre) à un vieux monsieur rabougri sans ambition... Pour les actrices - à qui on donne une date de péremption encore plus prématurée que pour les hommes - c'est pire car se pose pour elles la question sentimentale et sexuelle des personnages qu'elles incarnent. A quel moment dans une carrière passe t-on de la célibataire séductrice, à la mère de famille puis à la mamie bienveillante ? C'est cette barrière qu'a mis en scène Amy Schumer dans un sketch intitulé Last Fuckable Day, avec en guests Tina Fey, Patricia Arquette et Julia Louis-Dreyfus.
Une réponse au vieillissement du public ?
Avec le vieillissement des populations, notamment aux Etats-Unis et en Europe, y a-t-il un nouveau public à conquérir ? Pour y arriver, faut-il compter sur son identification aux personnages et lui proposer davantage de héros qui lui ressemblent ? De plus en plus de films se basent apparemment sur ce postulat. Ces derniers temps, Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, Party Girl, et même Fin de Partie jouent ouvertement cette carte. L'état même de personne âgée devient un élément scénaristique puissant, sur lequel on s'émeut, on discute, mais surtout on rit. Les producteurs ont compris que la force de la condition du troisième âge était l'auto-dérision. Au point de nous servir toujours les mêmes blagues, qui se résument pour les personnages à se comporter comme les troublions qu'ils n'ont plus la force d'être. "Je suis trop vieux pour ces conneries" nous dirait le Danny Glover de L'arme fatale. C'est ce côté parodique qui a donné naissance à une seconde catégorie d'acteurs : les anciennes grosses pointures de films d'action ou de gangsters qui aujourd'hui campent ceux qu'ils ont joués jadis, mais à la sauce décrépie. De Niro et Michael Douglas dans Last Vegas, Bruce Willis dans Red, et un point commun entre ces deux films : la présence au casting de Morgan Freeman, le roi des anciens au pays des (plus ou moins) sages. La boucle est bouclée.
Le blog Flavorwire donne d'ailleurs un début de réponse à ce phénomène, notamment au sujet des films d'action : "Mis à part Jason Statham en faux-débutant, Vin Diesel et The Rock, peu de nouvelles étoiles du film d'action ont brillé pour remplacer les anciennes". Mais dans le cas des vieux briscards, on est quand même très proche de remakes des œuvres qui ont fait leurs heures de gloires. Si la tendance perdure, on risque d'ailleurs d'y arriver pleinement.
On se voit déjà en 2040, sur les marches du 93ème Festival de Cannes, où le président du jury Xavier Dolan salue chaleureusement le faiblard Matthew McConaughey qui tient le rôle titre d'Incontinenstellar, film présenté en ouverture, et remake d'un célèbre film de 2014... Même les sagas deviendront des prétextes de reboot au genre grabataire. Il faut dire que le titre du quatrième opus de Transformers, L'âge de l'extinction, tend la perche, et qu'on se plait également à imaginer Vin Diesel toujours chauve mais un peu plus ridé dans un nouvel épisode un peu moins furieux.
Cinéaste : un métier pour les séniors
Ou alors la réponse est à aller chercher du côté des réalisateurs, ces hommes cachés derrière leur barbe blanche hirsute, qui s'acharnent à crier "moteur, moteur, bordel !", jusqu'à ce que la mort nous en sépare. Une infographie réalisée par le site Mentorless, en prenant compte de 28 grands cinéastes internationaux, montre d'ailleurs à quel point ce métier se fait généralement sur le tard : 38 ans, c'est l'âge moyen auquel ils ont réalisé leur premier long-métrage. Le plus âgé est Michael Haneke, qui s'était caché pour mieux exprimer son amour de l'art et qui, à 47 ans, tourne Le septième Continent, son premier long. Et parmi les 24 encore en activité, 10 ont dépassé l'âge légal de départ à la retraite en France.
Mais y-a-t-il vraiment une corrélation entre l’âge d’un réalisateur et le sujet de ses films ? Avec Sils Maria, Olivier Assayas, 60 ans cette année, médite sur son vieillissement d’artiste à travers le personnage de Juliette Binoche, celui d'une actrice installée mais menacée par une jeune louve. George Miller, 70 ans, a fait Mad Max : Fury Road. La vieillesse n’attend pas le nombre des années.
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CYHSY3 juin 2015 Voir la discussion...
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flobannion3 juin 2015 Voir la discussion...
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