Les Tontons flingueurs vont-ils disparaître si vous ne faites rien ?
Verser son obole au guichet des salles de cinéma ne suffisait pas. Il a fallu que l’on vous sollicite pour produire les films ou contribuer à leur diffusion, y compris pour les projets de réalisateurs connus voire reconnus. Aujourd’hui, le financement participatif franchit une nouvelle étape avec Celluloid Angels. Si cette plateforme de crowdfunding existe, ce n’est pas pour donner naissance à de nouveaux films, mais pour éviter que ceux qui existent déjà ne disparaissent. Avec ce paradoxe : c’est aux internautes que l’on demande de faire le travail que certains ayant-droits ne peuvent plus se permettre de faire, en partie à cause du manque à gagner conséquent au piratage des films… par les internautes.
« Ca paraît surprenant quand on ne connaît pas l’envers du décor, mais si on ne fait rien, dans 3 ans, on ne verra plus La Folie des grandeurs à la télévision ». L’un des films les plus diffusés sur le petit écran va-t-il le quitter, d’un coup, comme ça, sans prévenir ? Plus de Louis de Funès s’écriant qu’il en manque une, quand Yves Montand fait passer ses pièces d’or entre ses doigts, au petit matin ? Sébastien Arlaud ne semble pas alarmiste, juste lucide. C’est pour cela qu’il est à l’origine de Celluloid Angels, une plate-forme de financement participatif destinée à restaurer des classiques, à regrouper les fonds pour tirer des copies 35 mm qui n’existent plus, etc. Même si vous en avez marre des « Il est l’or, monseignor » de La Folie des grandeurs et que vous vous félicitez de sa disparition annoncée de la case du dimanche soir, vous vous posez forcément au moins une question, voire deux : comment se fait-il qu’un film aussi populaire soit menacée de disparition (vous n’avez vu La Folie des grandeurs qu’à la télé, comme nous tous, alors s'il n'y passe plus...) ? Pourquoi est-ce à nous, pauvres internautes que nous sommes, d’assurer sa survie, et pas aux studios et distributeurs ?
La restauration définitive, ça n'existe pas (ni les éditions définitives)
Laissons la deuxième question de côté (en plus, la réponse fâcherait tout le monde parce que si les ayant-droits ont moins d’argent pour restaurer les films, c’est aussi à cause du piratage), et laissons le directeur de Celluloid Angels répondre à la première. « Quand il y a une révolution technologique, pendant au moins deux ans, les chaînes de télévision cherchent en priorité un contenu en phase avec cette révolution. Quand la HD s’est développée, les chaînes voulaient des films en HD, peu importait le contenu » explique Sébastien Arlaud. « Si les films ne suivent pas la révolution en cours de l’Ultra HD, on ne les verra plus, ils sortiront des diffusions linéaires et de la programmation en prime-time. Le prime-time, c’est la locomotive du catalogue d’un ayant-droit et un catalogue vit à 75 % des ventes télé ». Pour schématiser, si on ne met pas en ultra HD Les Tontons flingueurs, l’un des projets de restauration soumis par Celluloid Angels, vos enfants et petits-enfants n’auront plus l’occasion de le voir à vos côtés à la télé, et son ayant-droit, Gaumont (studio très présent sur Celluloid Angels, comme il l’est sur le front de la préservation des films), aura moins d’argent à investir dans de nouveaux projets.
Oh, les pauvres chats ! Ils ne pourront pas produire Les Visiteurs 4 : Jacquouille contre Hitler ! Quelle perte ! D’accord, mais ils ne pourront pas non plus payer régulièrement pour garder vivantes leurs belles œuvres car il n'y a rien de plus provisoire qu’une restauration dite définitive. Oui, nous ne sommes pas à un paradoxe près... « Les internautes le voient bien, remarque-t-on du côté de Celluloid Angels. Ils se demandent pourquoi ils devraient payer pour ce qu’ils ont déjà et déjà restaurés en HD en plus ». C’est le cas des Tontons flingueurs, le titre inattendu qui permet à Celluloid Angels de faire le buzz. Le site de crowdfunding explique ainsi qu’avec la technologie d’aujourd’hui, on constate que la restauration HD a pu avoir « un travail destructeur sur le film » : « Une belle restauration HD est belle… en HD, mais rien ne garantit que le rendu sera aussi agréable dans une définition 4 fois supérieure ». Toute restauration est donc éphémère, le temps qu’un support de visionnage en remplace un autre, qu’on passe du DVD au blu-ray, de la pellicule au DCP, du 2k au 4k, 8k, 1 000 k, etc.
Fini l'investissement : place au mécénat
Raison de plus pour ne pas investir alors, ni dans les écrans 4k dont les enseignes font la promo pendant l’Euro, ni dans la rénovation d’un film ? Pour le premier point, à vous de voir, pour le second, encore une fois, c’est plus compliqué. Celluloid Angels est une plate-forme à part entière dont on peut se demander pourquoi elle ne se contente pas de celles qui existent déjà, comme Kisskissbankbank ou Ulule, même si les sommes attendues (45 000 euros pour Les Tontons flingueurs), les objectifs (il s'agit souvent de compléter des financements) et les échéances (4 mois de campagne pour le film Marie-Martine) ont tendance à la placer d’emblée en dehors des circuits habituels. Sébastien Arlaud justifie ce choix : « Il nous fallait développer un moyen de créer une relation entre l’internaute et l’équipe de restauration du film qu’il soutient financièrement, de créer une communauté de gens sensibles à ce type de projet, puis de croiser les cinéphilies à terme, en s’ouvrant à l’Allemagne, l’Angleterre et l’Italie ». Bonne idée concernant l’Italie : en France, le CNC peut financer jusqu’à 80 % une restauration, mais il n’y a pas d’aide équivalente chez nos voisins transalpins, au patrimoine cinématographique en danger. Peut-être nous voyez vous venir... Voler au secours des films étrangers moins bien lotis que les français ? Permettre la diffusion à long terme à la télé d’un classique du cinéma populaire comme Les Tontons flingueurs alors que vous l’avez peut-être déjà en blu-ray et que ça ne vous concerne pas ? Celluloid Angels ressemble à une plate-forme à part parce qu’elle met à la portée de tous une activité réservée aux riches qui n’est ni la production, ni la distribution de films, mais le mécénat.
Ajoutés aux interactions promises avec les équipes des restaurations, il y a des objets en contrepartie pour les internautes, de plus en plus d’objets même, mais le but premier d’une campagne comme celle consacrée à L’Empire des sens, c’est bien d’obtenir une copie 35 mm sous-titrée en anglais et de permettre au film d’être projeté dans des endroits du monde qui ne sont pas équipés en numérique. Il ne s’agit pas seulement pour l'investisseur de voir des films restaurés, mais de permettre qu’ils soient vus par d’autres. Beaux gestes, mais pour quels films ?
Vos enfants verront-ils un jour La Gloire de mon père à la télé ?
Malgré quelques entorses à sa programmation, Les Fauvettes, cinéma parisien tout neuf, fait exclusivement dans le film « d’entre-deux », ceux des années 1980 et 1990, trop vieux pour être à l’affiche ailleurs, mais pas assez pour faire l’objet d’une reprise. « Aux Fauvettes, on souhaite montrer des films ayant eu du succès, en parfait état » annonçait Jérôme Seydoux, coprésident de Pathé, lors de l’inauguration des Fauvettes en novembre 2015. Voilà une déclaration qui mérite qu’on s’y arrête, venant de l’un des responsables de cinéma en France les plus soucieux de préservation : les films « ayant eu du succès » sont-ils les seuls à mériter d’être de nouveau projetés ailleurs qu’en Cinémathèque, donc les seuls qui méritent d’être restaurés ?
C’est la question que l’on se pose en découvrant les projets soumis aux internautes par Celluloid Angels, moins au regard des propositions actuelles (Les Tontons flingueurs et L’Empire des sens, mais aussi Le Dernier des six et Marie-Martine) que des futures, au sujet desquelles les internautes doivent encore se prononcer. Aux côtés de Stengel, Duvivier, Max Ophuls et André Barsacq figurent des habitués des rediffusions à la télévision : La Gloire de mon père et Le Château de ma mère, La Folie des grandeurs et Le Grand bleu, dont on veut bien croire que Luc Besson n’a pas le temps, l’envie ou la possibilité de s’occuper, mais qui semble loin d’être un film en perdition… Evidemment, Le Grand bleu est le film que les inscrits à Celluloid Angels veulent le plus voir mis dans les tuyaux pour une future restauration, juste derrière… La Folie des grandeurs. La plate-forme a beau mettre les films sur un pied d’égalité, nous, internautes, voterions apparemment pour ce que nous connaissons, sans témoigner d’une cinéphilie plus pointue qu’ailleurs ? Internet est-il vraiment le bon endroit pour décider quels films méritent de rester ?
Des internautes qui préfèrent Jules Berry à Jean Reno
A Celluloid Angels, on reconnaît qu’il y a « toute une population moins présente sur les réseaux qu’il faut aller chercher. Un film comme Je chante, avec Charles Trénet, concerne surtout la génération des années 40. Il est nécessaire d’envisager des opération de promo physiques ou des paiements par chèque pour toucher le Troisième Age ». La sagesse appartient-elle aux Anciens ? Sébastien Arlaud apporte une précision non négligeable : si La Folie des grandeurs et Le Grand Bleu sont les plus plébiscités actuellement pour faire l’objet d’une prochaine restauration, c’est parce qu’un titre encore plus plébiscité (deux fois plus que Le Grand bleu, même si le site étant jeune, les chiffres ne sont pas élevés) vient d’entrer en projet, donc de sortir de l'équation, Marie-Martine, d’Albert Valentin, pas le film le plus connu au monde.
« Au démarrage, on ne peut pas s’appuyer d’emblée sur une communauté, signale Sébastien Arlaud. Les débuts sont encourageants, mais il faut que le bouche-à-oreille se fasse ». Parce que si les internautes doivent payer pour que les films ne disparaissent pas, ils devront être à l’initiative des sauvergardes. Si les studios n’ont plus les moyens de suivre les changements technologiques et d’entretenir leur collection, des lobbies vont devoir faire leur apparition pour inciter les ayant-droits à sauver en priorité tel titre ou à se pencher sérieusement sur tel autre trop longtemps laissé à l’écart. « De grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités » disait l’autre. Pas question d’avoir l’un sans l’autre. Reste à savoir si dans les années à venir, nous voudrons tout mettre en œuvre pour sauver Les profs 2 et s’assurer grâce à lui une soirée télé familiale.
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