Mon cher Watson...

Sherlock Holmes 2 : Enquête sur le sous-texte crypto-gay

Dossier | Par Julien Di Giacomo | Le 27 janvier 2012 à 18h15

Tout au long de Sherlock Holmes 2, on trompe l'ennui en s'interrogeant sur l'ambiguïté de la relation qu'entretiennent Holmes et Watson. S'il est clair qu'ils sont plus que des collègues, leur amitié frise parfois carrément l'érotisme... Quel est le sens profond de cette interprétation taquine du duo mythique ? Voyons quelles sont les intentions réelles de Guy Ritchie, trop roublard pour ne pas en avoir.

Si vous en avez un jour douté, Rocky III, Top Gun, Predator et plus récemment 300 auraient dû achever de vous en convaincre : plus un film est ouvertement viril et plus le terrain est propice à un sous-texte homo-érotique. Les corps huilés et luisants dans l'intimité des douches impudiques entre hommes font bien souvent glisser la franche camaraderie vers des contrées plus qu'amicales.

Bien entendu, le buddy-movie est une terre fertile pour qui cherche où planter avec malice la graine politique (ou humoristique) du sous-texte gay. Quand l'on reproche à Bad Boys II son homophobie (explicite dans les dialogues), on oublie un peu vite que dans une des premières scènes du film, on voit Will Smith tirer en plein dans le cul de Martin Lawrence. Littéralement. De Starsky & Hutch à L'Arme fatale, l'intimité romantique des duos de flics est sans équivoque. Si la montrer explicitement reste délicat (il y aurait beaucoup à dire sur la manière dont ce vieux conservateur qu'est Clint Eastwood a filmé les préférences de J. Edgar), s'en amuser est devenu monnaie courante.


Petite confidence extrait de Bad Boys II

Alors que les insinuations ont longtemps été pour les scénaristes et les réalisateurs un moyen de contourner les interdits en vigueur, il s'agit tout au plus pour Guy Ritchie d'un jeu qui tient de la petite provocation (et bénigne, quoiqu'en disent les fans de Conan Doyle) qui entoure son interprétation du personnage de Sherlock Holmes. La démarche est d'ailleurs payante, puisque lorsque Robert Downey Jr., en pleine promo du premier opus, plaisanta nonchalamment sur la relation intime qu'entretenaient probablement les deux personnages principaux hors-champ, la rumeur se mit immédiatement à courir que les ayants droit du détective menaçaient de priver la Warner d'éventuelles suites. On pourra au passage remarquer que les voir tiquer devant un Holmes potentiellement gay sans pour autant s'offusquer de le découvrir à moitié taré, extrêmement pédant et pratiquant le kung-fu à longueur d'enquêtes est d'un goût plutôt douteux. Quoiqu'il en soit, toute cette histoire n'était probablement qu'un coup marketing, puisque Sherlock Holmes 2 enfonce le bouchon encore plus loin dans cette direction.

Pourtant, quand on jette un oeil aux débuts de la carrière de Guy Ritchie, cette décomplexion vis-à-vis de l'homosexualité semblait quelque chose d'assez inconcevable... Snatch et Arnaques, crimes et botanique mettent en scènes des personnages pour lesquels rien n'est pire que d'avoir « des petites couilles rabougries de pédé » (little mincey faggot balls en VO), comme dit Vinnie Jones, cette incarnation préhistorique du macho qui efface les doutes à coups de portière dans la tête. Si les femmes sont absentes des premiers Guy Ritchie, ce n'est pas pour autant que les hommes se laissent tenter par la politique de la braguette arrière. Ses univers sont strictement hétéronormés : hors de question de flouter les barrières entre l'amitié et l'amour comme peuvent parfois le faire d'autres films riches en testostérone. Les hommes de Ritchie sont partenaires en affaires, et s'ils ont de l'affection les uns pour les autres, ils le gardent pour eux. Avant de faire joyeusement tourner Downey et Law, Ritchie préférait d'ailleurs mettre en valeur des acteurs moins métrosexuels, comme Jason Statham, bien sûr, mais aussi un Brad Pitt qui sortait tout juste de Fight Club, Vinnie Jones ou Gerard Butler. Et puis bon... le fils du réalisateur s'appelle quand même Rocco.


Sherlock Holmes s'inquiète pour le Docteur Watson extrait de Sherlock Holmes 2 : Jeu d'ombres

En 2008, le frère de Madonna attaquait ouvertement Guy Ritchie dans son bouquin « Life with my sister Madonna », laissant entendre qu'il avait au quotidien le même discours que ses révoltants personnages, et qu'il était donc homophobe. En 2000, cependant, le journaliste Mark Simpson, grand spécialiste du mâle moderne (le mec a tout de même inventé le terme « métrosexuel », c'est pas rien) prenait le contrepied de cette analyse pour déclarer que le réalisateur britton aux dialogues à couilles était en fait « un gay coincé dans le corps d'un hétéro ». Il décrivait ses films comme des « pornos gays pour hétéros ». Si Simpson n'a toujours pas vu Sherlock Holmes 2, il est clair que le film a dû laisser plus d'un ritchiephile perplexe, et à vrai dire ce revirement ressemblerait presque à un coming-out artistique. Désormais, les gays ne sont plus ceux dont on se moque et auxquels on ne veut pas être comparés, mais ceux auxquels on s'identifie avec plaisir.

La constante, tout de même, qui relie Sherlock Holmes aux autres films de Ritchie, c'est que les femmes n'y ont définitivement pas leur place, même si le réalisateur tente de nous faire croire le contraire. Au bout du compte, le personnage de Rachel McAdams n'est qu'un élément perturbateur, un rouage de l'intrigue, et manque de réelle consistance, tout comme celui de Noomi Rapace qui, malgré son joli minois, ne suscite à aucun moment la moindre pointe de désir chez Robert Downey Jr., trop occupé qu'il est à reluquer la moustache de Jude Law. Quant à l'épouse de Watson, elle n'est qu'un obstacle s'immisçant entre les deux amants pour les empêcher de poursuivre leurs aventures. Ritchie s'en débarrasse d'ailleurs bien vite lors d'une scène lourde de sous-entendus où un Holmes déguisé en femme la jette littéralement d'un train en marche pour prendre sa place aux côtés de son bien-aimé. Suite de la scène ? Holmes s'allonge, invite son compagnon à venir le rejoindre, et s'allume une pipe... Tout ceci va encore plus loin, puisque Moriarty cherche à tuer Watson uniquement pour toucher son réel ennemi en s'attaquant à ce qu'il a de plus cher ; ainsi, le personnage de Jude Law écope du rôle traditionnellement réservé aux princesses en détresse.


Sherlock Holmes déguisé en femme dans le train !!! extrait de Sherlock Holmes 2 : Jeu d'ombres

Avec cet humour qui lui est propre, Johnny Depp avait un jour déclaré que tous les rôles qu'il jouait étaient gays. Son Jack Sparrow est en tous cas certainement le personnage masculin le plus efféminé qu'on ait vu titiller les sommets du box-office. Depp a en tout cas prouvé que le grand public se foutait pas mal de l'orientation sexuelle de ses héros préférés, et Sherlock Holmes 2 le confirmera sans-doute. Tout ça donne heureusement tort à Michael Medved, ce critique radio américain conservateur qui, outré par les choix de Ritchie, se demandait « qui voudrait voir Downey Jr. et Law se rouler des pelles et se peloter ? ». Peu probable que Ritchie s'y mette pour Sherlock Holmes 3, mais son travail de crypto-gayisation du blockbuster pourrait faire plus de bien que de mal, grâce à son aspect potache et gratuit. Si une romance gay parvient un jour à dépasser Titanic dans la liste des plus gros succès de tous les temps, il faudra, à l'occasion, lever notre chapeau à Guy Ritchie, ce sapeur que tous sous-estiment, méprisent ou suspectent d'homophobie. Le cinéma est un monde merveilleux, plein de surprises et de malentendus providentiels.

Sources : Gawker, MarkSimpson.com | Image : © Warner Bros. Pictures

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3 commentaires
  • zephsk
    commentaire modéré Le personnage de Sir Conan Doyle est de toute façon déjà résolument misogyne, ou en tout cas asexué.
    A partir de là (Laurent Blanc inside), on peut facilement évoquer son homosexualité en creux, voire de manière carrément explicite, comme l'avait déjà fait en son temps Billy Wilder, avec La vie privée de Sherlock Holmes.
    28 janvier 2012 Voir la discussion...
  • TaoChess
    commentaire modéré C'est pas vraiment très surprenant, on peut aussi évoquer des rapports ambigus chez certains romans d'Agatha Christie.
    D'ailleurs, si on se rappelle cette série télévisée inspirée des aventures de Poirot (qui passait sur france 2 ya pas si longtemps) avec Larosière et Lampion, ce dernier avouait ouvertement ses penchants dans un épisode.
    28 janvier 2012 Voir la discussion...
  • mariep
    commentaire modéré "politique de braguette arrière". Juliendg, toi et ton style vous me faites kiffer grave.
    30 janvier 2012 Voir la discussion...
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